Prêt in fine

Pas de préjudice avant l’échéance d’un prêt

La Cour de cassation refuse l’indemnisation d’un préjudice non réalisé en matière de crédit in fine adossé sur un contrat d’assurance vie
La responsabilité de la banque pour manquement à l’obligation de mise en garde ne peut dès lors être retenue
Anthony Bem, avocat, cabinet Bem

En l’espèce (1), un particulier considéré comme profane a souscrit un prêt in fine en 2008 remboursable en 2020, en vue d’acquérir un bien immobilier en Vefa destiné à la location, et garanti par le nantissement d’un contrat d’assurance vie. Voyant au fil du temps l’opération tourner à son désavantage, l’emprunteur a assigné sa banque en responsabilité, estimant que celle-ci avait manqué à son obligation de mise en garde.
La banque a été condamnée en appel à le dédommager, aux motifs que les performances de son contrat d’assurance vie nanti, ainsi que de ses autres placements « présentaient un caractère aléatoire » et que si, à l’échéance du prêt, l’emprunteur ne disposait pas des fonds nécessaires à son remboursement, il s’exposerait à la vente de l’appartement financé sans avoir l’assurance qu’il en retirerait un prix suffisant pour apurer sa dette. Les juges du fond ont considéré que la banque n’a pas prouvé s’être assurée que le particulier avait « pris conscience du risque d’endettement excessif auquel l’exposait cette opération » ; ce manquement lui ayant fait « perdre une chance de ne pas contracter le prêt litigieux ». 

Risque pas réalisé. Une décision rejetée par la Cour de cassation, qui retient que si « le manquement d’une banque à l’obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque suppose que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt ». Or en l’espèce, le terme du prêt n’était pas échu, « de sorte que le risque, sur lequel la banque s’était abstenue de mettre (l’emprunteur) en garde, ne s’était pas réalisé ». La cour d’appel, qui a donc indemnisé un préjudice éventuel, a violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016. « C’est un arrêt de bon sens, analyse Benjamin Blanc, avocat à Bordeaux. Dans le cadre du devoir de mise en garde, on sanctionne la perte de chance de ne pas contracter, ce qui s’apprécie au jour où l’emprunteur souscrit le prêt ». En ce sens, l’arrêt ne rompt pas avec la jurisprudence (2), selon lui. Une solution orthodoxe également pour Anthony Bem, avocat à Paris : « Nous sommes dans l’hypothèse d’une obligation fondée sur le risque d’endettement né de l’engagement, dont le montant de l’indemnisation est apprécié souverainement par le juge. Cependant, ce n’est qu’à partir du moment où l’endettement excessif se réalise que le préjudice existe et donc que l’emprunteur peut agir en justice sur le fondement de la violation de l’obligation de mise en garde de l’endettement excessif par la banque prêteuse ».

Quelles options pour l’emprunteur avant l’échéance du prêt ? Il est possible de « transiger avec l’établissement prêteur, ou transformer le crédit en prêt amortissable », selon Benjamin Blanc. Mais attention à la prescription. Dans le cas d’un crédit amortissable, où le remboursement d’une partie du capital et des intérêts se fait à dates contractuellement prévues, généralement mensuellement, « l’action en responsabilité à l’encontre de la banque se prescrit par cinq ans. Le point de départ de la prescription est fixé au jour de la souscription du prêt, explique Benjamin Blanc. Avec cet arrêt, la Cour de cassation précise que, dans le cadre d’un crédit in fine assis sur un produit d’épargne, le point de départ du délai de prescription court au jour du dommage, c’est-à-dire au jour où le prêt est exigible ». Sur le terrain du manquement à l’obligation de conseil, un prêt in fine garanti par un contrat d’assurance vie est aussi susceptible de constituer un financement complexe mettant en jeu le devoir de conseil de la banque. Dans ce cas,
« la jurisprudence considère que le préjudice réparable s’analyse en une perte de chance de mieux investir ses capitaux (3) », conclut Anthony Bem.


(1) Cass. com., 13 fév. 2019, n° 17-14.785.
(2) Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-21.260.
(3) Cass. com., 4 fév. 2014, n° 13-10.630.