
Prudence sur certaines assurances emprunteurs

Tout n’est pas encore clair du côté de l’assurance emprunteur. Les contrats antérieurs au 26 juillet 2014 – date d’entrée en vigueur de la loi Hamon – posent problème, la résiliation n’ayant alors pas été prévue dans les conditions générales. Jusqu’ici, une décision de la Cour de cassation du 7 juillet 1987 (Civ. 1ère, 7 juillet 1987, n°85-14605) faisait foi. Les juges avaient indiqué qu’il était possible de résilier une assurance « mixte », en l’espèce un contrat emprunteur, à la date anniversaire du contrat à la condition de prévenir son assureur au moins deux mois avant l’échéance, comme le stipule l’article L. 113-12 du Code des assurances. Mais au printemps, un arrêt de la Cour de cassation est venu chambouler les repères.
Revirement de jurisprudence.
Trois arrêts - le premier de la Cour d’appel de Bordeaux (23 mars 2015, 1ère chambre civile, section A, n°13/0723), les deux autres de la Cour d’appel de Douai (17 septembre 2015, 3e Chambre, n°14/01655 et 21 janvier 2016, 3e Chambre, n°14/01657) - ont réaffirmé le principe de la résiliation annuelle, sous réserve d’en informer l’assureur deux mois avant l’échéance du contrat. Cependant, la Cour de cassation ne l’a pas entendu de cette oreille et a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux le 9 mars 2016 (Civ. 1ère, n°15-18899 et 15-19652, publié au Bulletin). La haute juridiction s’est fondée sur un principe de primauté de la loi spéciale (le Code de la consommation) sur la loi générale (le Code des assurances) et a privé le consommateur de la faculté de résilier son contrat.
Autrement dit, « l’arrêt de la Cour de cassation renverse les jurisprudences existantes. En effet, si l’assurance emprunteur relève du Code de la consommation, il ne prévoit pas de dispositions relatives à sa résiliation. Cette absence prive les titulaires d’un contrat emprunteur de la capacité à le remettre en cause chaque année. Un souci d’harmonisation qui n’est pas favorable aux consommateurs », estime maître Yann Vieuille, avocat au Barreau de Lyon. A la suite de ces deux interprétations contradictoires tirées d’un ensemble de textes assez confus, courtiers et assureurs ne savent plus à quel saint se vouer.
Les professionnels dans l’attente.
La Cour de cassation a renvoyé l’affaire de Bordeaux devant la Cour d’appel de Toulouse pour le jugement définitif. Quant à l’affaire de Douai, deux pourvois ont été interjetés le 21 mars et le 15 avril auprès de la Cour de cassation. Le sujet devrait donc être à nouveau traité par les juges suprêmes au plus tôt fin 2016 ou, plus probablement, l’an prochain. Une clarification nécessaire et attendue pour les spécialistes de l’assurance emprunteur. D’autant que le 4 mai, la Cour d’appel de Douai a fait fi de l’arrêt de la Cour de cassation et a réaffirmé le droit de résiliation annuel, comme stipulé dans le Code des assurances (3e Chambre, n°14/03003).
Dans l’attente, que faire pour les contrats antérieurs au 26 juillet 2014 passant sous silence la possibilité de résilier ? « Si les deux raisonnements émis par les juges ne sont pas irrecevables, assureurs et courtiers doivent être attentifs à ne pas se placer en situation de défaut du devoir d’information et de conseil », avertit maître Vieuille. Face à ces ambiguïtés, il est impératif de ne pas inciter les assurés à résilier de tels contrats. Sinon, les dossiers pourraient être portés devant les tribunaux par les établissements financiers ayant octroyé les prêts et les assureurs concernés. Jusqu’aux prochaines décisions de la Cour de cassation, ne subsiste de manière certaine que la faculté de résiliation prévue par la loi Hamon dans les douze mois suivant la signature de l’offre de prêt.
En cette période où les taux d’intérêt des emprunts sont bas et ne cessent de diminuer, les assurances liées représentent une quote-part de plus en plus importante du montant de l’opération (plus de 30 % du coût du crédit, selon l’Observatoire BAO de l’assurance emprunteur publié en février). Ces couvertures sont aussi une source de revenus non négligeable pour les établissements bancaires, peu enclins à les « laisser filer », en particulier dans un contexte où les prêts sont de moins en moins rémunérateurs.
Les contrats des banques toujours dominants.
En 2010, l’un des objectifs de la loi Lagarde a été de renforcer la liberté de choix des emprunteurs à l’égard des assurances liées aux prêts. Ce marché était alors détenu presque exclusivement par les établissements de crédit qui incitaient leurs clients à souscrire à leur propre contrat collectif. La loi Hamon est venue renforcer cette liberté. Une fois le prêt immobilier signé, l’emprunteur dispose d’un délai d’un an pour changer d’assurance liée.
