
Un pic mieux balisé dominé par les modernes

Meilleure année jamais enregistrée dans l’histoire des enchères (plus de 12 milliards de dollars), meilleure vente de la société Christie’s – en 247 ans d’histoire –, signée de surcroît pour l’art d’après-guerre et contemporain, record absolu d’adjudication pour une œuvre d’art avec le Britannique Francis Bacon qui culmine à 127 millions de dollars... L’année 2013 est jalonnée de près de 15.000 nouveaux records d’artistes, plus de 23.000 si l’on inclut les premières enchères.
Chine et Etats-Unis dominent le marché.
En Chine comme aux Etats-Unis, la vente d’œuvres d’art n’a jamais été si bénéfique. Le produit de ventes annuel mondial est en hausse de 13 %, passant de 10,6 milliards de dollars à 12 milliards, et l’indice global des prix de l’art prend 15 points cette année, au profit d’une progression générale de l’ordre de 80 % en dix ans. Les recettes de la Chine sont encore en hausse (+21 %) malgré une année américaine d’excellence (environ 20 % d’augmentation).
Le duopole Chine/Etats-Unis contrôle près de 70 % du marché en termes de volume d’affaires et les deux superpuissances se trouvent au coude à coude. La Chine, première place de marché mondiale, affiche 4,1 milliards de dollars de résultat ; les Etats-Unis dépassent les 4 milliards de dollars grâce à l’acharnement d’une demande mondialisée très fortunée sur les signatures trophées.
Une centaine d’artistes au firmament.
Avec 34 % d’invendus sur une offre pléthorique, le marché n’a jamais été aussi gourmand dans l’histoire et digère deux fois plus d’œuvres qu’il y a dix ans. C’est dire combien la demande s’est élargie. Les ventes ont dégagé 12,005 milliards de dollars, un record absolu dans l’histoire des enchères, en progression de 13 % par rapport au millésime 2012 et de 2,3 % par rapport au précédent record que fut l’année 2011 avec 11,78 milliards de dollars de recettes. Cette croissance du volume d’affaires repose sur un petit nombre de signatures dont les prix ne cessent d’augmenter. La moitié des recettes 2013 s’appuient en effet sur 100 artistes et 25.000 lots seulement.
L’art moderne en locomotive.
Avec un volume d’affaires de 5,7 milliards de dollars, l’art moderne s’affiche comme le pilier du marché mondial. La peinture représente la moitié des recettes modernes avec 2,84 milliards de dollars et le dessin près de 40 % avec près de 2,3 milliards de dollars, sans compter sur les sculptures (près de 387 millions de dollars, contre 115 millions de dollars en 2003) et la photographie, dont le volume d’affaires a doublé en dix ans (passant de 20 millions de dollars à 40 millions de dollars). Sur ce secteur pictural d’une grande densité (plus de 178.000 lots vendus en 2013), peu s’élèvent au-delà du million (707 œuvres millionnaires en 2013, soit 0,3 % des œuvres) et le cœur du marché se trouve plutôt dans une gamme de prix abordable à moins de 5.000 dollars, une tranche qui concerne 70 % des pièces, bien souvent des estampes il est vrai.
Parmi ceux dont l’œuvre se décline aussi en estampes reviennent les noms de Picasso, Monet, Renoir, Miro ou Kandinsky, des valeurs sûres qui furent d’ailleurs récompensées d’une nouvelle enchère à plus de 10 millions de dollars cette année.
Très peu d’offres sur les maîtres anciens.
De plus en plus rares en salles, les maîtres anciens ne comptabilisent cette année que sept œuvres dans le classement des 100 meilleures adjudications, quand on en compte le double pour des artistes encore vivants et actifs.
Il n’empêche, les amateurs d’art ancien, secteur sûr s’il en est, sont prêts à débourser plus de 20 millions de dollars pour un portrait flamboyant réalisé par Fragonard et à faire passer le record de Bartolomeo Della Porta de 4,3 millions de dollars à 11,5 millions de dollars avec The Madonna and child vendu le 30 janvier 2013 chez Christie’s, New York. Les occasions d’enchérir sont bien trop rares pour prédire les résultats de tels chefs-d’œuvre au million près (seules 24 pièces de Della Porta ont émergé sur le marché des enchères depuis 1986).
Face à la pénurie d’œuvres majeures sur toiles ou sur panneaux, les collectionneurs se rabattent sur d’autres supports créatifs, notamment le dessin dont le volume d’affaires a explosé de près de 1.900 % depuis 2003. En dix ans, le dessin ancien est devenu un marché plus juteux que celui de la peinture. Il représente aujourd’hui plus de 583 millions de dollars de produit de ventes, près de 57 % du marché de l’art ancien, contre 405 millions de dollars pour la peinture.
Accélération sur l’art contemporain.
Les maisons de ventes se reportent sur l’art d’après-guerre et l’art contemporain, segment le mieux alimenté du marché... et le plus rentable à l’aune de la décennie : son indice de prix affiche une hausse de 102 %, contre 76,7 % de hausse pour l’art d’après-guerre et 18 % de hausse pour l’art moderne. Seul l’art du XIXe siècle et l’art ancien affichent un indice des prix en berne (respectivement -20 % et -16 %) car ces marchés sont soumis à la raréfaction de pièces majeures.
C’est à cette période créative que l’on doit la plus belle vente de l’histoire des enchères, celle qui s’est tenue le 12 novembre 2013 à New York. Ce jour-là, la cession de prestige d’art d’après-guerre et contemporain de Christie’s affichait déjà une ambition hors du commun avant le début des enchères car l’estimation globale espérée dépassait les 500 millions de dollars, des attentes largement au-delà des meilleures cessions passées. Le résultat final de 609 millions de dollars a donné raison à Christie’s et témoigne une fois encore de la puissance du marché haut de gamme contemporain, secteur qui n’a jamais été aussi compétitif et spéculatif. La précédente vente record dans le domaine était enregistrée en mai 2013 chez Christie’s, à hauteur de 435 millions de dollars (le 15 mai 2013).
Avec 609 millions de dollars générés le 12 novembre, Christie’s a réalisé la plus belle vente aux enchères de tous les temps... La réussite historique de cette vacation ne repose pas seulement sur le fameux triptyque de Francis Bacon, nouveau record mondial à 127 millions de dollars. Neuf autres records complètent le palmarès de Christie’s, ce jour. Ils récompensent Jeff Koons – devenu l’artiste vivant le plus cher au monde avec les 52 millions de dollars décrochés pour Balloon Dog (Orange) –, Christopher Wool, Lucio Fontana, Donald Judd, Wade Guyton, Vija Celmins, Ad Reinhardt, Willem de Kooning et Wayne Thiebaud.
Nouveaux acheteurs.
L’escalade des prix, les ventes de prestige devenues le théâtre d’une compétition effrénée où la prise de bénéfice peut grimper de plusieurs millions en quelques minutes sont-elles le symptôme d’une nouvelle bulle spéculative ? La réponse est non, selon les acteurs du marché, qui considèrent que la donne a profondément changé. En effet, le marché de l’art haut de gamme repose non plus sur une poignée d’acheteurs fortunés dont le retrait du jeu conduirait à un effondrement global, mais il est désormais alimenté par un nombre grandissant d’acquéreurs richissimes conquis par les hautes sphères du marché de l’art, pour des raisons diverses et variées.