
Un point bas serait atteint

L’Agefi Actifs.- L’année 2018 a-t-elle été conforme aux attentes sur l’évolution des taux des emprunts d’Etats ?
Vincent Chaigneau. - Il faut distinguer les taux européens des taux américains. En Europe, nous attendions une hausse des taux qui, finalement, ne s’est pas produite. Certes, au début de l’année, nous avons constaté un début de mouvement haussier, mais il s’est rapidement arrêté, sur fond d’inquiétudes sur la croissance mondiale, et européenne en particulier.
Aux Etats-Unis, la situation a été un peu différente. Au début de l’année 2018, ainsi qu’à la fin de l’été, les taux à 10 ans américains ont sensiblement progressé, avec une amplitude bien plus importante qu’en Europe. Ce mouvement était notamment dû à la normalisation de la politique monétaire de la Réserve fédérale, à la position avancée du cycle économique américain et aux mesures fiscales appliquées par Donald Trump. Mais à chaque fois, le mouvement de hausse des rendements a été suivi d’une forte correction des actions (le flash crash en février puis marché baissier au quatrième trimestre). La chute des actions, accompagnée d’une fuite vers la qualité, a provoqué une rechute des taux, les ramenant à un niveau proche de celui du début de 2018.
Que faut-il attendre des Banques centrales américaine et européenne ? Sont-elles toujours sur le chemin d’une normalisation de leur politique monétaire ?
- Aux Etats-Unis, la Fed a radicalement changé de discours en quelques mois. Alors qu’elle était bien engagée dans un mouvement de hausse des taux, elle tient maintenant un discours beaucoup plus accommodant. Plusieurs facteurs expliquent cela. D’abord, la Fed est à l’écoute des marchés, car le resserrement des conditions financières pourrait menacer le cycle de croissance. Ensuite, les tensions inflationnistes sont contenues, car même si les salaires américains ont accéléré, les prix à la consommation, hors alimentation et énergie, restent sages. La baisse du prix du pétrole participe également à juguler cette hausse. Cela montre que malgré des niveaux de chômage extrêmement bas, il n’y a pas de hausse des salaires généralisée et suffisante pour conduire à un emballement de l’inflation. La Fed est donc rentrée dans une phase de pause dans la hausse de ses taux directeurs.
De la même manière, la BCE, bien que moins avancée dans sa politique de normalisation, semble aussi ne pas vouloir agir trop vite. Certes, l’institution a cessé son programme de rachats d’actifs, mais une hausse des taux de la BCE n’aura certainement pas lieu cette année, avant la succession de son président Mario Draghi.
Quelles évolutions peut-on attendre des taux européens dans les prochains mois ?
- Même si nous avons connu des niveaux plus bas que ceux d’aujourd’hui, nous sommes tout de même proches d’un plancher sur les taux européens. D’ailleurs, la situation peut paraître atypique car le rebond des actifs risqués en ce début d’année n’est pas accompagné d’une hausse des taux. Il y a donc toujours un sentiment de méfiance forte dans le marché.
Mais, en supposant que l’activité économique se stabilise, les taux européens devraient atteindre un niveau plus élevé que celui observé actuellement. Il ne serait pas illogique qu’à horizon de la fin de l’année, le taux à 10 ans en Europe passe de 0,1 % actuellement à un niveau plus proche de 0,4 ou 0,5 %. Pour que les taux rebondissent plus amplement, il faudrait que la croissance se reprenne un peu, que l’inflation frémisse et que les actifs risqués continuent de remonter. Beaucoup d’éléments nous incitent donc à penser que la remontée des taux restera contenue. D’autant qu’en Europe comme aux Etats-Unis, les marchés d’actions ont une très faible capacité à absorber sans dommage une hausse des taux. Enfin, il faut garder à l’esprit que l’endettement global, comprenant les ménages, les entreprises et les Etats, présente un niveau plus élevé qu’en 2008, et ce même si les ménages américains se sont plutôt désendettés. Une hausse des taux rapide serait donc très pénalisante pour l’économie globale.