Retraites

Pour une nouvelle dimension de la protection sociale

Philippe Crevel, économiste, directeur du Cercle de l’Épargne
Le régime universel de retraite préconisé par Jean-Paul Delevoye, répond à un double objectif : l’équité et la simplicité.
Le système par point permettra de connaître le montant potentiel de sa future pension et les pouvoirs publics pourront piloter le système à travers les valeurs d’achat et de rachat des points tel que cela est déjà pratiqué à l’AGIRC/ARRCO.

C’est à la fois un changement de mode d’organisation, avec la fin des régimes spéciaux et des fonctions publiques, ainsi qu’un changement des règles de calculs. Le passage de notre système construit au fil de l’eau depuis plus de 70 ans à un système unique constitue un exercice de haute voltige. Il faut, en effet, faire converger 42 régimes de base et les régimes complémentaires qui y sont attachés vers un système unique à points. Le gouvernement a décidé de réformer le principal poste de dépenses sociales du pays dans un contexte de forte sensibilité de l’opinion vis-à-vis de l’évolution du pouvoir d’achat. Seulement 31 % des Français pensent, en effet, que leur retraite est/ou sera suffisante pour vivre correctement (1). Chez les retraités, ce taux est de 50 %. Il n’est donc pas étonnant que 57 % des Français mettent de l’argent de côté en vue de leur retraite. 51 % des retraités continuent même d’épargner afin d’améliorer leurs pensions. Dans ce contexte, il n’est pas non plus surprenant que 57 % des sondés soient pour un système de retraite incorporant de la capitalisation. Or, en l’état actuel, l’épargne retraite ou plutôt les suppléments de retraite par capitalisation fournissent 2,1 % des revenus des retraités français, une goutte d’eau dans les 325 milliards d’euros de pension. Malgré tout, des craintes sont régulièrement exprimées sur un éventuel basculement de notre système vers la capitalisation. Cette menace en forme de mirage conduit le législateur à répéter, à chaque loi portant sur la réforme des retraites, l’attachement de la Nation au régime par répartition. Il en sera certainement de même lors de la discussion de la prochaine réforme des retraites. Certes, la capitalisation n’est pas la potion magique pour résoudre notre problème de financement des retraites mais en assurant une diversification des ressources, elle constitue une option nécessaire, option que tous nos partenaires ont retenue.

Pourquoi le recours aux suppléments d’épargne retraite s’impose-t-il comme solution ?

Premier constat, comme le souligne depuis des années, le Conseil d’orientation des retraites, le taux de remplacement des futurs retraités est amené à baisser. C’est la faute à la démographie, c’est la faute à la faible croissance. Cette baisse qui pourrait atteindre de 10 à 20 points touchera tout particulièrement les cadres. Elle interviendra quel que soit le mode de calcul des pensions. En effet, en décidant de bloquer le poids de la retraite autour de 14 % du PIB, il sera impossible d’offrir au milieu du siècle des pensions aussi généreuses qu’actuellement quand le nombre de retraités atteindra 25 millions. Pour contrarier ce mouvement, il faudrait d’importants gains de productivité et un report de l’âge effectif à la retraite à 65 ans. Pour le moment, nous n’en prenons malheureusement pas le chemin. Le niveau de vie des retraités qui était en 2017 supérieur de plus de 5 points par rapport à celui de l’ensemble de la population, devrait être, toute chose étant égale par ailleurs, inférieur de 6 à 18 % en 2040. L’instauration du régime universel par points ne modifiera pas la donne. Les cadres bénéficiant de promotions en fin de carrière pourraient être pénalisés. Il en est de même pour ceux connaissant des passages à vide dans leur carrière. Les futures règles pour l’assurance chômage introduisent une plus rapide dégressivité des indemnités qu’actuellement pour les cadres, ce qui aura également un impact négatif. La constitution d’un pilier par capitalisation permettra de lisser la dégradation du rendement des pensions des régimes par répartition. La capitalisation n’est pas insensible aux évolutions démographiques mais en liant les pensions à l’activité économique non seulement française mais aussi mondiale, elle offre une réelle diversification des sources de financement. Elle contribue en outre au financement long des entreprises.

