
Un projet de réforme centré sur le délai de réflexion laissé à l’assuré
Ils sont plutôt satisfaits. Après avoir enduré pendant plusieurs années des critiques virulentes quant à leur comportement sur le marché de l’assurance emprunteur, les établissements bancaires voient dans le récent rapport de l’IGF l’occasion de rétablir quelque peu la balance en faveur de leurs contrats groupes. Au début du mois d’août, alors que l’encre de la loi de Séparation et de régulation des activités bancaires était à peine sèche (n°2013-672 du 26 juillet 2013), le Ministre de l’Economie et des Finances confiait à l’Inspection générale des finances (IGF) une mission consistant à évaluer l’impact de la création d’un droit de résiliation et de changement du contrat d’assurance emprunteur en cours de prêt.
Cette disposition est issue d’une proposition parlementaire présentée justement à l’occasion de la loi bancaire qui, dans un chapitre, a consacré quelques évolutions relatives à l’information de l’assuré-emprunteur, à savoir : présentation du coût de l’assurance en « taux annuel effectif global », fiche d’information obligatoire sur les prix et les garanties, délai de dix jours pour le prêteur afin de proposer une nouvelle offre de prêt tenant compte de l’assurance alternative, interdiction des frais liés à la délégation d’assurance.
L’étude d’impact de l’IGF est accompagnée, à la demande du gouvernement, de l’examen d’autres options de réforme permettant d’exercer une pression sur les prix au profit des consommateurs. Elle est limitée à l’assurance des prêts immobiliers qui représentent près de trois quart du marché, selon les chiffres de l’Association française de l’assurance en 2012, soit 5,9 milliards de primes.
La proposition doit à présent revenir lors de la deuxième lecture du projet de la loi sur la Consommation. Ce dernier comporte plusieurs mesures concernant l’assurance, dont le droit de résiliation annuel. Un dispositif nouveau qui ne plaît guère sur le fond à la profession de l’assurance mais qui, dans le même temps, donne aux assureurs proposant des contrats individuels (ou à adhésion individuelle) des arguments de poids pour lutter contre les polices groupe des banques.
L’écueil de l’équivalence des garanties.
Pris dans la tourmente du contentieux sur les participations aux bénéfices, initié lors de la mise en cause de la régularité de l’ancien article A 331-3 du Code des assurances au printemps 2007 (déclaré illégal par le Conseil d’Etat dans sa décision du 23 juillet 2012) et du dossier constitué par l’UFC-Que Choisir au mois de mai 2007 dénonçant les rémunérations des banques, la loi Lagarde du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation (n°2010-737) a entrepris d’amorcer un processus de concurrence visant à renforcer l’information de l’emprunteur en lui apportant quelques moyens pour faire jouer la concurrence.
La mesure phare de la loi Lagarde consiste à permettre à l’emprunteur de choisir son propre contrat de prévoyance à condition qu’il comporte des garanties équivalentes à celles incluses dans la police groupe proposée par la banque prêteuse. Cette notion d’équivalence a compliqué la tâche des assureurs dits alternatifs pour percer sur le marché. Véritable garde-fou pour les banques, elle a été l’occasion de bien des refus de contrats individuels, plus ou moins justifiés selon les situations, mais aussi de la création par ces mêmes banques de solutions défensives pour contrer leurs concurrents via des contrats différents de leurs polices de groupe.
L’importance des commissionnements n’est pas démentie.
La question des frais et charges et des rémunérations de la chaîne de valeur a été au cœur de la polémique engagée dès 2007 contre l’industrie de l’assurance emprunteur. Dès lors, la mission pouvait difficilement ne pas s’attarder sur l’ensemble des commissionnements qu’elle répartit en trois catégories : les commissions de distribution, de gestion et de régularisation. Elles sont variables généralement en fonction du rapport sinistres sur primes des contrats. De l’analyse de l’IGF, il ressort que les divers chargements, même s’ils sont de nature différente selon les contrats (groupes ou alternatifs), dépassent les 50 % (voir le tableau). L’Inspection des finances reconnaît cependant qu’elle a obtenu ces résultats par croisement de sources diverses en l’absence de chiffres officiels de marché sur l’assurance emprunteur. Elle accepte certaines données et en refuse d’autres, notamment celles de l’UFC Que-Choisir. Reste qu’avec moins de 50 % du montant des primes affecté à la couverture des sinistres, le marché peut être considéré comme présentant une rentabilité respectable.
