Orpea inquiète encore en doublant ses dépréciations d’actifs

Bruno de Roulhac
Son patrimoine immobilier n’est plus valorisé que 6 milliards d’euros, contre 8 milliards fin 2021. La dette financière flirte avec les 10 milliards.

A quelques jours de la clôture des comptes 2022, Orpea continue de charger sa barque. L’exploitant de cliniques et de maisons de retraite vient de doubler le montant de ses dépréciations d’actifs. La fourchette de 2,1 à 2,5 milliards d’euros annoncée le 26 octobre dernier est passée de 5 à 5,4 milliards d’euros avant impôts. Une nouvelle sanctionnée par une baisse de 5,3% de l’action, en chute de 93% depuis le début de l’année.

Ces dépréciations couvrent principalement les actifs immobiliers à hauteur de 2 à 2,1 milliards, les actifs incorporels (survaleurs et autorisations d’exploitation) pour 2,5 à 2,7 milliards, et les créances financières relatives à des partenariats pour 400 millions.

Le doublement des dépréciations sur l’immobilier s’explique principalement par l’analyse du patrimoine non soumis à une évaluation externe, et qui n’avait pas encore été expertisé en interne en octobre. Il s’agit essentiellement d’actifs en construction, d’actifs détenus en copropriété et de certains actifs à caractères spécifiques (faible taille, sites en restructuration…). Orpea a eu pour objectif d’« éliminer des non-valeurs liées à des actifs sortis de l’exploitation et [de] refléter aussi fidèlement que possible la valeur des actifs en exploitation en se basant au maximum sur des références de marché ». Sur les seules constructions en cours, valorisées 1 milliard d’euros fin 2021, Orpea passe de 600 à 700 millions de dépréciations. C'est « l’élément le plus choquant de la publication d’Orpea, s’étonne Alain Lopez, analyste crédit chez Octo Finances. Cela signifie que le pipeline est construit à perte. Ne fallait-il pas plutôt payer les pénalités et arrêter rapidement ces projets ? »

Faibles taux de rendement retenus

Sur l’immobilier faisant l’objet d’une expertise annuelle indépendante, Orpea a maintenant intégré une dépréciation supplémentaire de 300 millions, pour tenir compte de la hausse des taux de rendement immobilier à 5,5% en moyenne, contre 5,3% en 2021. « Nous sommes agréablement surpris par les taux de rendement retenus par les experts, confie Alain Lopez. Nous nous attendions au-moins à une hausse de 50 points de base (pb), compte tenu de la détérioration de plus de 250 pb de l’OAT en un an ». Pour sa part, Korian valorise ses actifs immobiliers à la valeur historique et non à la fair value. S’il devait subir un relèvement du taux de capitalisation du même ordre que celui d’Orpea (20 points de base), cela affecterait à hauteur d’une centaine de millions d’euros la valorisation de ses actifs immobiliers, ce qui serait sans impact sur ses comptes, assure Korian à L’Agefi.

Orpea valorise désormais son patrimoine immobilier entre 6 et 6,1 milliards d’euros, contre 8,4 milliards fin 2021. 83% du patrimoine a fait l’objet d’une expertise indépendante. La partie du patrimoine immobilier non évalué par des experts indépendants est valorisée entre 0,9 et 1 milliard d’euros, contre 1,8 milliard fin 2021. De plus, Orpea exclut certains actifs du patrimoine immobilier (essentiellement des agencements et des équipements réalisés sur des actifs immobiliers en exploitation) pour près de 800 millions d’euros. « Une mauvaise surprise, pour un montant élevé », ajoute Alain Lopez.

En outre, Orpea a l’intention de sortir du champ d’application de la norme IAS 16 les réévaluations des actifs immobiliers. Ce changement de méthode comptable induirait une réduction complémentaire de l’ordre de 650 millions d’euros de la valeur comptable des actifs immobiliers à fin 2022. « Pourquoi ce changement, sans explications ? s’interroge Alain Lopez. Sans doute pour éviter une trop forte volatilité sur les comptes, sur la fiscalité et sur les dividendes ».

Orpea attend des offres fermes en janvier

Sur la longue route de la restructuration financière, les négociations avec les créanciers se poursuivent dans le cadre de la conciliation. Au 1er décembre, la dette financière du groupe dépassait les 9,5 milliards d’euros, pour une trésorerie de 799 millions, correspondant à une liquidité de 599 millions d’euros « compte tenu des besoins minimaux de numéraire pour assurer le fonctionnement courant », précise le communiqué.

Afin de couvrir les besoins de financement d’Orpea jusqu’au début de l’été, la situation deviendra critique en février. Le groupe compte lever 600 millions d’euros de nouvelles dettes garanties sur des actifs du groupe. Les offres fermes sont attendues courant janvier 2023, pour un financement effectif en février 2023. Pour l’augmentation de capital annoncée de 1,3 à 1,5 milliard d’euros, les offres fermes sont également sollicitées pour le mois de janvier 2023.

Pour sa part Concert’o – concert composé de Nextstone Capital et de Mat Immo Beaune – deuxième actionnaire d’Orpea avec 5,5% du capital, propose une augmentation de capital de 500 millions et la signature d’une ligne de crédit (RCF) de 500 millions ouverte en priorité aux créanciers non sécurisés qui obtiendraient en échange un rang de séniorité plus élevé sur leurs créances non sécurisées existantes. Concert'o propose également de convertir le solde de la dette non sécurisée d’Orpea, de 2,8 milliards d’euros, en Obligations remboursables en actions ou rachetables par la société (ORAR). Contacté par L’Agefi suite aux annonces d'Orpea,Concert’o n’a pas souhaité s’exprimer.

« La communication d’Orpea nous paraît toujours insuffisamment transparente, conclut Alain Lopez. Alors que les discussions avec les créanciers semblent au point mort, faute de concessions de la direction sur son plan de restructuration, la tension entre les parties pourrait monter. Les obligataires sont très courroucés par la première conciliation qui les a fortement subordonnés, d’autant que leur papier ne vaut plus qu’environ 20% du nominal. La direction semble jouer la montre et se diriger tout droit vers la sauvegarde ».