
Une stabilité attendue sur tous les fronts

Maël Bernier, directrice de la communication et porte-parole de Meilleurtaux.com
L’Agefi Actifs : Pouvez-vous nous expliquer les mouvements sur les taux de crédit ces derniers mois ?
Maël Bernier : La catastrophe parfois annoncée par certains l’année dernière n’a pas eu lieu. Certes, depuis leur point le plus bas, en octobre 2016, les taux de crédit ont effectivement augmenté, mais cette hausse est restée modérée. Il y a un an, les taux moyens sur 20 et 15 ans étaient de respectivement 1,5 % et 1,35 %. Certaines décotes pouvaient même les faire descendre autour de 1 % pour 20 ans et en dessous pour 15 ans. Cette situation était cependant exceptionnelle. Les mois qui ont suivi, les banques ont remonté progressivement leurs taux pour atteindre 1,75 %, en moyenne, sur 20 ans. Puis au printemps dernier, les taux des emprunts d’Etat français à 10 ans sont passés momentanément au-dessus de 1 % dans l’attente du résultat du premier tour de l’élection présidentielle. Une fois les élections passées, la tension est redescendue. Et depuis le début du mois de septembre de cette année, nous observons à nouveau des baisses de taux de crédits, avec une moyenne de 1,67 % sur 20 ans, soit le niveau des taux de l’été 2016 !
Est-ce une baisse généralisée ?
Oui, ces baisses ont eu lieu à la fois dans des banques nationales et dans les caisses régionales des banques mutualistes. Selon la durée, la région, ou le profil des emprunteurs, elles s’échelonnent entre -0,05 % et -0,15 %. Et des banques, au-delà des taux affichés dans leurs barèmes, offrent parfois des décotes supplémentaires. Ces pratiques n’avaient pas été observées depuis les mois de mars ou avril dernier. Il y a aujourd’hui un retour de la concurrence des banques sur l’activité de crédit. A noter que, contrairement à l’année passée, le nombre de renégociations reste mesuré. Il s’inscrit aux alentours de 12 ou 13 %, dans sa moyenne historique, et loin de la situation de l’automne 2016, quand les renégociations représentaient jusqu’à 50 % des dossiers.
Les durées des prêts ont-elles évolué ?
Les banques se sont remises à proposer des emprunts à 25 ans début 2017. La durée moyenne des crédits est devenue supérieure à 20 ans alors qu’elle était inférieure à cette durée l’année dernière. Cela démontre la volonté des banques d’attirer à nouveau sur le marché les primo-accédants, qui avaient un peu été mis de côté en 2016.
Avez-vous observé des évolutions sur les conditions d’octroi des crédits ?
Non, pas de manière générale, les banques demandant, dans 90 % des cas, que les frais annexes à une acquisition soient apportés. Cependant, nous observons parfois sur certaines acquisitions inférieures à 150.000 euros des financements à 110 %. Cela ne concerne pas toutes les banques et reste souvent cantonné à la province (en raison des prix plus faibles, donc des emprunts également plus faibles), mais le retour de ces cas de figures, qui avaient totalement disparus, montre que les banques sont aujourd’hui confiantes sur la tenue du marché de l’immobilier.
Elles restent cependant toujours très frileuses sur la régularité des revenus des emprunteurs. Elles exigent trois ans de revenus réguliers pour les professionnels indépendants et des contrats de travail à durée indéterminée pour les salariés.
Assiste-t-on à des négociations sur l’assurance emprunteurs ?
Non, selon les chiffres de la Fédération française de l’assurance, le taux d’équipement d’assurances souscrites auprès des assureurs alternatifs reste à 12 %, soit un niveau inférieur aux 16 % observé il y a 7 ans. Les clients, dans leur négociation de prêts, restent donc aujourd’hui encore trop concentrés sur les taux des crédits.
Qu’attendez-vous pour les prochains mois ?
Nous allons rester, jusqu’au mois de mars prochain, à des taux très bas. Il n’y a pas de raison pour qu’ils augmentent, d’autant que la concurrence des banques reste forte et qu’aucune ne cherche à augmenter sa marge d’intérêt (c’est-à-dire la différence entre le taux auquel elle prête et celui auquel elle se refinance). La saisonnalité est par ailleurs moins importante aujourd’hui qu’il y a quelques années, quand des baisses de taux liées à des opérations commerciales des banques étaient plutôt accordées en mars et avril ou en septembre et octobre.