L’évolution des offres.
Le rapport de l’IGF constate que les parts de marché entre les acteurs n’ont guère évolué depuis une quinzaine d’années malgré l’arrivée d’acteurs concurrents aux établissements bancaires, puis du dispositif introduit en 2010. Est-ce par l’absence de réelle concurrence ou bien par amélioration des offres bancaires à la suite de la loi Lagarde ? Il semblerait que la situation provienne de la conjugaison des deux phénomènes. En premier lieu, la mission de l’inspection reconnaît que, selon les informations qu’elle a recueillies, les contrats emprunteurs ont enregistré une tendance à la baisse de leur tarif moyen de 10 % (tant pour les contrats groupes emprunteurs que pour les contrats alternatifs individualisés). En second lieu, elle admet que la qualité des contrats s’est globalement améliorée, chaque catégorie d’acteur ayant fait un pas l’un vers l’autre en termes d’enrichissement des garanties.
Le flou juridique autour de l’emprunteur.
Ayant bien cerné l’existence du débat doctrinal sur le régime juridique de l’assurance emprunteur, l’IGF s’engouffre dans cette brèche pour relever que les règles actuelles laissent subsister une situation d’insécurité juridique au détriment de l’assuré, notamment au niveau de la révision des primes.
Concernant la résiliation annuelle, l’IGF admet qu’il existe « un faisceau d’indices permettant de penser que l’article L. 113-12 du Code des assurances s’applique aux contrats d’assurance emprunteur » et que, dans ce cas, l’assuré comme l’assureur conservent une faculté de résiliation du contrat. Le rapport explique ensuite que le droit à résiliation n’équivaut pas à un droit de substitution mais que ce dernier, bien que ne pouvant découler de la loi bancaire du 26 juillet, pourrait être soutenu devant le Conseil constitutionnel. Le raisonnement est sinueux pour déboucher, in fine, sur le besoin d’améliorer le cadre juridique de l’assurance emprunteur par une réglementation qui lui serait propre.
Pour éviter un accroissement de la démutualisation…
La libéralisation accrue du marché de l’assurance emprunteur grâce à un mécanisme pleinement autorisé de résiliation annuelle conduirait à un renforcement des politiques de segmentation tarifaire des assureurs amenant à un approfondissement du mouvement de démutualisation des portefeuilles avec le risque, selon les banques mais aussi l’IGF, de renforcer les écarts entre les bons et les mauvais risques. Pour autant, notent les inspecteurs, cette démutualisation a déjà largement commencé dans les contrats groupes bancaires où la segmentation selon l’âge et la durée de l’emprunt sont devenus quasiment des standards.
Est-il possible d’aller plus loin? « Choisir cette voie serait susceptible de porter préjudice à certaines catégories d’emprunteurs, les seniors ou bien les personnes ayant des problèmes de santé. Face à nous, les contrats individuels alternatifs ciblent les risques les plus faibles et prônent le chacun pour soi », met en avant Henri le Bihan, directeur général de Crédit Agricole Creditor Insurance. Le rapport de l’IGF arrive à cette conclusion en décrivant un risque de phénomène « d’auto alimentation de la démutualisation » pouvant conduire au cercle non vertueux : comparaison à tout moment des contrats ; départs des meilleurs profils de risque de la mutualité des assurés dans les contrats groupes ; détérioration du profil de risque moyen de ces contrats ; hausse enfin de leurs tarifs avec en bout de chaîne l’exclusion de certaines sous-catégories de l’assurance et de l’accès au crédit.
Inutile de préciser que les défenseurs du principe de la résiliation annuelle ne souscrivent pas à ces arguments en partant notamment du principe que la segmentation traduit la capacité d’un assureur à maîtriser un risque et que la sélection d’un assureur alternatif est identique au niveau du questionnaire médical à celle d’un assureur de groupe. Les partisans de la liberté de choix à tout moment soulignent aussi que les assurances alternatives, prétendument taxées de favoriser la démutualisation, sont souvent sollicitées dans le cadre de la convention Aeras, ce qui montre leur capacité à intégrer les populations limites (risques aggravés et seniors).