Deuxième constat, les préconisations de Jean-Paul Delevoye, en vue de l’instauration du régime universel de retraites, soulèvent immanquablement la question du positionnement des suppléments par capitalisation. En effet, les actifs ne se créeront des droits à la retraite que dans la limite de trois fois le plafond de la Sécurité sociale, au-delà, ils cotiseront sans bénéficier de points supplémentaires. Aujourd’hui, le plafond de cotisation est fixé à huit fois le plafond de la Sécurité sociale. Pour certains cadres supérieurs et pour certains indépendants, la nécessité d’accéder à des produits par capitalisation performants s’imposera avec une plus grande acuité qu’aujourd’hui. Entre 300 000 et 350 000 actifs pourraient être concernés.

Troisième constat, Jean-Paul Delevoye en souhaitant fusionner les régimes de base et les régimes complémentaires crée un nouvel espace de négociation au sein des entreprises pour mettre en place un nouvel étage de retraite. Notre système actuel de retraite est peu orthodoxe. Les régimes complémentaires comme celui de l’AGIRC/ARRCO sont des régimes obligatoires par répartition. Chez nos partenaires, le système de retraite repose sur trois piliers, un premier est constitué du régime de base par répartition, le deuxième correspond à des régimes professionnels ou d’entreprise par capitalisation et le troisième est dévolu à l’épargne retraite individuelle. Avec la création d’un grand régime universel, la France pourrait s’engager dans cette voie. Les partenaires sociaux pourraient négocier des accords au niveau des branches pour créer de nouveaux régimes venant compléter le futur régime universel. À cette fin, ils pourraient compter sur les réserves des régimes complémentaires que l’État entend, en grande partie, préempter pour financer sa réforme.

L'enjeu de la dépendance

Au-delà de la place dévolue à la capitalisation, la réforme des retraites devrait être l’occasion de traiter également un autre défi auquel est confronté le pays, la dépendance. En effet, en 2050, la France pourrait compter près de 5 millions de personnes dépendantes, contre 2,5 millions en 2015. Depuis une dizaine d’années, les gouvernements promettent une refonte du système de prise en charge de la dépendance. Face à l’ampleur des dépenses et du fait que la question se posera surtout à partir de 2030, la réforme est reportée de quinquennat en quinquennat. Pour le moment, le Gouvernement refuse le recours à un système assurantiel pour couvrir les dépenses liées à la perte d’autonomie. Or, la dépendance répond à la logique du risque assurable reposant sur des probabilités et l’aléa. Tous les seniors n’ont pas vocation à devenir invalides. Il serait ainsi possible d’imaginer un système d’assurance obligatoire souscrit par les personnes au moment de leur départ à la retraite. Pour les ménages les plus modestes, l’État pourrait instituer un mécanisme de couverture sur le modèle de la complémentaire santé (dispositif CMUC).

Si 16 à 20 millions de personnes cotisent à une assurance, le phénomène de mutualisation jouera à plein. Dans un tel système, les actifs cotiseraient pour leur retraite et les retraités pour leur dépendance. Une autre voie serait d’inciter les partenaires sociaux, les caisses actuelles de retraite, de s’entendre pour la mise en œuvre de prestations supplémentaires améliorant sensiblement l’Allocation Personnalisée d’Autonomie. À côté d’un système étatisé de protection sociale, il y a la place pour dessiner de nouveaux espaces de solidarité. Depuis un quart de siècle, l’État a pris les commandes de l’ensemble des régimes sociaux. Les lois de financement de la Sécurité sociale, les règles de Maastricht, l’accumulation des crises et une certaine remise en cause du paritarisme expliquent cette évolution. Mais en matière de protection sociale, les acteurs sociaux ont un devoir de création. En effet, notre modèle social n’est pas un astre mort, figé une fois pour toute. Il reflète l’état de la société, et doit évoluer voire le précéder. Aujourd’hui, les problématiques de logement, de transport, de prévention occupent de plus en plus les esprits. Les enfants de la révolution digitale rêvent d’un système personnalisé, sur mesure. À côté du socle commun de protection, il y a la place pour de nouvelles couvertures. C’est une question d’imagination et de volonté.

(1) Enquête du Cercle de l’Épargne/Amphitéa de 2019 « les Français, la Retraite et l’Épargne »