Marché de l’art

Un premier semestre 2018 riche en records

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Le record du “Salvator Mundi” de Léonard de Vinci à 450 millions de dollars fin 2017 a accéléré les ventes à plus de 100 millions
Les sociétés leaders s’assurent des œuvres majeures, emportant de nouveaux records historiques, notamment pour Matisse et Monet
Le “Nu couché” de Modigliani s’est adjugé pour 26,9 millions de dollars en 2003.
Bloomberg, Le “Nu couché” d’Amedeo Modigliani s’est adjugé pour 26,9 millions de dollars en 2003.

Avant que ne débutent les grandes sessions new-yorkaises du mois de mai, les ventes d’œuvres d’art de Londres avaient déjà dégagé plus de 1,1 milliard de dollars en trois mois, annonçant une croissance positive grâce à une offre constante de lots haut de gamme de grande valeur. Puis, dix jours de ventes new-yorkaises chez Christie’s et Sotheby’s suffirent à générer le même score. Le 14 mai dernier, en effet, Sotheby’s dégageait 318,3 millions de dollars en une soirée, dont 157,3 millions pour la plus grande toile connue de Modigliani, un Nu couché (146 x 89 cm) acheté pour 26,9 millions de dollars par John Magnier lors d’une vacation Christie’s de 2003. En quinze ans, ce dernier enregistre ainsi une plus-value de l’ordre de 485 % sur la revente de ce tableau, devenu le quatrième tableau le plus cher vendu aux enchères. L’œuvre était particulièrement attendue car son prix d’estimation de 150 millions de dollars faisait d’elle l’œuvre la plus hautement estimée dans l’histoire des ventes aux enchères. Il s’agit là d’un record de vente pour la société Sotheby’s.

Les premières ventes de l’année ont aussi marqué un jalon historique pour Phillips, qui signait une vente triomphale, en vendant pour 135 millions de dollars d’art moderne et art contemporain le 8 mars dernier, soit le meilleur résultat jamais enregistré par cette société depuis sa création. Phillips, cinquième maison de ventes aux enchères mondiale selon ses résultats 2017 (470,8 millions de dollars), vient de prouver sa solidité sur la tranche la plus sensible et prestigieuse du marché de l’art, celle des œuvres multimillionnaires. Mais le résultat le plus impressionnant tient dans les 832,5 millions de dollars réalisés par la dispersion de la collection Rockefeller, orchestrée par Christie’s.

La collection qui bouleverse le marché. Estimée à plus de 600 millions de dollars, la collection Rockefeller a finalement généré 832,5 millions de dollars, bien au-dessus du précédent record de 484 millions établi par la dispersion de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé en 2009 (Christie’s, Paris). La somme est historique. Jamais une collection privée n’avait atteint une telle somme, laquelle sera reversée à une douzaine d’organisations à but non lucratif (recherche scientifique, art, enseignement supérieur, écologie, etc.), puisque David Rockefeller, petit-fils de John Rockefeller, est bien décidé à poursuivre l’engagement philanthropique familial.

Œuvre emblématique. L’œuvre la plus attendue de cette illustre collection était une toile exceptionnelle de Pablo Picasso : Fillette à la corbeille fleurie, réalisée en 1905 et mesurant 155 x 66 cm. Cette toile muséale, peinte par un Picasso de 24 ans, constitue un jalon entre les périodes bleue et rose, soit les périodes de création les plus rares sur le marché. D’abord propriété de l’écrivain Gertrude Stein avant de gagner la collection Rockefeller pour y rester pendant cinquante ans, cette toile en parfait état de conservation est partie pour 115 millions de dollars, soit quelques millions au-dessus du célèbre Garçon à la pipe, un chef-d’œuvre de la même période vendu 104 millions de dollars en 2004 (Sotheby’s, New York). Le Garçon à la pipe devenait à l’époque la première œuvre vendue au-dessus du seuil des 100 millions dans l’histoire des enchères. Si la Fillette à la corbeille fleurie ne signe pas un nouveau record absolu pour Picasso – dont le record mondial est détenu par Les Femmes d’Alger (version « O »), vendue 179,365 millions de dollars, le 11 mai 2015 (Christie’s, New York) –, elle est désormais la deuxième meilleure enchère de l’artiste le plus demandé du marché de l’art mondial.

