
Les entreprises doivent une fois de plus adapter leur régime
La loi Fillon de 2003 portant réforme des retraites avait subordonné, dans le sillage de la réglementation antérieure, les exonérations de cotisations sociales des contributions patronales finançant les régimes de protection sociale complémentaire (prévoyance et retraite) à l’obligation que ces régimes soient institués au sein de la branche professionnelle, de l’entreprise ou de l’établissement, à titre collectif et obligatoire (1) dans les conditions prévues à l’article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale (CSS).
Ce dernier prévoit que le régime peut résulter soit par voie de conventions ou d'accords collectifs, soit à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise, soit - ce qui est souvent le cas dans les TPE-PME - par une décision unilatérale du chef d'entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé (2).
Le serpent de mer du collectif et de l’obligatoire. A la suite de cette évolution législative est née une période de troubles au cours de laquelle il aura fallu pas moins de quatre circulaires de la direction de la Sécurité sociale (DSS) (3) pour disséquer, commenter et expliquer la notion de « collectif et obligatoire » : pouvait-on déterminer des catégories dites objectives susceptibles de faire bénéficier le régime des exonérations de cotisations patronales et, si oui, comment ? Quelques décisions sont intervenues pour apporter leur éclairage (4), mais au regard des contentieux en passe de se développer, la loi de Financement de la Sécurité sociale pour 2011 est venue compléter l’édifice en précisant qu'« est collectif un régime qui offre des garanties à l’ensemble des personnels ou à une catégorie d’entre eux, sous réserve que cette catégorie soit établie à partir de critères objectifs déterminés par décret en Conseil d’Etat ». Ce dernier vient d’être publié le 11 janvier 2012 (L’Agefi Actifs, n°524, p. 5).
Les critères objectifs. Tirant les leçons de la jurisprudence sur l’égalité de traitement ainsi que de la doctrine de la Sécurité sociale, le texte commence par poser le principe que les garanties pour les contrats d’entreprise concernés doivent couvrir l’ensemble des salariés ou seulement une ou plusieurs catégories d’entre eux, et définit cinq « critères objectifs » pouvant être retenus pour déterminer une catégorie de bénéficiaires, ces critères devant permettre « de couvrir tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées » (lire l'encadré).
Ces catégories ne peuvent en aucun cas être définies en fonction du temps de travail, de la nature du contrat, de l’âge ou de l’ancienneté des salariés. Sur ce dernier point, le décret autorise la possibilité de réserver les garanties de retraite supplémentaire et de prévoyance lourde (incapacité de travail, invalidité, inaptitude et décès) aux salariés de plus de douze mois d’ancienneté. « Mais attention, pour les autres prestations, comme par exemple les frais de santé, une ancienneté d’au maximum six mois pourra être requise, ce qui est une nouveauté par rapport à la doctrine antérieure de la direction de la Sécurité sociale », met en avant Florence Duprat-Cerri, avocate chez CMS Bureau Francis Lefebvre.
David Rigaud, avocat spécialisé en protection sociale, relève d’emblée que la « liste de critères, apparemment exhaustive, pourrait gêner les professionnels dans la négociation collective ».
Au-delà, on soulignera que le décret ne comporte plus de référence expresse à la catégorie des cadres dirigeants. « Or, beaucoup de régimes, notamment en retraite, se réfèrent à cette notion. De même, il n’est pas certain que l’on puisse distinguer entre les articles 4, 4 bis et 36, ce qui était fréquent en tout cas pour ces derniers à l’occasion de la mise en place des régimes », avertit Florence Duprat-Cerri.
Reconnaissance du caractère collectif de certaines catégories. Selon la liste de critères prédéfinis, le décret considère « comme couvrant l’ensemble des salariés placés dans une situation identique au regard des garanties mises en place » les prestations de retraite supplémentaire bénéficiant aux catégories retenues selon les critères 1 à 3 ; les prestations destinées à couvrir le risque décès bénéficiant aux cadres en application de la convention collective Agirc ; les prestations de prévoyance pour les risques incapacité de travail, invalidité, inaptitude ou décès, lorsque ce dernier est associé à au moins un des trois risques précédents, ou perte de revenus en cas de maternité bénéficiant aux catégories déterminées selon les critères 1, 2 et 3 (catégorie définie par référence aux catégories et classifications professionnelles retenues au niveau d’une branche ou au niveau interprofessionnel), sous réserve, pour ce dernier critère, que l’ensemble des salariés de l’entreprise soient couverts ; les frais de santé qui bénéficient aux catégories définies au 1 et 2, sous réserve que l’ensemble des salariés de l’entreprise soient couverts.
Dans tous les autres cas où les garanties ne couvrent pas l’ensemble des salariés de l’entreprise, notamment lorsque la catégorie est définie par rapport aux critères n°4 et 5 (niveau de responsabilité, type de fonctions…ou référence aux usages), l’employeur devra être en mesure de justifier que la catégorie retenue permet de couvrir tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées. « Mais en tout état de cause, même si l’employeur apporte cette preuve, il ne pourra recourir, pour le bénéfice des exonérations prévues à l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, qu’aux cinq critères visés par le décret », précise Florence Duprat-Cerri.
