Investissements TEPA

Pas de responsabilité personnelle des dirigeants d'Arkeon

Les CGP qui n'ont pas été payés de leurs commissions ne peuvent pas actionner la responsabilité des représentants d'Arkeon
Leur action est prescrite au motif qu’ils avaient trois ans pour agir à compter de la révélation des difficultés de l’entreprise
DR, Stéphane Choisez, avocat au cabinet Choisez & Associés

Le 5 mars dernier, le tribunal de commerce de Paris a débouté les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) qui ont actionné la responsabilité des dirigeants de la société Arkeon pour obtenir le dédommagement du préjudice subi après que la société a cessé de les rétribuer. Celle-ci offrait, en qualité de prestataire d’investissement, des placements défiscalisés destinés à des investisseurs particuliers. Initialement, Arkeon exerçait une activité de financement de PME cotées avant de développer en 2008 une offre de placements défiscalisés dans de petites entreprises. Ces produits étaient commercialisés à hauteur de 60 % par des conseillers en gestion de patrimoine qui se voyaient rétrocéder une partie des commissions facturées aux clients. Deux autres entités dénommées Arkeon Gestion et Arkeon Patrimoine assuraient respectivement la conception et la gestion des actifs, et le développement de la clientèle. Contactés par la rédaction, les avocats de la société et du conciliateur n’ont pas souhaité s’exprimer.

Avertissement. Alertée par d’importantes pertes financières - 242.000 euros en 2011 et 1.129.000 euros en 2012 - l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a ouvert le 18 mars 2013, une procédure disciplinaire à l’encontre d’Arkeon. Le régulateur reprochait à la société une insuffisance de fonds propres au regard des exigences réglementaires qui étaient les siennes. Les dispositions visées (1) prévoient que les entreprises d’investissement doivent disposer d’un capital libéré d’un montant au moins égal à 1.100.000 euros, soit un ratio de solvabilité de 8 %, dès lors qu’elles fournissent un ou plusieurs services d’investissement tout en détenant les fonds appartenant à la clientèle. Or, il ressort des travaux de la Banque de France et de l’ACPR qu’Arkeon était en infraction à la réglementation relative au capital minimum de façon continue depuis le 31 décembre 2011, ce qui pouvait justifier le retrait de son agrément même en l’absence d’élément intentionnel. Fin 2012, l’insuffisance de fonds propres atteignait 1.162.000 euros.

De multiples procédures disciplinaires. La société d’investissement explique cette insuffisance par l’impact de la crise financière sur son activité historique, qui a été aggravé par les effets négatifs des deux procédures disciplinaires devant l’Autorité des marchés financiers (AMF) ayant abouti pour la première à une sanction suspendue par le Conseil d’État, et pour l’autre à sa mise hors de cause. Pour sa part, l’ACPR a pris une décision en demi-teinte en prononçant un blâme à l’encontre d’Arkeon assorti d’une sanction pécuniaire de 100.000 euros. Si l’autorité de contrôle reconnaît l’indéniable manquement de l’entreprise d’investissement à ses obligations prudentielles, elle retient toutefois que ses dirigeants ont déployé une série de mesures de restructuration pour réduire ses charges de fonctionnement et se concentrer sur des activités rentables. Si bien qu’au 31 décembre 2013 la société avait mis fin à ce manquement et ses fonds propres s’élevaient à près de 1.700.000 euros. En conséquence de quoi la société a été sanctionnée uniquement sur la période 2011-2012.

Transfert de créances. Pour parvenir au ratio requis, la société Arkeon Finance a cédé sa clientèle et sa dette de commissions à une autre entité du groupe, Arkeon Patrimoine. Un changement de débiteur accepté début 2014 par les CGP. Pourtant, cette restructuration de la dette n’a pas suffi à redresser l’activité des sociétés Arkeon qui, en juillet 2015, ont été confrontées à de nouvelles difficultés financières. Une situation qui a conduit le tribunal de commerce de Paris à nommer un conciliateur chargé d’assister les dirigeants dans leurs négociations avec leurs créanciers. Le 1er mars 2016, les trois sociétés du groupe étaient placées en liquidation judiciaire.

Saisine du tribunal de commerce. Huit CGP, qui ont pris part à la commercialisation des produits Arkeon, ont intenté une action en responsabilité auprès des dirigeants d’Arkeon et du conciliateur.
Au 21 juin 2017, date de l’assignation, les courtiers alléguaient une créance cumulée de 396.000 euros et faisaient valoir selon les termes de leur avocat, Stéphane Choisez, cabinet Choisez & Associés, « que les dirigeants d’Arkeon avaient procédé à une réorganisation artificielle en laissant croire que les sociétés cessionnaires des dettes seraient en mesure de les honorer. C’est à ce titre qu’ils doivent répondre personnellement des fautes commises dans leur gestion ». Par ailleurs, « les demandeurs ont également assigné le conciliateur qui, avant de proposer un règlement de leurs rétrocessions aux CGP aurait dû vérifier que le groupe était en mesure de s’acquitter de sa dette. Il a donc manqué à ses obligations en proposant un échéancier de paiement qui ne pouvait pas être respecté. Une manœuvre visant à tromper les CGP sur la situation financière de l’entreprise », affirme l’avocat.