Dans les faits, ces mesures ont-elles favorisé les délégations d’assurance ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les cotisations des contrats des banques représentent actuellement 84,5 % du montant total des assurances de prêt, 15,5 % du marché étant donc détenu par les assureurs et courtiers. Selon la Fédération française des sociétés d’assurances, en 2013, 89 % des cotisations relevaient de contrats souscrits auprès d’un établissement de crédit, 11 % provenant des contrats en délégation d’assurance. Si l’effet des dispositions légales en faveur de la liberté de choix du consommateur est loin d’être phénoménal, assureurs et courtiers parviennent cependant à prendre peu à peu des parts de marché, point après point. Afin de permettre aux emprunteurs de faire jouer à plein la concurrence, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a établi des critères sur l’équivalence du niveau des garanties des couvertures emprunteurs. Depuis octobre 2015, tout refus d’équivalence d’un établissement bancaire vis-à-vis d’une assurance en délégation doit être motivé à partir des conditions de cette liste.
« Au quotidien, il faut batailler ferme afin que nos contrats en délégation soient acceptés par les établissements de prêts. Même s’ils répondent aux critères du CCSF, les banques vont parfois chercher un moyen, en interprétant par exemple un article des conditions générales, pour motiver leur refus car elles n’entendent pas perdre les revenus générés par l’assurance emprunteur », relate Christophe Vanhuyse, directeur du développement assurance emprunteur de SwissLife. Selon lui, si la loi Lagarde n’a eu que des effets marginaux sur la déliaison des prêts et des couvertures liées, la loi Hamon a eu le mérite de faire connaître auprès du grand public la possibilité d’opter pour une délégation d’assurance et celle-ci gagne peu à peu du terrain.
« Si les lois Lagarde et Hamon visaient à faire baisser les coûts de l’assurance emprunteur, les banques font de la résistance et le marché n’évolue qu’à la marge en faveur des délégations d’assurance. La situation restera à l’identique sauf si les pouvoirs publics s’en mêlent mais, dans ce cas, les établissements de crédit devraient trouver un moyen d’augmenter leurs marges sur les prêts », extrapole Hervé Brasseur, dirigeant d’Assuréa Distribution, cabinet de courtage spécialisé sur ce segment.
Changements à la marge.
Pour les clients, faire appel à une délégation d’assurance est plus complexe et peut éventuellement allonger les délais d’obtention du prêt. Forte de ces arguments, une banque peut orienter ses clients vers son contrat groupe, tout en indiquant leur droit de changer d’assurance pendant un an. Mais une fois le remboursement du prêt ayant débuté, il revient à la direction assurance de la banque et non plus directement à l’agence bancaire de donner son accord si le client revient avec cette volonté. Ce qui complexifie la démarche.
Pierre Haas, directeur de l’offre emprunteur chez Aviva, ajoute de son côté : « Nous observons peu de changements depuis l’entrée en vigueur de la loi Hamon. Tout se joue au moment de la signature du prêt. Une fois celui-ci engagé et l’assurance souscrite, les emprunteurs ont autre chose en tête que de revenir sur cette couverture et de faire jouer la concurrence. » D’autant que les établissements prêteurs n’hésitent pas à sortir des contrats défensifs, une alternative à leur contrat groupe, lorsque leurs clients envisagent une délégation d’assurance. « Afin de sauvegarder leurs parts de marché, les banques ont réagi soit en proposant à leurs clients ces contrats défensifs, soit en annonçant une diminution sur les cotisations des contrats groupe de -30 % à -50 % », a observé Hervé Brasseur.
L’effet taux.
Après le référendum où les Britanniques ont exprimé leur volonté de sortir de l’Union européenne, les taux d’intérêt de l’immobilier ne vont pas repartir à la hausse. L’année 2015 a été un bon millésime pour l’assurance emprunteur. Les ventes immobilières ont légèrement repris mais, surtout, un grand nombre de clients ont renégocié leur crédit, motivés par la baisse des taux d’intérêt autour de 2 %. Le premier trimestre 2016 a été plus tranquille. Les achats immobiliers repartent depuis quelques mois, la faiblesse des taux d’intérêt incitant les primo-accédants à passer à l’acte. Le courtier meilleurtaux.com constate une stabilité des demandes en février et mars, puis une hausse en avril (+26 %) et en mai (+40 %) par rapport aux mêmes mois de 2015.
