Le trio CDC-La Poste-CNP recèle de nombreuses inconnues

Par Amélie Laurin
Le nouveau pôle financier public annoncé hier par Bercy soulève de nombreuses questions, financières, boursières et industrielles.

Après des mois d’incertitude, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a officialisé hier la création d’un «grand pôle financier public». La Caisse des dépôts (CDC) se substituera à l’Etat en tant qu’actionnaire majoritaire de La Poste. En contrepartie, elle apportera à cette dernière sa participation dans CNP Assurances pour renforcer La Banque Postale (voir le graphique). Le changement d’actionnaire de La Poste «sera autorisé par la loi Pacte, sous la forme d’un amendement gouvernemental que je déposerai dès lundi prochain», a déclaré Bruno Le Maire au cours d’une conférence de presse. Mais, au-delà des mots, tout reste à faire.

Le calendrier

Rien ne se fera avant le 31 décembre 2019. C’est à cette date qu’expire le pacte d’actionnaires entre La Banque Postale et BPCE, actionnaires de CNP via une holding commune, Sopassure. «Entre la promulgation de la loi Pacte, début 2019, et la fin des pactes d’actionnaires [entre Sopassur, l’Etat et la CDC], les valorisations seront finalisées, sur la base des comptes 2018 ou du premier semestre 2019», explique un banquier d’affaires.

L’actionnariat

Le Meccano devrait aboutir à «une certaine rationalisation des participations de l’Etat», estime Octo Finances. La Poste restera «100% publique», assure Bruno Le Maire, car l’Etat cédera le contrôle de cette SA à la CDC, établissement public sui generis, ne conservant qu’une minorité de blocage. La Poste recevra en échange les 41% de CNP Assurances détenus par la CDC et les 1% aux mains de l’Etat. Elle transférera les titres à La Banque Postale, qui deviendra le nouvel actionnaire majoritaire de CNP Assurances, avec au moins 60% des parts.

Le prix

L’opération se traduira par «un apport de fonds propres très important pour La Poste», se réjouit son PDG, Philippe Wahl. En réalité, il ne touchera pas de cash. L’augmentation de capital du groupe public résultera de l’apport des titres CNP détenus par l’Etat et la CDC. Aux cours actuels, les 41 % de la CDC valent environ 6 milliards d’euros.

Dans les comptes de la CDC, la valeur de La Poste est, quant à elle, passée de 8,1 milliards d’euros fin 2016 à 6,2 milliards fin 2017. «En période de taux bas, les banques valent moins cher et La Banque Postale est particulièrement pénalisée par sa surliquidité, pointe une source proche de la CDC. En outre, la baisse des volumes de courrier s’est accélérée et le rythme futur reste inconnu. Le dynamisme de l’activité colis, dopée par l’e-commerce, est quant à lui attaqué par Amazon. Enfin, La Poste touche des subventions pour ses missions de service public, mais quel sera l’engament futur de l’Etat ?»

L’avenir boursier de CNP

Pour prendre le contrôle de CNP, La Banque Postale va demander à l’Autorité des marchés financiers (AMF) une dérogation à l’obligation de lancer une offre publique d’achat (OPA) liée au franchissement du seuil de 30%. L’argument des avocats des parties prenantes ? Il s’agit d’un reclassement de participations publiques, pas d’un rachat. Si l’AMF n’accorde pas de dispense, la facture sera salée, La Banque Postale devrait trouver 6 milliards d’euros pour racheter les 40% restants. Garder CNP coté aurait un autre avantage : offrir une porte de sortie boursière à La Banque Postale… dans un avenir plus lointain.

Autre inconnue, le sort des minoritaires. Si une campagne activiste contre l’Etat français semble peu probable, les petits actionnaires vont certainement tenter de contester la prise de contrôle de La Banque Postale. Dernière interrogation, le sort des 18% de CNP détenus par BPCE. La dissolution automatique du pacte d’actionnaires, fin 2019, empêche en théorie tout chantage du groupe mutualiste, mais celui-ci assure régulièrement que CNP n’est qu’une «participation financière», donc cessible.

Le projet industriel

La Poste ne sera pas intégrée au sein de la CDC. Toutes deux «continueront à fonctionner comme deux maisons ayant leur autonomie», assure Eric Lombard, le patron de la CDC. Mais des synergies sont à l’étude, notamment dans la couverture des «territoires», nouveau credo de la CDC, à l’aide du réseau postal. A l’étage en dessous, «La Poste-CNP ne sera pas un bancassureur comme les autres, relève Octo Finances. La manière dont fonctionnera effectivement le mariage avec La Poste est une inconnue.» «CNP ne sera pas une captive de La Banque Postale car ses partenariats externes de distribution perdureront, mais un bancassureur n’a pas besoin d’être intégré à 100%», nuance une autre source. Les syndicats de chaque maison, eux, attendent des engagements concrets, notamment sur le volet social.

La gouvernance

L’Elysée continuera de nommer le patron de La Poste par décret, a précisé Bruno Le Maire. CNP cherche de son côté un nouveau patron après le départ soudain de Frédéric Lavenir, effectif ce vendredi. L’intérim est assuré par le directeur financier, Antoine Lissowski, et des noms circulent déjà, tel celui de Stéphane Dedeyan, bras droit d’Eric Lombard chez Generali. Nommé fin 2017 à la CDC, il devra peut-être composer à l’avenir avec une nouvelle commission de surveillance, où les parlementaires bataillent pour rééquilibrer le rapport de forces avec l’Etat.