Les valeurs de croissance font le grand écart

Xavier Diaz
L’indice Nasdaq est entré en correction alors que les grandes capitalisations dévissent à leur tour. Mais la dispersion est immense.

La chute de plus de 20% de l’action Netflix vendredi apparaît comme un concentré des mouvements à l’œuvre sur les marchés actions ces dernières semaines. Depuis le début de l’année, ils sont en nette baisse, avec un repli marqué des valeurs de croissance dans un contexte de hausse des taux et de sortie des investisseurs des fonds spécialisés : la décollecte atteint 4,4 milliards de dollars en une semaine.

A Wall Street, qui vient d’enregistrer une troisième semaine consécutive de baisse, l’indice Nasdaq est entré en territoire de correction, soit une baisse supérieure à 10% par rapport à son pic. Il se replie de près de 12% depuis son record de fin novembre 2021 et de près de 10% depuis le début de l’année. Il est passé sous sa moyenne à 200 jours, un indicateur surveillé par les investisseurs, pour la première fois depuis mars 2020.

Valorisation élevée

«Hormis le cas de Netflix, pour lequel la correction est liée à une question opérationnelle avec une déception sur le nombre d’abonnés, le marché corrige avant tout sur des aspects de valorisation en raison des anticipations de hausse des taux», relève Stéphane Nières-Tavernier, gérant chez Tocqueville Finance, qui note que même les plus gros acteurs de la tech finissent par craquer. Amazon perd près de 13% depuis le début de l’année, Microsoft 10%, Alphabet 9% et Accenture 16%. Le gérant rappelle qu’en fin d’année dernière, ce sont ces valeurs qui ont porté l’indice Nasdaq à son sommet, dans un contexte d’inquiétude autour de la croissance économique avec la poussée du variant Omicron. Ce n’était pas le cas des petites valeurs, dont les prix avaient en moyenne déjà commencé à se corriger.

Les investisseurs ont fait le ménage dans leurs portefeuilles depuis plusieurs mois. La chute de 20% de Peloton Interactive jeudi, après l’annonce d’une réduction de sa production et la diminution de ses prévisions, a rappelé la folie autour des gagnants de la pandémie. Cette valeur emblématique du confinement, ayant bénéficié de la ruée vers les vélos d’appartement, avait vu son cours multiplié par huit entre mars 2020 et fin 2020. Mi-2021, elle avait déjà perdu 50%. La chute dépasse désormais 85% avec un cours revenu quasiment à son niveau d’avant la pandémie. Les exemples de ce genre sont nombreux.

De gagnant à perdant

C’est le cas aussi du spécialiste des visio-conférences Zoom Video Communications, dont la demande s’est envolée avec le télétravail. Son action avait été multipliée par cinq, à un pic en octobre 2020. Fin 2020, elle avait déjà perdu 40% après de premières déceptions sur les résultats. Elle perd 72% par rapport à son plus haut.

Les investisseurs ont ensuite lâché les valeurs d’hyper croissance mais non rentables qui ont bénéficié des injections massives de liquidités. Les valeurs les plus vulnérables sont les entreprises les plus chères et peu ou pas rentables, ainsi que les acteurs émergents qui ont besoin du marché pour se financer. Si le marché devient plus discriminant et les conditions financières se durcissent, les actions sont aussitôt sanctionnées.

Secteurs vulnérables

L’un des secteurs les plus vulnérables a été celui des éditeurs de logiciels aux Etats-Unis, dont les valorisations avaient atteint des niveaux excessifs, les investisseurs ayant porté leur attention sur la croissance du chiffre d’affaires au détriment de la rentabilité. Un panier de valeurs de logiciels les plus chères dévisse de 20% depuis le début de l’année, deux fois plus que le Nasdaq. Le segment des logiciels, au sens large, signe la pire performance cette année avec une baisse de 15%. Les valeurs internet cèdent 13% mais cela inclut Amazon. Un autre panier, mais cette fois de valeurs technologiques non rentables, calculé par Goldman Sachs, chute de 18% cette année et a baissé de plus de 10% la semaine passée. Il cède 35% depuis fin novembre.

Autres stigmates de cette dispersion dans le marché, l’indice des introductions en Bourse (IPO) a fortement reculé ces derniers mois (-30% début fin octobre 2021). Tandis que celui des Spac, les coquilles vides qui se cotent pour lever des fonds en vue d’acheter une entreprise par la suite, est en chute libre de 38% depuis son sommet fin février 2021. Avec les Spac, les IPO et les techs non rentables ont atteint leur pic à ce moment-là. Depuis, les techs non rentables ont perdu la moitié de leur valeur.

Une consolidation qui reste ordonnée

Jusqu’à vendredi, la consolidation semblait plus ordonnée que lors des derniers épisodes de correction sur les marchés actions. La volatilité était restée à des niveaux plus bas, malgré la correction marquée sur les valeurs de croissance. La forte concentration de la performance autour d’un nombre de valeurs limitées peut expliquer l’absence de pic de volatilité. Sur le Nasdaq, lors du dernier record, seulement 60% de valeurs affichaient un cours au-dessus de leur moyenne à 100 jours. Un niveau bas par rapport aux derniers pics. Cette situation fragilise le marché d’autant que dans le contexte actuel de rotation face à la hausse des taux les investisseurs finissent par les vendre de façon indiscriminée quand ils coupent leur exposition aux valeurs de croissance. Surtout, le phénomène d’achat sur repli qui a permis ces derniers mois au marché de rebondir systématiquement ne semble plus opérer avec une moindre participation des particuliers.