Eric Bertrand, directeur des gestions Taux, Diversifiées et Quantitatives chez Ofi AM
Eric Bertrand, directeur des gestions Taux, Diversifiées et Quantitatives chez Ofi AM, décrypte les marchés de taux
Les banques centrales contrôlent toujours la situation et réagiront en cas de remontée des taux des emprunts d’Etat
Comment expliquez-vous les différentes évolutions des taux longs européens depuis les six derniers mois ?
Eric Bertrand : En premier lieu, il faut garder à l’esprit qu’après une période de baisse structurelle des taux longs qui a duré plus de 20 ans, nous pensons avons touché un point bas au milieu de l’année 2016. A cette époque, les marchés semblaient valider un scénario durable de faible croissance, avec des risques de désinflation voire de déflation. Mais, après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, les anticipations de croissance sont reparties à la hausse. Et dans un contexte de croissance mondiale synchronisée, avec un retour très progressif de l’inflation dans certaines zones, les taux sont repartis dans une tendance haussière de long terme.
Cette tendance n’est cependant pas claire en Europe, puisque les taux longs ont alterné, ces derniers mois, entre des périodes de hausse et de baisse. Comment cela se justifie-t-il ?
Dans les mois qui ont suivi ce point bas, les phases successives de hausses et de baisse des taux longs observées en Europe ont été liées à un double phénomène : d’un côté les risques politiques – dont ont fait partie les élections en France – faisaient momentanément monter les taux des pays concernés par la crainte d’arrivée au pouvoir de partis europhobes et baisser les taux allemands réceptacles de la fuite vers la qualité, tandis que les discours relativement positifs de la Banque centrale européenne, sur la croissance notamment, avaient tendance à les faire remonter. Le point haut a été atteint avec le discours de M. Draghi à Sintra (Portugal) fin juin sur l’extension puis la sortie du quantitative easing.
Après les différentes élections en Europe, pourquoi les annonces de la BCE de son intention de normalisation de sa politique monétaire n’ont pas eu davantage d’effet ?
Une fois ces séquences électorales passées, la Banque centrale européenne a effectivement voulu commencer à préparer les marchés à une normalisation de sa politique monétaire. Seulement, l’évolution du dollar a paralysé son action. Des doutes sur la capacité de Donald Trump à mener ses réformes en faveur de l’économie américaine sont apparus et, au contraire, l’Europe voyait ses perspectives de croissance orientées à la hausse. Cela a provoqué une baisse rapide du dollar par rapport à l’euro, alors même que la parité de l’euro / dollar était une des conditions recherchées par la BCE pour relancer l’économie européenne.
Au mois de septembre, les chiffres encourageants sur l’économie américaine ont cependant conforté la Fed dans ses actions de diminution de son bilan, pendant que de son côté la BCE a expliqué qu’elle prendrait le temps qu’il faudra pour arrêter son quantitative easing. Cela explique le repli récent des taux longs en Europe.
La BCE est aujourd’hui sur une ligne de crête : elle ne veut pas donner l’impression qu’elle va cesser ses mesures non conventionnelles et arrêter ses achats, mais les discours des différents membres de son Comité exécutif ces derniers jours l’ont prouvé, elle veut sensibiliser les marchés au fait que le quantitative easing tend à sa fin.
Y a-t-il un danger de remontée brutale des taux ?
Nous vivons aujourd’hui dans une illusion de normalité avec des taux extrêmement bas et une volatilité très faible. Or les niveaux de croissance et d’inflation ne justifient pas des taux aussi bas et les réajustements peuvent être assez brutaux, et ce dans un environnement où la liquidité s’est affaiblie, notamment du fait des exigences de la régulation bancaire et assurantielle.
Cependant, les banques centrales restent vigilantes. Si les taux remontaient trop violemment, elles agiraient immédiatement. Finalement, même si la situation mérite des taux longs légèrement plus élevés, il n’y a pas de danger de hausse importante et durable. Il faut tout de même rester vigilant car, à partir de la fin de l’année 2018, nous allons pour la première fois depuis la crise de 2008 voir la somme des bilans des grandes banques centrales diminuer.
Les banques centrales ont donc gardé tout leur pouvoir sur les marchés ?
Effectivement, ce sont toujours elles qui contrôlent les marchés et elles vont continuer à rester présentes. Il faudra que les marchés de taux se réhabituent à fonctionner tout seuls, sans intervention massive des banques centrales, mais cela prendra plusieurs années.