… le rapport plaide pour un droit de substitution limité dans le temps.
Reste à présent à délivrer des solutions, car même si le rapport épargne relativement les établissements bancaires, il souligne néanmoins que la concurrence sur le marché de l’emprunteur présente encore plusieurs limites comme : l’absence d’accès à l’information, la complexité des contrats, une relation déséquilibrée consommateur-préteur et l’importance des doléances et contentieux suscités par l’assurance emprunteur (près de 20 % des réclamations enregistrées en 2012 par le médiateur de la Fédération française des sociétés d’assurances).
L’équilibre, la mission de l’IGF entend le trouver non dans un droit à résiliation annuel pouvant déstructurer les portefeuilles existant, mais dans la définition d’un droit de substitution du contrat d’assurance ouvert à l’emprunteur, dans un délai de trois mois, à condition que la résiliation s’effectue pour une formule présentant des garanties équivalentes. Aucune clause contractuelle ne serait opposable à cette faculté et au-delà. Le régime de résiliation et de substitution serait du ressort de la liberté contractuelle. Le 9 décembre, le ministre Benoît Hamon, chargé de l'Economie sociale et solidaire et de la Consommation, a précisé que ce délai de réflexion serait porté à un an.
Pour le directeur juridique d’April, Philippe Renevier, « il s’agit d’un compromis en vue de ménager les bancassureurs. La législation avance, mais de manière laborieuse. Le problème est que nous nous dirigeons vers un système de résiliation à plusieurs vitesses selon la nature du contrat, ce qui va compliquer la donne pour les assurés. Le délai de trois mois pour changer d’assureur proposé par l’IGF ne peut être qu’une avancée par rapport à la situation actuelle. Un délai d’un an serait encore mieux même si seule une harmonisation avec le droit commun permettrait au consommateur non seulement de ne plus négocier sous la pression, mais de pouvoir réajuster ses garanties en cours de prêt ».
Clarification du régime juridique et transparence des commissions.
Le rapport de l’IGF accompagne la mise en œuvre du délai de substitution de trois autres mesures. La première consiste à sécuriser les droits de l’emprunteur en rendant impossible par voie législative ou réglementaire une possible révision des tarifs à l’initiative de l’assureur en cours de contrat. La deuxième est de clarifier le principe de concordance des durées du prêt et de l’assurance en apportant aussi à l’emprunteur la garantie que son contrat ne sera pas résilié en raison de l’évolution de son état de santé. La troisième, enfin, est de demander la transparence des rémunérations. Sur ce chapitre, la mission devance les conclusions de la révision de la directive sur l’Intermédiation en assurance (IMD 2) en demandant un affichage du montant des commissions perçues par les distributeurs. Cette approche confirme au passage que les pouvoirs publics français ne sont pas opposés à la transparence des commissions et qu’il ne s’agit pas seulement d’une volonté européenne.
En finir avec le blocage de l’équivalence des garanties.
Mais pour que le dispositif fonctionne, « l’emprunteur doit être protégé contre la décision discrétionnaire des établissements bancaires qui détiennent le pouvoir d’accepter ou non la déliaison en exigeant un contrat alternatif de garanties équivalentes », précise le rapport. Ce dernier apporte une réponse intéressante qui vise à établir différentes catégories de contrats d’assurance emprunteur définies par des garanties minimales, permettant de répondre aux exigences du prêteur.
Une fois cette étape réalisée, il conviendra de formaliser une procédure d’automaticité de substitution dans l’hypothèse où le nouveau contrat retenu par l’emprunteur appartient à la même catégorie que le contrat en cours ou que celui proposé par le prêteur. Un aspect important : la mission recommande que ces catégories soient déterminées par les acteurs eux mêmes au travers d’un consensus de Place. « Cela correspond à une avancée significative et je pense que nous devrions pouvoir trouver ce consensus pour le bien du consommateur », indique Philippe Renevier.
Cette solution ne sera pas forcément simple à mettre en œuvre, mais elle mérite d’être tentée par les assureurs au risque de laisser l’administration s’emparer du sujet pour définir le socle de garanties minimales, un processus qu’elle connaît parfaitement en assurance santé dans le cadre des contrats solidaires et responsables et qui n’est pas forcément aisé à gérer pour les assureurs.