Records multiples. D’autres records sont à signaler en provenance de cette dispersion Rockefeller, notamment celui d’Henri Matisse, dont la toile intitulée Odalisque couchée aux magnolias a établi le nouveau sommet de l’artiste en partant pour 80,75 millions de dollars. Son précédent record était de 46 millions de dollars pour une toile issue de la collection Yves Saint Laurent & Pierre Bergé, dispersée par Christie’s en 2009 (Les Coucous, tapis bleu et rose). Record aussi pour le chef de file de l’impressionnisme, Claude Monet, dont une toile aux Nymphéas en fleur a, elle, été vendue pour 84,7 millions de dollars. Enfin, un nouveau seuil de prix est à signaler pour l’artiste mexicain Diego Rivera, dont le record s’est vu augmenté de 7 millions de dollars, grâce à la vente de sa toile Los Rivales (Les Rivaux), pour 9,7 millions de dollars.

Si ces réussites tiennent d’abord au prestige des œuvres, celui de leur provenance a constitué un atout supplémentaire dans leur valorisation. Elles n’avaient, pour la plupart, pas été vues sur le marché depuis trente ou cinquante ans, soit des temps de détention particulièrement longs, de plus en plus rares dans le monde des enchères.

Revente des œuvres muséales. Si la dispersion des grandes collections privées constitue, chaque fois, un événement dans le monde de l’art, les ventes issues de collections muséales peuvent aussi être l’occasion de la réapparition, dans certains pays, de certaines œuvres sur le marché. En janvier 2018, pas moins de deux ventes étaient consacrées, chez Christie’s, à la dispersion de photographies de Garry Winogrand et de Bill Brandt, provenant des collections du musée new-yorkais. Rien de ce genre sur le territoire français par exemple, puisque les collections publiques sont inaliénables, les musées ne peuvent donc rien vendre. Cela dit, en France, la loi Aillagon a incité musées et marchands à se rapprocher : souvent, la vente de grandes collections privées donne lieu, grâce à cette étroite collaboration, à des donations importantes comme lors de la vente de la collection Christopher Forbes consacrée à Napoléon III chez Osenat à Fontainebleau en mars 2016.

Dans les pays anglo-saxons, des sociétés de vente, au premier rang desquelles Christie’s ou Sotheby’s, proposent toute une panoplie de compétences et d’expertises. Ces départements « Museums and corporate collections » proposent des aides à la collecte de fonds, des mises en relation avec des collectionneurs privés, ou d’ouvrir leurs archives aux conservateurs-chercheurs. Dans le but avoué, certes, que des œuvres de musées soient vendues chez eux. Le MoMA de New York est, par exemple, un régulier des ventes aux enchères, utilisant les fonds générés par la vente d’une partie des œuvres de ses collections pour financer de nouvelles acquisitions.


►Des collectionneurs choyés

Les grandes maisons de vente ont adopté les codes du luxe, mettant en ligne des teasers vidéo sur leurs sites internet avant l’ouverture des enchères, dépensent des sommes colossales pour faire voyager les lots phares dans les villes à plus fortes concentration de collectionneurs fortunés. C’est ainsi que le fameux Salvator Mundi de Léonard de Vinci voyageait à Hong Kong, Londres, New York et San Francisco aux frais de Christie’s avant sa mise en vente le 15 novembre 2017.

Cette année, le tour du monde le plus visité fut celui des chefs-d’œuvre de la collection de David et Peggy Rockefeller, dont la vente s’est tenue au mois de mai chez Christie’s à New York. Les œuvres de cette prestigieuse collection ont voyagé plusieurs mois avant leur mise aux enchères. A Hong Kong, elles ont été vues par 14.000 visiteurs. La logistique, les assurances, la scénographie et le marketing ont bien sûr un coût mais il est assumé, c’est le prix à payer pour attirer les collectionneurs les plus aisés à travers le monde, notamment les collectionneurs asiatiques, devenus particulièrement actifs et déterminés sur le segment de l’art occidental moderne haut de gamme. Pour disperser cette imposante collection de 1.600 lots, cinq catalogues d’exposition, trois jours de vacations, deux sessions du soir et une vente en ligne furent nécessaires.