Points de vigilance. La nouvelle donne suppose, pour les conseils de l’entreprise, d’effectuer un balayage de tous les régimes. « La grande majorité des contrats dans les TPE/PME ont été mis en place par décision unilatérale. Beaucoup d’entre eux se réfèrent à la notion de cadres dirigeants », fait remarquer Florence Duprat-Cerri.
« L’attention des intermédiaires-conseils doit aussi être portée sur les frais de santé, souligne David Rigaud. Pour ces garanties, le texte n’interdit pas de limiter un régime maladie aux seuls cadres, ou encore de proposer des régimes différents cadres/non-cadres, à condition de prouver la légitimité et la pertinence de ces choix, ce qui ne sera pas aisé au regard du principe de l’égalité de traitement en droit social, sauf si les juges acceptent de faire preuve de souplesse à l’instar de la décision du TGI de Paris du 29 novembre 2011 (5). »
Par ailleurs, poursuit l’avocat, « un problème apparaîtra sur les groupes fermés en retraite, en cas de fusion ou d’absorption, et pose un certain nombre de questions en matière de gestion des restructurations. De plus, le décret n'autorise pas expressément les régimes d’établissement qui avaient été validés sous condition par la précédente doctrine de la Sécurité sociale. Il faut souhaiter que les futures positions administratives tolèrent à nouveau ces situations », relève David Rigaud.
Autres points importants concernant le caractère collectif. Le décret apporte quelques mesures de tempérament au caractère collectif du régime en autorisant, pour les prestations de prévoyance complémentaire, à prévoir des garanties plus favorables au bénéfice de certains salariés en fonction des conditions d’exercice de leur activité. Concernant le financement, le principe des cotisations, fixées à un taux ou à un montant uniforme pour l’ensemble des salariés ou pour tous ceux d’une même catégorie, au sens du décret demeure, sauf dans quelques situations applicables aux apprentis et à la composition du foyer. « En retraite, le texte est efficace puisqu’il permet, sous condition, la mise en place de taux croissants en fonction de la rémunération », note David Rigaud.
Eléments sur le caractère obligatoire des contrats. Le caractère obligatoire des garanties au profit des salariés est réaffirmé tout en réservant des facultés de dispense notamment pour les salariés embauchés avant la mise en place des garanties ou ceux qui bénéficient d’une garantie semblable par ailleurs en tant qu’ayant droit. « On relèvera toutefois que les dispenses d’adhésion au profit des contrats à durée déterminée ne sont plus autorisées dans le cadre d’une décision unilatérale. Or, la grande majorité des régimes dans les TPE/PME ont été mis en place selon cette modalité », avertit Florence Duprat-Cerri.
« Cela sous-entend que ces catégories de salariés pourraient être amenées à payer deux fois leur protection sociale », souligne David Rigaud. Il n’en demeure pas moins que les conseils des entreprises, et notamment ceux des TPE/PME, dans lesquelles la majorité des régimes sont mis en place par décision unilatérale, doivent revoir les garanties avec les employeurs.
Reste la question de la fiscalité. La protection sociale en entreprise bénéficie aussi d’avantages fiscaux, notamment pour les salariés, à condition de respecter là aussi certaines règles du collectif et de l’obligatoire. Le fiscal conserve pour l’heure ses propres règles issues de l’article 83 du CGI et de l’instruction du 25 novembre 2005 (6). « Des différences existent notamment au niveau des dispenses d’adhésion », rappelle Florence Duprat-Cerri.
Bonne nouvelle : le décret prévoit un délai d’adaptation d’un peu moins de deux ans à présent - jusqu’au 31 décembre 2013 - pour se conformer aux nouvelles dispositions du décret. Moins bonne nouvelle pour les praticiens, une circulaire de la DSS devrait venir commenter le texte… une fois de plus.
(1) Article L.241-1 du Code de la Sécurité sociale.
(2) Les avantages sociaux et fiscaux sont réservés en santé aux contrats responsables (article L.871-1 du Code de la Sécurité sociale).
(3) DSS/5B/2005/396 du 25 août 2005, DSS/5B/2006/330 du 21 juillet 2006, DSS/5B/2009/32 du 30 janvier 2009, Acoss n°2011-0000036 du 24 mars 2011.
(4) A titre d’exemple, TASS de Nanterre, 8 avril 2010, L’Agefi Actifs n°442, p. 7 - Reconnaissance du niveau de classification pour régime de retraite.
(5) La différence de traitement entre deux catégories de personnel, dans le calcul d’une indemnité complémentaire pour maladie instituée par une convention collective de branche, est justifiée lorsqu’elle a pour but de compenser la perte de revenus plus importante subie par une catégorie en raison de la structure spécifique de sa rémunération. Rigaud Avocats, Flash d’actualité n°82.
(6) N°5 F-15-05.