L’Europe joue son va-tout sur sa relance

Mathieu Solal, à Bruxelles (l’Opinion)
L’urgence viendra-t-elle à bout des divisions des Vingt-Sept ? Ils se réunissent aujourd'hui et demain à Bruxelles. L’avenir de l’Union européenne en dépend.

Les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept se retrouvent aujourd’hui et demain pour un sommet extraordinaire consacré aux négociations sur le budget et le fonds de relance. Cette première réunion physique à Bruxelles depuis février pourrait marquer l’histoire en cas d’accord. Pour y parvenir, les Etats-membres devront se montrer capables de surmonter leurs divisions sur un grand nombre de dossiers épineux.

«Le moment de vérité est enfin arrivé !» L’exclamation, lancée hier par un diplomate européen, résume bien le climat d’impatience qui règne depuis quelques jours dans la bulle européenne. Après quatre mois rythmés par les grandes remises en question et les petites phrases, les initiatives ambitieuses et les comptes d’apothicaires, les leaders des Etats-membres vont enfin laisser de côté les postures pour entrer dans le dur des négociations.

Au programme, deux journées de discussion qui pourraient mener à un résultat historique : un emprunt commun de 750 milliards d’euros pour financer une politique de relance à l’échelle du Continent. L’issue de ce sommet extraordinaire est toutefois impossible à prévoir.

Car la marche est haute. Les Etats-membres ont la lourde tâche de s’entendre à la fois sur le budget européen 2021-2027, sur lequel ils s’écharpent depuis plus de deux ans, et sur le plan de relance proposé par Bruxelles il y a seulement un mois et demi. «Il nous faudrait normalement deux ans pour négocier le seul fonds de relance. Mais nous devons aller très vite car nos citoyens nous regardent et parce qu’il faut être prêts dès début 2021», atteste le diplomate européen. Les multiples réunions techniques tenues sur le sujet ont en effet montré de profondes divergences entre les Etats-membres.

Le club des «frugaux» (Pays-Bas, Autriche, Suède, Danemark) continue ainsi de s’opposer à l’architecture globale du plan mis sur la table par la Commission. Ces quatre Etats veulent notamment diminuer la taille de l’enveloppe allouée à la relance et la proportion de transferts budgétaires (500 milliards d’euros) aux dépens de celle des prêts (250 milliards d’euros). Depuis plusieurs semaines, les autres Etats-membres s'acharnent à convaincre les frugaux d’abandonner cette opposition, qui tient plus de l’idéologie que de la rationalité économique.

Pourrissement

La semaine dernière, le Président du Conseil européen Charles Michel a ainsi fait un grand pas vers ces Etats récalcitrant en leur offrant le maintien des rabais sur leur contribution au budget européen et la possibilité de surveiller la vertu budgétaire des plans de relance de leurs partenaires en les validant ou non à la majorité qualifiée (au moins 15 Etats-membres représentant au moins 65% de la population européenne).

Si les frugaux ont salué ces propositions «qui vont dans la bonne direction», les Pays-Bas continuent de leur côté à insister pour que les décisions soient prises à l’unanimité, permettant à chacun d’obtenir un droit de veto de fait sur le versement de subsides du fonds de relance. «On mettrait sur pied un système de vetos croisés où chacun prend en otage le plan de l’autre. En pratique, ce serait carton rouge sur le plan du voisin jusqu’à ce qu’il ait déverrouillé le mien», explique un autre diplomate.

L’acharnement de La Haye à défendre cette position insensée interroge. Le Premier ministre Mark Rutte, leader officieux des frugaux, enchaîne depuis quatre mois les déclarations offensives à destination des Etats du Sud et semble «déterminé à jouer au plus dur pour en obtenir le plus possible», selon l’expression d’une troisième source européenne. D’aucuns craignent qu’il ne suive une «stratégie du pourrissement».

«Nous sommes de retour à Bruxelles pour trouver un accord, mais cela ne repose pas que sur nous. Le Parlement néerlandais doit soutenir toute nouvelle dette nationale et le système que nous proposons pourrait le convaincre», plaide un diplomate néerlandais.

Les frugaux ont enfin alerté sur le manque de solutions concrètes trouvées à l’heure actuelle pour rembourser la dette que la Commission se propose de contracter, rouvrant le très délicat débat des ressources propres du budget européen. Charles Michel a aussi répondu à cette demande la semaine dernière en proposant la mise en place d'une taxe sur les plastiques non recyclables dès 2021 et une taxe numérique dès 2023.

Début de consensus

Le Belge a trouvé le début d’un consensus autour des critères d’allocation du fonds de relance. Dans sa proposition, Bruxelles envisageait de distribuer directement aux Etats 560 milliards d’euros (310 en subventions, 250 en prêts) en prenant en compte le PIB per capita, la population et le taux de chômage sur les cinq dernières années. Des critères très critiqués à travers l’Europe, les Etats-membres, frugaux en têtes, reprochant à la Commission de ne tenir aucun compte de l’impact de la crise.

La semaine dernière, Charles Michel a proposé d’y intégrer un élément dynamique, en faisant dépendre 30% des versements - ceux prévus en 2022 - de la chute du PIB dans les Etats-membres d’ici là.

Convaincre les frugaux ne sera toutefois pas suffisant : ces derniers jours, les Etats d’Europe centrale ont refait parler d’eux en s’opposant vertement à deux initiatives inscrites dans les négociations. Le Parlement hongrois, dominé par Fidesz, le parti du Premier ministre Viktor Orbán, a ainsi voté une résolution refusant tout mécanisme de protection de l’Etat de droit. La proposition sur la table permettrait en effet de suspendre les financements européens d’un Etat-membre en cas de «défaillance généralisée de l’Etat de droit». Si l’initiative a déjà été vidée de sa substance, sa mise en oeuvre resterait une victoire symbolique pour les défenseurs de l’Etat de droit, que Viktor Orbán veut éviter.

La Pologne a quant à elle choisi les sujets environnementaux, refusant le chiffre de 30% de dépenses vertes dans le fonds de relance proposé par Charles Michel, ainsi que la conditionnalité de l’obtention de certains subsides à l’acceptation de l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.

Les autres Etats préfèrent faire profil bas et afficher leur ouverture au compromis, avant d’entamer ces négociations d’une importance capitale pour l’avenir de l’Europe.