Si Metlife a ressenti un « effet loi Hamon » en faveur des délégations d’assurance, celui-ci est aussi à imputer à la baisse des taux de crédits immobiliers. Les clients ont alors accordé plus de poids à l’assurance emprunteur puisqu’elle équivaut à une proportion plus élevée du budget total d’un emprunt. « La nécessité pour les banques de motiver leur refus en se basant sur les critères du CCSF les a obligées à se plonger dans le détail des garanties, analyse Doria Cherkaski, responsable marketing et communication de Metlife France. Dans l’intérêt du consommateur, cela a astreint l’ensemble des porteurs de risques à enrichir leurs offres au-delà des garanties décès et perte totale et irréversible d’autonomie. » Une assurance emprunteur est devenue une assurance à part entière, ce n’est plus une couverture à souscrire uniquement parce que la banque l’impose. En cas de sinistralité, le bien acquis reste entre les mains du conjoint et/ou des enfants. « Lorsqu’un dirigeant d’entreprise n’a pas de prévoyance et souhaite se constituer un patrimoine, il est dans son intérêt d’être bien couvert par son assurance emprunteur. Ce type d’assurance est un véritable produit de prévoyance », note Doria Cherkaski.
En cas de renégociation du prêt, un nouveau contrat emprunteur doit être établi. Cela peut être l’occasion pour les clients d’étudier de près les offres et de passer en délégation. Comme l’assuré souscrit un nouveau contrat, il aura des conditions d’acceptation différentes (tarif et/ou garanties) si une pathologie s’est déclarée entre-temps. Sinon, la délégation lui permet d’obtenir de meilleures conditions tarifaires par rapport aux contrats groupes ou à son ancien contrat. Une personne ayant un projet d’emprunt et qui présenterait un risque aggravé (pathologie, âge avancé…) peut ainsi s’enquérir de son assurabilité en procédant, en amont du prêt, aux formalités médicales inhérentes aux couvertures emprunteur. Ce qui réduit le stress au moment de la signature du prêt et renforce la visibilité d’une couverture assurance lors d’un projet immobilier.
Faire jouer la concurrence.
Ce printemps, SwissLife a mis en place un nouveau contrat emprunteur ciblant les primo-accédants, la clientèle patrimoniale et les personnes présentant des risques spéciaux (capitaux élevés, risques de séjour et risques de santé aggravés). Dans cette optique, une nouvelle équipe a été mise en place comprenant deux experts en risques spéciaux. La souscription a été facilitée et un outil rend une décision immédiate, même pour certaines pathologies, soit un gain de temps pour l’assuré dans la constitution du dossier. Il est en effet essentiel d’apporter une réponse digitalisée en quelques clics et un seul rendez-vous pour une réactivité optimale. Il ne s’agit pas que les banques utilisent cet argument vis-à-vis des clients faisant appel à un assureur externe.
Points d’attention à relever sur les contrats emprunteurs : les garanties incapacité de travail et invalidité, très divergentes d’une offre emprunteur à l’autre concernant le calcul de la prestation (mode indemnitaire où l’assureur tient compte des revenus perçus par ailleurs, mode forfaitaire où l’assureur règle l’intégralité des mensualités du prêt). Sur neuf contrats émanant des réseaux bancaires, quatre appliquent le principe indemnitaire. « Ce critère marque la différence la plus fondamentale mais aussi la plus fréquente entre les contrats bancaires », indique l’Observatoire BAO de l’assurance emprunteur après analyse. De même, pour une meilleure protection, il est important que l’incapacité/invalidité soit définie à partir de la profession de l’assuré exercée au moment du sinistre. Concrètement, cette garantie s’entend soit comme l’incapacité à exercer « toute profession » ou comme l’incapacité à exercer « la profession de l’emprunteur au moment du sinistre ». Sur neuf réseaux bancaires, huit prennent en compte la profession exercée par l’assuré au moment du sinistre pour établir l’état d’incapacité et cinq le font pour l’invalidité.
En assurance emprunteur, Metlife a un positionnement sur les profils hors norme et notamment sur les risques aggravés de santé. La compagnie travaille à la révision de ses garanties dans le sens d’un renforcement afin de limiter les exclusions, ce qui implique un repositionnement des tarifs. Ainsi, elle couvre jusqu’à 90 ans pour le décès et jusqu’à 70 ans pour les autres garanties. Les arrêts de travail sont assurés jusqu’à 70 ans à cause du report de l’âge de la retraite. « Le marché de l’emprunteur évolue considérablement, à l’avantage du consommateur. Il faut cependant faire preuve de pédagogie à l’égard des assurés afin qu’ils prennent conscience de leur intérêt d’être bien couverts lorsqu’ils effectuent un emprunt », conclut Doria Cherkaski.