Débat autour de la prescription. Devant le tribunal de commerce de Paris, les demandeurs se sont heurtés à une fin de non-recevoir, puisque les magistrats ont jugé prescrite leur action contre les dirigeants d’Arkeon. Comme l’ont relevé les juges, l’action en responsabilité se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, à compter de sa révélation. Ainsi, tout l’enjeu des débats était d’établir le point de départ de la prescription, question sur laquelle les parties s’opposaient. Dans une décision du 5 mars 2019, le tribunal parisien a jugé que la révélation des faits - qui fait courir le délai de prescription - ne saurait être postérieure au 19 mars 2014, date du prononcé de la sanction de l’ACPR. Une décision publique et librement consultable au secrétariat de l’ACPR, soulignent les magistrats. Ceux-ci précisent par ailleurs que les difficultés de l’entreprise étaient notoires dès le mois d’août 2013, date de publication des comptes sociaux de 2012, qui laissaient apparaître d’importantes pertes. Dans ces conditions, les juges ont estimé que les demandeurs ne pouvaient pas se prévaloir sur cette période de la dissimulation des faits. En conséquence, l’action qu’ils ont introduite en juin 2017, soit plus de trois ans après la décision de l’ACPR, est donc irrecevable.

Controverse sur la date de révélation des faits. Un jugement que Stéphane Choisez qualifie d’aberrant. « Comment mes clients pouvaient-ils déduire que la situation d’Arkeon était irrémédiablement oblitérée dès 2014, alors même que l’ACPR avait donné un satisfecit à la société eu égard aux opérations financières mises en œuvre pour restaurer le ratio de capitaux propres ? Cette même autorité qui n’a sanctionné Arkeon que sur la période 2011-2012 après avoir constaté, d’après les conclusions des commissaires aux comptes, un retour à la normale dès le 31 décembre 2013. Ce qui d’ailleurs a permis la poursuite d’activité du groupe ». L’avocat pense que le tribunal n’a pas pris connaissance de la décision de 2014. « La nécessité pour Arkeon de reconstituer ses fonds propres n’a à aucun moment été portée à la connaissance des CGP dont la dette était prétendument cédée pour faire évoluer l’organisation de la société. La logique était de maquiller un ratio de solvabilité désastreux pour mieux cacher l’insolvabilité de l’entreprise », affirme Stéphane Choisez. « Ainsi Arkeon a dissimulé ses difficultés jusqu’au 1er mars 2016, date de sa mise en liquidation. C’est donc à ce moment que la révélation des faits a eu lieu et que la prescription a commencé à courir », martèle-t-il. Quant au conciliateur, sa responsabilité a également été écartée, le tribunal n’ayant relevé aucune faute. L’avocat prévient : « l’affaire ne s’arrêtera pas là. D’une part parce que nous ferons appel de la décision et d’autre part parce que des associations de petits porteurs se sont emparées du sujet ».

Défense des investisseurs. L’Association de défense des investisseurs Arkeon (A3DIA) est constituée exclusivement de clients directs du groupe Arkeon. Alain Gubler, qui a participé à la création de l’association, revient sur les reprises successives des actifs gérés par Arkeon. « En avril 2016, ETI Finance a racheté à la barre du tribunal le fichier des clients et des apporteurs d’affaires d’Arkeon pour poursuivre la gestion administrative des investissements. Puis celle-ci s’est totalement retirée de l’activité en juillet 2017. Elle a confié l’administration de ces portefeuilles à un fonds d’investissement dénommé Headway qui a créé un nouveau véhicule d’investissement nommé Alienor, via une structure luxembourgeoise. Depuis, la société GSD Gestion a récupéré le suivi d’environ un millier de porteurs directs et travaille en étroite collaboration avec A3DIA ». Selon Alain Gubler, « la valorisation nette des portefeuilles oscille entre 15 % et 50 % des montants investis, soit 30 % à 100 % de leur valeur initiale en tenant compte des avantages fiscaux à l’entrée et à la sortie. L’objectif de l’association est de procéder progressivement à la cession des actifs, sachant qu’une revente massive des titres entraînerait un risque d’effondrement du marché. Les premières cessions pilotées par A3DIA sont intervenues en décembre 2018, mais nous savons d’ores et déjà que le dénouement de ce dossier se fera sur plusieurs années », conclut Alain Gubler.


(1) Art. 1er du règlement n°90-02 et art. 3 du règlement n°96-15