
Un coup de semonce sur les marchés
A la fin de l’année dernière, déjà, les allocataires s’attendaient à un retour de la volatilité sur les marchés d’actions. Après quelques semaines de calme au début de 2018, c’est aujourd’hui devenu une réalité. En quelques jours, entre la fin du mois de janvier et le début du mois de février, l’indice VIX, mesurant la nervosité sur le marché américain, est passé d’un peu plus de 11 à plus de 18. Même si la valeur de cet indicateur a presque doublé, cela ne signifie pas que les opérateurs sont tous gagnés par la panique. Pour mémoire, le VIX a plusieurs fois dépassé ces niveaux en 2016 et touché les 40 à la fin de l’été 2015, lorsque étaient apparues des craintes de dévaluation de la monnaie chinoise.
Il n’empêche, si quelques semaines après cet épisode la tension reste mesurée, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, il est légitime de s’interroger sur ce que signifie ce retour du risque. Car, en quelques séances fin janvier et début février, les marchés d’actions européens ont totalement effacé leurs gains des premières semaines de 2018. Alors que, le 22 janvier, le CAC 40 affichait une progression de 4,3% depuis le début de l’année, il est passé en territoire négatif au début du mois de février. Le 12 de ce même mois, l’indice de la Bourse de Paris affichait environ 5.150 points, soit un niveau comparable avec celui de la fin de l’été 2017.
De la même manière, pendant la même période, les marchés américains, qui culminaient à plus de 7% le 29 janvier, se sont retournés, pour, eux aussi, devenir négatifs. Les Bourses américaines enregistrant même un repli de plus de 4% (-4,21% pour le S&P 500 et -4,77% pour le Dow Jones) pour la seule séance du lundi 5 février.
Alors que ce sont traditionnellement des mauvaises nouvelles qui servent de catalyseur à une baisse des marchés, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Ce sont les bons chiffres du marché de l’emploi américain qui ont servi de prétexte à la correction.
L’économie toujours bien orientée. Si cette baisse des marchés, accompagnée d’une remontée de la volatilité, peut inquiéter certains investisseurs, de nombreux gérants restent rassurés – et rassurants –, arguant qu’elle n’est pas la conséquence d’une déception sur les chiffres macroéconomiques. Au contraire. Au mois de janvier, le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi revu ses prévisions de croissance à la hausse, à un taux de 3,9% pour 2018, « le plus élevé de ces sept dernières années », constate Timothy Lintern, stratégiste multi-asset solutions chez JPMorgan AM, qui souligne en outre que les deux premières économies mondiales, la Chine et les Etats-Unis, ont affiché « des chiffres de croissance impressionnants » au quatrième trimestre 2017. Malgré les tensions sur les marchés au début du mois de février, Pascale Auclair, la présidente de La Française Asset Management, estime toujours que « pour 2018 l’ensemble des fondamentaux aussi bien macroéconomiques que microéconomiques restent bien orientés ».
Cette bonne tenue de l’économie a été, aux Etats-Unis notamment, accompagnée d’une révision à la hausse des profits des entreprises. « Les attentes concernant le bénéfice par l’indice S&P 500 sont passées de 145 dollars mi-décembre à 156 dollars aujourd’hui, et 179 pour 2019. De ce fait, le PER 2018 des actions américaines est désormais de 17,7 et celui de 2019 de 16, ce qui reste plutôt dans ses normes historiques élevées, mais pas excessives », observait Jean-Marie Mercadal, directeur général délégué en charge des gestions d’OFI AM, au début du mois de février.
Pour la zone euro, pas non plus de crainte à avoir du côté de la croissance. A la fin janvier, les premières estimations d’Eurostat, l’office de statistique de l’Union européenne, font état d’une croissance de 2,5% pour la zone euro, la plus dynamique depuis les 3% observés en 2007. « Le rebond de la croissance [de la zone euro] est extraordinaire et généralisé, déclarait Kommer van Trigt, responsable de l’équipe Global Fixed Income Macro de Robeco, juste après la publication de ces chiffres. Elle est désormais égale à celle des Etats-Unis, et les indicateurs de confiance des producteurs se situent à des niveaux historiques. L’embellie régulière au sein des pays et des secteurs est de bon augure pour l’activité économique en 2018. » Les estimations à mi-février, d’une croissance à 2,7%, confortent cet optimisme.
