Climat : le régulateur redoute une dérive des primes d’assurance

Thibaud Vadjoux
L'ACPR publie les résultats de ses premiers stress tests climatiques. L'impact financier sur les banques et assureurs serait modéré, malgré de potentiels coûts de sinistres démultipliés dans les décennies à venir.
Source : Pixabay

Les assurés vont devoir payer la facture du réchauffement climatique et de ses sinistres. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) publie, mardi 4 mai, les résultats des premiers stress tests climatiques menés auprès des assureurs et des banques de juillet 2020 à avril 2021.  

Selon les données recueillies auprès des assureurs («bottom-up») grâce à une cartographie des expositions de la Caisse centrale de réassurance (CCR) et des projections «précises» de Météo France, l’ACPR indique que le coût des sinistres climatiques pourrait être multiplié par 5 à 6 dans certains départements français entre 2020 et 2050. Face à ces catastrophes naturelles, les assureurs projettent de maintenir leurs ratios sinistres/primes, ce qui entraînerait une inflation des primes d’assurance de 130 à 200% sur 30 ans pour couvrir les pertes, soit des hausses de 2,8% à 3,7% par an des primes, bien plus élevées que celles du PIB.  

Des charge répercutées sur les salariés 

«Il faut prendre ces résultats avec beaucoup de précautions car les données et les méthodologies sont fragiles mais cela veut dire que la charge des sinistres sera répercutée sur les assurés. Or, s’ils ne peuvent pas suivre cette dérive des primes, des risques ne seront pas couverts. Cela pose un problème pour la solidité de notre économie et la viabilité sociale», prévient Jean-Paul Faugère, vice-président de l’ACPR. L’autorité de contrôle a non seulement interrogé les assureurs et les banques sur un temps long mais aussi dans un cadre dynamique leur permettant d’adapter leurs stratégies dans leurs réponses.

Pour évaluer les risques financiers associés au changement climatique, l’ACPR s’est appuyée sur le cadre commun élaboré par «le réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier» (NGFS). Plusieurs scénarios de transition ont été appliqués par neuf banques et quinze assureurs. «C’est une première mondiale !», se félicite Denis Beau, sous-gouverneur de la Banque de France alors que la Banque d’Angleterre se prépare au même exercice pour juin 2021 et la Banque centrale européenne (BCE) pour juin 2022. Le régulateur européen des assureurs, l’Eiopa, est aussi en train de travailler sur des tests de résilience ESG (environnement, social, gouvernance). 

Des risques limités

«Dans la limite des hypothèses et des modèles utilisés pour cet exercice, qui seront progressivement affinés, les banques et les assurances apparaissent modérément exposées aux risques liés au changement climatique», résume Laurent Clerc, directeur d’étude et d’analyse des risques de l’ACPR. Les risques physiques (hausse du nombre et de la fréquence de sinistres) ont été passés en revue comme les risques de transition qui peuvent être réglementaires (hausse de la taxe carbone par exemple), technologiques, de marché (changement de comportement des acteurs par exemple) ou de réputation. Une cinquantaine de secteurs de l’économie française a été passée au crible.  

Pour les risques physiques, l’impact est limité pour les assureurs et les banques car la France est relativement épargnée dans les scénarios de réchauffement climatique du GIEC. A l’étranger, les données étaient moins fournies sur l’exposition des institutions financières. Les assureurs comptent également compenser la hausse du coût des sinistres par les primes.  

Des portefeuilles sensibles

Pour les risques de transition, l’ACPR note, là aussi, une exposition limitée sur les assureurs, de l’ordre de 17% sur leurs portefeuilles de placements. L’impact le plus important est à craindre sur les portefeuilles actions investis dans des secteurs exposés aux risques de transition (industries extractives, cokéfaction et raffinage, pétrole, agriculture, etc.) Mais, avec une part faible de détention en actions en direct (7% des encours), les assureurs sont plutôt à l’abri. «En outre, les assureurs ont commencé à mener un infléchissement de leur politique d’investissement notamment avec une sortie du secteur du charbon», relève Jean-Paul Faugère.

Ces secteurs problématiques représentent environ 9,7% du portefeuille de crédit des banques. L’ACPR appelle cependant les banques à surveiller ces portefeuilles sensibles car le coût du risque y augmente fortement, étant multiplié par trois à l’horizon 2050. 

Au-delà de ces premières estimations «fragiles» de l’impact financier du changement climatique, l’ACPR visait surtout à travers cet exercice pilote à «sensibiliser les acteurs financiers, à les aider à évaluer leurs expositions à ces risques, à servir de catalyseur aux réflexions et pour certains, à accélérer la mobilisation des équipes et des moyens», déclare Denis Beau. L’ACPR prévoit un nouvel exercice pour 2023-2024.