
Noms des fonds ESG et durables : les gestionnaires européens sceptiques

Après avoir passé le dernier trimestre 2022 à reclasser leurs fonds SFDR (du nom du règlement européen sur la publication d'informations extra-financières), les sociétés de gestion devront-elles renommer leurs fonds durables ? La question va rapidement se poser puisque le régulateur européen des marchés financiers Esma devrait avoir tranché sur ses futures orientations en matière de dénominations de fonds durables au troisième trimestre 2023.
Le superviseur souhaite mettre en œuvre des règles d’investissement durable minimum pour les fonds distribués dans l’Union européenne utilisant des termes comme ESG, impact ou durable dans leurs dénominations. L’Esma réfléchit ainsi à imposer un seuil de 50% d’investissement durable minimum pour les fonds européens dont les noms comportent des termes relatifs à la durabilité dans leur dénomination. Pour les fonds qui voudraient conserver la mention ESG ou une mention relative à la notion d’impact, ce seuil serait de 80%. Ces ratios se baseraient sur la définition d’investissement durable telle qu’incluse dans le règlement européen sur la publication d’informations sur la durabilité dans le secteur financiers SFDR. Or, cette définition est encore bien trop floue et doit faire l'objet de clarifications par la Commission européenne, comme le pointe l’association européenne des gestionnaires d’actifs Efama.
L’organisation a dévoilé, ce mardi, sa réponse à la consultation de l’Esma sur la dénomination des fonds durables. Elle se montre extrêmement sceptique vis-à-vis des propositions d’orientations du gendarme financier européen.
De la pertinence des seuils
Dans sa réponse, l’association questionne la pertinence des seuils quantitatifs voulus par l’Esma et veut comprendre ce qui justifie que ces seuils soient situés à 80% et 50%. Elle admet cependant que la barre doit être placée suffisamment haute pour les fonds ESG/impact. Si l’Esma décidait de conserver le ratio de 80% pour les fonds comportant des termes comme ESG ou impact, l’Efama souligne qu’il serait préférable que les instruments utilisés pour couvrir ou gérer efficacement un portefeuille (cash, équivalents de cash et dérivés) soient exclus du ratio. Dans le cas contraire, il faudrait l’abaisser pour que les gérants puissent, par exemple, faire face à des circonstances de marché extraordinaires. Les gestionnaires européens estiment que certaines classes d’actifs, stratégies voire des régions géographiques pourraient être mises de côté à cause de ce ratio de 80% alors même qu’elles contribueraient à financer la transition vers une économie plus durable.
Concernant le seuil de 50% pour les fonds comportant une notion de durabilité dans leurs fonds, l’Efama juge qu’il est « difficile à dire » que ce seuil soit le bon. Le lobby avance que les standards sont plutôt de l’ordre de 10 à 20% à en juger les fonds catégorisés Article 8 selon SFDR. Plutôt qu’un seuil, l’Efama juge d’ailleurs qu’il serait « plus proportionné » de demander aux fonds utilisant des termes liés à la durabilité dans leurs noms, qu’ils reflètent cette notion de durabilité dans les objectifs d’investissement. Autrement dit, que les gérants mettent en évidence les caractéristiques, thèmes et objectifs de durabilité dans la documentation de leurs fonds, comme le demande déjà le règlement SFDR.
« Etant donné que nous attendons toujours la réponse de la Commission européenne aux superviseurs sur l’opérationnalisation de la définition des investissements durables selon SFDR, nous pensons que ce n’est pas le bon moment pour imposer des paramètres sur l’utilisation de « durable » dans une dénomination de fonds. Cela préempterait la réponse à venir de la Commission européenne. Mettre en place un seuil quantitatif, alors que la définition sous-jacente d’investissement durable manque de clarté et qu’il n’existe pas d’égalité de traitement entre produits, ne répondra pas aux préoccupations relatives à l'écoblanchiment », soutient l’Efama.
L’association ajoute qu’elle serait prudente vis-à-vis de tout seuil quantitatif d’investissements durables pour les fonds à impact étant donné la nature diverse de leurs investissements et le manque de données fiables. Concernant les stratégies dites de transition, des ratios pourraient s’avérer tout aussi difficiles à appliquer. D’autant plus qu’il n’est pas clair pour l’Efama si les stratégies de transition peuvent être catégorisées article 9 au sens de SFDR et considérées comme des investissements durables.
Incompatibilité
Enfin, les gestionnaires européens craignent une absence d’interopérabilité de ces règles avec d’autres textes réglementaires auxquels se plient les gérants. Comme Mifid II et le fait de demander aux clients leurs préférences en matière d’investissement durable ou un éventuel amendement en profondeur de SFDR.
A propos de SFDR, l’Efama fait aussi référence aux « angles morts » de l’interconnexion de textes réglementaires européens. Selon l’association, il faut éviter toute situation dans laquelle un fonds serait en ligne avec les critères des classifications Article 8 ou 9 de SFDR mais ne pourrait pas utiliser ESG ou durable dans son nom car les seuils de l’Esma ne seraient pas atteints.
Un risque de confusion auquel s’en ajoute un autre pour l’association. Celle-ci estime que le fait de distinguer « ESG » et « durable » rendra confus les investisseurs particuliers et ne voit pas de raison de traiter différemment ces deux notions. Sans contexte, les dénominations de certains fonds pourraient être mal interprétés et impactés par les règles proposées par l’Esma. Les termes « responsable », « solutions » et « SDG » (objectifs de développement durable) pourraient entrer dans les deux catégories de l’Esma.
Dans tous les cas, si l’Esma devait appliquer ses orientations en matière de dénominations de fonds durables, l’Efama demande une période de transition d’un an pour les fonds existants et de six mois pour les nouveaux fonds.