Le renouveau de la protection sociale

Bruno Serizay, responsable du département Droit de la protection sociale de Capstan Avocats
L’organisation actuelle de la protection sociale en France a été conçue il y a presque un siècle. La situation économique, les technologies, la structuration socioprofessionnelle, les aspirations individuelles et collectives n’ont plus rien à voir avec celles qui ont prévalu à sa conception. Il est temps d’envisager une approche fonctionnelle, alignée sur les situations et besoins réels de ses bénéficiaires.
Le renouveau de la protection sociale

Le mythe d’un système présenté comme une panacée universelle

Aujourd’hui, une multitude de systèmes juridiquement spécifiques (régime général, régime des fonctionnaires, régime agricole, régime des indépendants …) mais économiquement interdépendants coexistent encore. Au découpage socioprofessionnel, s’est ajoutée une segmentation des régimes en différentes branches (maladie – prévoyance, vieillesse, risques professionnels). Enfin, une superposition de couvertures (de base, complémentaires, supplémentaires) est venue complexifier le dispositif.

Son financement est tout aussi opaque, pour partie établi sur un quasi impôt (la CSG), pour partie sur des contributions assises sur les revenus et pour partie sur une série illimitée de taxes. La gestion de cet ensemble est confiée à une myriade d’opérateurs dont certains sont chargés d’une mission de service public (les organismes de Sécurité sociale) et d’autres, bien que concourant, au moins sur le papier, à l’universalité de la protection sociale, sont de purs acteurs du marché (compagnies d’assurance, institutions de retraite complémentaire, institutions de prévoyance, mutuelles).

Il en résulte aujourd’hui une exclusion grandissante de l’accès aux soins et une faillite économique (malgré l’affectation à la protection sociale dans son ensemble à la protection sociale dans son ensemble de plus de 34.3 % du PIB dont plus de 14 % à la seule assurance vieillesse) de plus de 5 milliards (sans compter le coût des régimes de la fonction publique).

Alors que l’espérance de vie fait apparaitre de nouvelles sujétions (notamment la dépendance, mais également la fragmentation des « carrières professionnelles »), que les technologies médicales ont connu et connaitront dans un prochain avenir, par le développement de la génétique, une évolution que l’imagination a du mal à concevoir et alors que se dilue le lien entre l’activité professionnelle et la création de richesses, une réflexion globale s’impose sur la modélisation de la protection sociale.

A l’approche structurelle historique, il est sans doute temps de substituer une approche fonctionnelle, distinguant trois niveaux de protection sociale.

La nécessité d’une protection sociale universelle identique pour tous

La protection sociale universelle doit être le dispositif qui protège la personne contre les conséquences des risques indépendants de la situation personnelle, familiale ou professionnelle ; elle est l’expression de la solidarité nationale, son financement repose sur l’impôt et sa gestion relève d’une mission de service public.

Elle doit être identique pour tous, ce qui justifie de supprimer les actuelles disparités. La protection sociale universelle recouvre d’une part la couverture santé et d’autre part une certaine garantie de ressource :

  • L’universalisation de la couverture santé est un processus engagé il y a plusieurs dizaines d’années (rattachement au régime général des salariés, des chômeurs, des étudiants … ; création de la CSG, de la CMU, de la PUMA) mais qui se heurte à certains corporatismes qu’il convient de dépasser. L’universalisation ne doit pas être synonyme de déresponsabilisation. Ni le tiers payant, ni le « zéro reste à charge » ne doivent être des objectifs. Ce sont des moyens indispensables pour ceux dont la faiblesse des ressources ne permettrait pas l’accès aux soins, mais uniquement pour eux. L’universalité ne doit pas exclure le libre recours à l’assurance volontaire supplémentaire dans un cadre collectif organisé (l’entreprise ou toute autre collectivité) ou individuel.
  • Dans une économie qui tend à dissocier la création de richesses du travail humain, il n’est pas déraisonnable de concevoir une garantie de ressources – pas de revenus, notion qui renvoie nécessairement à une activité économique. Différents dispositifs existent déjà (RSA, ASPA …). L’objectif, ici, doit être plutôt que d’en étendre obligatoirement les effets, d’en rationnaliser les conditions d’attribution et d’en unifier les modalités de gestion.