Tensions sur les taux. Si tout va pour le mieux sur le plan macroéconomique, comment expliquer alors ce brusque retournement des marchés ? Le catalyseur est venu – comme souvent – des Etats-Unis. Au tout début du mois de février, la publication des chiffres de l’emploi américain a brusquement fait prendre conscience que la situation du pays pouvait s’emballer. « Ce qui a surpris les investisseurs n’est pas le nombre de créations d’emplois, plutôt conforme aux attentes, mais les chiffres de l’inflation salariale, de 2,9%, bien supérieurs aux attentes », explique Pascale Auclair. Les marchés de taux ont vu dans ces chiffres les premiers signes d’une inflation des salaires plus forte qu’attendu, ce qui a eu comme conséquence de faire immédiatement remonter les taux, les opérateurs craignant une réaction de la Banque centrale.
Le taux à dix ans américain est ainsi passé de 2,4% à 2,88% depuis le début de l’année. Par contagion, les taux européens ont suivi le mouvement, le taux à dix ans allemand passant de 0,42% à 0,77% pendant cette période, et l’OAT française de 0,78% à 1,01%, ce qui a, mécaniquement, provoqué une baisse des actions des deux côtés de l’Atlantique. Car cette hausse des taux a un effet immédiat sur la valorisation des actions, rend l’arbitrage entre actions et produits de taux plus favorable à ces derniers et, à plus long terme, une hausse des taux entraîne un coût de financement plus élevé pour les entreprises.
Mouvements techniques. Une autre raison de cette correction tient à des éléments beaucoup plus techniques. La hausse de la volatilité, naturelle au début du mouvement de baisse, a provoqué le débouclage des positions d’une multitude de produits liés à la volatilité. « La vraie raison derrière la chute brutale du marché américain qui s’est produite lundi soir était liée à une correction technique, et non à des craintes liées à l’inflation, comme en témoigne la baisse des rendements obligataires durant le mouvement de vente sur le marché actions, explique Nadège Dufossé, responsable de l’allocation d’actifs chez Candriam. Cette correction est le résultat de la vente systématique et du rachat d’importantes positions à découvert sur l’indice de volatilité (VIX). » Mais même si les séances qui ont suivi ont été perturbées, « la chute en séance de 10% de l’indice Dow Jones le lundi 5 février, qui a été partiellement rattrapée, tend à montrer que le gros des débouclages des positions a été fait », rassure cependant un gérant.
Forces de rappel. Plusieurs choses sont ainsi à retenir de l’épisode de début février. En premier lieu, le retour anticipé de la volatilité a bien eu lieu. Et il va falloir que les investisseurs s’habituent à la présence sur le marché d’intervenants qui peuvent, le cas échéant, accroître ces perturbations. Faut-il s’en inquiéter ? Si ces mouvements constituent sans aucun doute une alerte pour les investisseurs, sonnant la fin d’une progression ininterrompue des marchés, la plupart des professionnels estiment que la remontée des taux, malgré des mouvements erratiques comme ceux observés ces dernières semaines, se fera progressivement et que les fondamentaux sur les actions restent très solides. En conséquence, les allocations stratégiques n’évoluent que peu, même si tactiquement les expositions aux actions peuvent être momentanément réduites.
Une croissance forte et toujours solide
Quoi qu’il se passe actuellement sur les marchés, la raison des inquiétudes ne vient pas d’un possible ralentissement de l’économie. En Europe, après une croissance de 1,8% en 2016 et de 2,5% en 2017, le consensus des économistes attend toujours une hausse du PIB de 2,3% en 2018.
Ces chiffres ont, par ailleurs, tendance à être revus à la hausse puisque, pour le premier trimestre de l’année, les attentes sont plutôt à 2,4% de croissance annualisée attendue.
Aux Etats-Unis, la croissance de 2,3% de 2017 est attendue en hausse par le consensus en 2018, à 2,7%, après le vote de la réforme fiscale. Comme en Europe, le début du premier trimestre semble largement confirmer ces chiffres puisque le consensus attend, pour les trois prochains mois, une croissance plus proche de 2,8%.
Les chiffres du PIB ne sont pas les seuls à augurer d’une situation très favorable pour l’économie mondiale dans les prochains mois. Aux Etats-Unis comme en Europe, presque tous les indicateurs avancés, comme les PMI, sont aussi au vert.