
Une évolution du comportement des épargnants très progressive

Le big bang de l’épargne n’a pas encore eu lieu. Lors de la présentation de son dernier baromètre de l’épargne, Alain Tourdjman, directeur du pôle études veille & prospective chez BPCE, estime que, malgré les mesures récentes modifiant la fiscalité, comme le prélèvement forfaitaire unique (PFU) ou la transformation de l’ISF en IFI, « la modification de la structure de l’épargne se fera progressivement, en fonction de l’évolution des marchés financiers, du niveau des taux d’intérêts et de la réforme de l’épargne retraite ». Et si quelques évolutions sont à attendre en 2018, notamment du fait du recul des avantages des livrets défiscalisés et d’une position moins dominante de l’assurance vie, les épargnants restent encore frileux face aux actifs risqués.
Une épargne toujours importante. Ainsi, en 2017, la collecte nette des dépôts à vue a atteint 31 milliards d’euros, un montant toujours important, très légèrement inférieur aux 32,5 milliards collectés en 2016. Par ailleurs, les livrets, malgré une rémunération réelle négative, affichent une collecte de 15 milliards d’euros (dont 6,4 milliards d’euros pour le livret A) contre une décollecte de 1,2 milliard en 2016. Les PEL voient leur collecte baisser en 2017, à 4 milliards d’euros contre 12 milliards en 2016, les comptes à terme et PEP, continuent à décollecter, à -6,2 milliards d’euros en 2017 contre -2,5 milliards l’année précédente et enfin, l’assurance vie, collecte 7,6 milliards d’euros, en net recul face aux 17,2 milliards collectés en 2016. Au total, la collecte nette hors titres des ménages en 2017 totalise 51,4 milliards d'euros contre 57 milliards d'euros en 2016.
Naturellement versés vers l’épargne, les Français ne semblent pas encore choisir la voie de la consommation, ni celle de la prise de risques. « Nous avons assisté, ces dernières années, à une remontée des intentions de dépenses, mais ces intentions ne progressent pas au-delà des niveaux d’avant-crise. Il existe peut-être, chez les Français, une limite à l’intention de consommer. D’ailleurs, les intentions d’épargne restent, de leur côté, toujours élevées », constate Alain Tourdjman.
Incertitudes. Selon le professionnel, « la réforme de la fiscalité a été beaucoup moins bien comprise – ou perçue – qu’on pourrait le croire ». Si la disparition de l’ISF a été très visible, « les autres aspects [de la réforme] (dont le PFU) sont perçus comme complexes et le report de leurs effets crée de la suspicion ». Par ailleurs, alors que l’immobilier, via la résidence principale, constitue le principal projet patrimonial des ménages, sa taxation par l’IFI peut être perçue négativement. Enfin, citant une enquête qualitative effectuée par la Banque, Alain Tourdjman note que « les clients aisés patrimoniaux ont le sentiment que la réforme fiscale ne va pas leur profiter ». Sans compter que le passage au prélèvement à la source, jusqu’à ce qu’il soit mis en place, peut aussi être un élément perturbateur ou de méfiance pour les ménages.
L’enjeu de l’épargne retraite. Comment concilier alors l’aversion des Français au risque avec le besoin de financement à long terme des entreprises ? La solution pourrait venir de l’épargne retraite. « Il existe une forte volonté des Français d’épargner pour la retraite. Cependant cette épargne se dirige vers l’immobilier (la résidence principale) ou vers l’assurance vie, mais pas vers des produits d’épargne retraite », constate Alain Tourdjman. Il est vrai que le système demeure « complexe et fragmenté », avec plus d’une dizaine de produits, « dont les choix ne sont pas déterminés par la situation ou les attentes de l’épargnant mais par son statut, la taille de l’entreprise ou encore son secteur », souligne l'économiste. Ce dernier explique donc le désintérêt des particuliers pour les produits de retraite par la grande complexité du dispositif, le manque de garanties face à l’incertitude, l’horizon de placement très long, et l’inadéquation de ces produits avec les principales préoccupations des ménages, à savoir la priorité qu’ils donnent, dans leur parcours patrimonial, à l’acquisition de leur résidence principale. « Les Français doivent être convaincus que l’épargne retraite ne va pas limiter leur projet immobilier. Il faut donc rendre compatible leur projet patrimonial de fond – l’achat de leur résidence principale – et l’épargne retraite de long terme, considère Alain Tourdjman. Il faut universaliser l’épargne-retraite et en faire un outil de sécurisation et non une contrainte dans la réalisation des projets de vie ». C’est pour cette raison que ce dernier, appelle à la vigilance sur quelques points du projet de réforme contenu dans la loi Pacte que prépare le gouvernement et présentée par Bruno Le Maire. Si l’unification et la simplification des produits de retraite sous la dénomination « Compte Avenir individuel » et « Compte Avenir professionnel » sont vues de manière favorables par Alain Tourdjman, celui-ci considère « qu’il serait une erreur de laisser de côté le PERCO, qui, de loin, reste le produit de retraite le plus dynamique par ses caractéristiques ».