Une assurance sociale d’activité pour la prévoyance et l’assurance retraite.

L’assurance sociale d’activité doit être le dispositif qui protège la personne contre les conséquences des risques dont la survenance compromet la capacité à percevoir la rémunération que procure normalement l’activité professionnelle. Étroitement liée à la situation professionnelle de chaque intéressé (exercice ou non d’une activité professionnelle ; nature de l’activité …), l’assurance sociale d’activité n’a par nature pas de caractère universel. L’objectif est que toute personne en situation d’activité professionnelle (ou assimilée ; par exemple les chômeurs) soit contrainte d’être assurée (comme l’usage d’un véhicule justifie l’assurance) :

  • à un niveau minimum prédéterminé (qui doit tenir compte des spécificités des différents types d’activité)
  • auprès d’une structure d’assurance soumise à des contraintes de gestion particulière (par exemple, le cantonnement de l’assurance sociale d’activité, de façon à garantir son étanchéité par rapport aux autres opérations d’assurance). Un dispositif de garantie générale (comme le fonds de garantie automobile) doit compléter le dispositif afin d’éviter toute exclusion individuelle de la couverture en raison de la valeur du risque.

L’assurance sociale d’activité est appelée à couvrir les risques de prévoyance (incapacité, invalidité, décès) – au 1er euro – et d’assurance retraite – également au 1er euro. L’assurance sociale d’activité financée par des cotisations d’assurance qui constituent un élément de la rémunération brute de l’activité (salariée, fonctionnaire, non salariée…) serait une charge obligatoire donc déductible de l’assiette de l’impôt.

Ce dispositif d’assurance sociale d’activité et son mécanisme de financement ne se heurtent pour l’avenir à aucune difficulté majeure autre que le conservatisme, ils soulèvent malgré tout une difficulté certaine pour « solder » les droits issus des régimes actuels de l’assurance vieillesse et de retraite complémentaire (quel que le statut actuel du travailleur). La solution consisterait à faire supporter par l’Etat pour le régime de la fonction publique et par les entreprises pour les régimes « salariés » le financement, dans le temps, des droits de retraite constitués par les actifs et les retraités, à la date de la réforme. Ce financement qui serait temporaire (même s’il faut prévoir une période de transition longue) se substituerait aux actuelles parts patronales des cotisations vieillesse / retraite complémentaire, d’où l’absence de surcoût pour l’entreprise et la sécurisation des droits pour les travailleurs.

Une assurance supplémentaire volontaire pour compléter la protection sociale universelle et l’assurance sociale d’activité.

L’assurance supplémentaire volontaire constituerait le dispositif qui doit permettre à chacun de compléter la protection sociale universelle et l’assurance sociale d’activité. L’assurance supplémentaire procède d’un choix qui doit pouvoir être exercé individuellement mais également au travers d’une collectivité (l’entreprise, la collectivité locale…). L’assurance supplémentaire est l’œuvre naturelle des organismes d’assurance de toute nature (société d’assurance, institution de prévoyance, mutuelle).  

Une réforme de la modélisation de la protection sociale doit être l’occasion de mettre un terme à l’archaïsme qui consiste à dissocier artificiellement son financement entre une part salariale et une part patronale des cotisations. Le financement de la protection sociale est un élément de la rémunération du travailleur quel que soit son statut (salarié, fonctionnaire, indépendant) en même temps qu’il est un élément de coût pour l’entreprise. Le coût de la protection sociale doit donc être intégré à la rémunération (avec un mécanisme d’ajustement naturel pour éviter une diminution du pouvoir d’achat) et donc supporté par le salarié. Au-delà de la transparence, il s’agit d’appeler à la responsabilisation.