
Les produits Marne & Finance interpellent

Que se passe-t-il avec Marne & Finance, une société qui, dans une relative confidentialité, propose d’investir dans les locaux commerciaux de la marque Bio c’ Bon ? Cet acteur a misé sur la chaîne de distribution de produits biologiques qui profite à plein de l’intérêt du grand public. Entre 2016 et 2017, Bio c’ Bon est ainsi passé de 90 à 123 magasins dont certains sont situés à l’étranger. Selon des estimations, le chiffre d’affaires du marché du bio a augmenté de près de 20 % en 2016 pour atteindre les 7 milliards d’euros.
Augmentation de capital. Pour soutenir le développement de l’enseigne, dont la présidence est assurée par Thierry Chouraqui – également à la tête de Marne & Finance –, les investisseurs particuliers sont invités à participer à une augmentation de capital par le biais de deux opérations. L’une, qui est désignée BCBB Rendement 2 (pour « Bio c’ Bon Builder Rendement »), offre à un groupe limité d’investisseurs de s’associer au capital de sociétés supports opérationnelles, dont par exemple SAS Bio Stratégie. Le partenariat prévoit qu’ils ont vocation à demeurer associés minoritaires, la majorité étant détenue par le groupe Bio c’ Bon. Dans ce cas de figure, les sociétés supports prennent des parts dans les sociétés logeant les points de vente Bio c’ Bon.
Alternative. Une autre option est ouverte à l’investisseur avec le support ICBS Rendement Patrimoine 2 (pour « Immo Capital Builder System »). Celui-ci obéit à la même logique, il est question de participer à une augmentation de capital mais à une différence près : l’investisseur devient associé au capital de sociétés en commandite simple (SCS) à l’image de la SCS Helenimmag et, de manière occasionnelle, de sociétés à responsabilité limité (SARL) détenues dans leur majorité par le groupe Marne & Finance. Ces sociétés ont la charge de procéder à l’acquisition de locaux commerciaux.
Un produit rémunérateur. Dans le marasme financier actuel, il suffit de passer quelques minutes sur internet pour se convaincre que les particuliers tiennent avec le placement BCBB un « super » produit (1). Ses « multiples » avantages y sont promus, à savoir « une durée de 5 ans avec un rendement de 6 % brut par an » et l’absence de frais ou de décote. Soit un « montage très bien réfléchi qui permettra d’éviter tout impôt et de subir uniquement les prélèvements sociaux, ce qui donne un rendement net très attractif ». En effet, compte tenu de la structure d’intervention, le rachat final au terme de cinq ans de détention des titres de société de capital risque est exonéré d’impôt sur les plus-values, au regard notamment de l’article
150-0 A 1 bis du Code général des impôts (CGI). Il est également question de tirer profit d’un rendement net « bien plus attractif que sur une SCPI ».
Promesse de rachat. Pour expliquer un tel niveau de rémunération, Marne & Finance indique exercer en qualité de foncière et non de société de gestion, ce qui lui permet de « ne pas grever ce rendement par des frais » (2). Elle annonce d’ailleurs se rémunérer sur les opérations immobilières réalisées et non pas sur les fonds apportés par les investisseurs associés. D’un point de vue juridique, l’accord tient, dans le cas du placement ICBS, sur la base d’un engagement pris par Marne & Finance de procéder au rachat des titres des investisseurs en appliquant un taux de revalorisation fixé de manière contractuelle dans le pacte d’associés qui s’applique à la totalité du montant investi. La société justifie ce montage et son association à des investisseurs extérieurs « afin de saisir davantage d’opportunités compte tenu de l’apport en fonds propres plus important qu’exigent depuis 2009 les établissements bancaires ».
Un appui sur les conseils en investissements financiers. Les distributeurs conseils en gestion de patrimoine constituent la pierre angulaire de ce modèle de distribution. A ce titre, ils perçoivent d’ailleurs des honoraires de mise en relation en pourcentage des capitaux investis. Dans le détail, les solutions ICBS et BCBB sont présentées aux potentiels futurs associés par un conseiller en investissements financiers (CIF) avec lequel Marne & Finance ou Bio c’ Bon SAS a préalablement conclu une convention d’apporteur d’affaires. Il revient au CIF de vérifier en amont que ces produits sont adaptés aux besoins de la situation financière de leurs clients. Les futurs associés intéressés sont alors présentés à Marne & Finance ou Bio c’ Bon par le CIF. Une fois agréés, ils souscrivent au capital des sociétés supports d’investissement.
Une singularité et des réserves. La question de l’appréciation du produit par ces distributeurs mérite d'être posée. Dans la mesure où il est censé trouver des solutions alternatives, entre autres, aux fonds en euros des contrats d’assurance vie dont les rendements ont du plomb dans l’aile, un CGP avisé, en sa qualité de professionnel des placements financiers, ne devrait-il pas proposer ce type de solutions ? A contrario, dans un contexte aussi particulier, la singularité de cette offre ne serait-elle pas suffisante pour émettre certaines réserves à son encontre ? Sans porter de jugement sur le modèle économique de Marne & Finance, c’est en tout cas la particularité de cette proposition commerciale qui a conduit l’Association nationale des conseils financiers (Anacofi) à lui adresser des demandes d’information en 2017, les 19 janvier et 24 juillet.
La question de l’agrément AMF. Par exemple, l’association lui a demandé si les placements en cause ne relevaient pas de la règlementation des fonds d’investissement alternatif (FIA). Ce qui ne serait pas neutre pour Marne & Finance, qui devrait alors compter sur un agrément AMF pour les diffuser. L’Anacofi se base sur l’article L.214-24 du Code monétaire et financier (CMF) en vertu duquel les FIA qui relèvent de la directive AIFM respectent des critères dont celui de la levée de capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir en conformité avec une politique d’investissement définie. Pour l’association, il n’apparaît « pas évident » que cette offre se trouve dans l’un des cas d’exclusion de la règle des FIA et ce d’autant « que les investisseurs semblent venir engager leurs capitaux dans le cadre de ce qui s’apparente pour eux à un placement dans un fonds » et que le professionnel qui amène les clients est rémunéré « comme il le serait dans un tel cas ». Par ailleurs, l’association s’interroge aussi sur la potentialité d’une gestion active par les investisseurs, une condition qui serait de nature à exclure l’offre de la règle FIA.
Une qualification de FIA écartée par Marne & Finance. Si la demande d’explication a été accueillie par Marne & Finance, elle s’est traduite sur le fond par une fin de non-recevoir. Dans une première réponse en date du 14 février 2017, elle a assuré que ces placements ne relevaient pas des FIA dans la mesure où, d’après elle, il ne s’agit que de l’exploitation en commun d’actifs détenus par différents investisseurs associés au sein d’une société support opérationnelle. Précision, si le groupe Bio c’ Bon demeure majoritaire, il assure que les autres associés minoritaires participent à la définition des orientations stratégiques en étant consultés par email ou par courrier au sujet des projets d’investissement ou de cession. De quoi valider, selon Marne & Finance, le critère de la gestion active des investisseurs, de nature à exclure la qualification de FIA. Preuve en est de la difficulté à appréhender cette notion de FIA, il a fallu un autre document explicatif de plus de dix pages de la part de Marne & Finance pour démontrer en quoi les produits mis à disposition des investisseurs ne relèvent pas de cette classification.
Quelle qualification pour l’activité des CIF ? Dans cette lettre envoyée le 4 octobre 2017 à l’association professionnelle, le concepteur de cette solution financière en a aussi profité pour revenir sur l’activité de ses partenaires CIF. Plus précisément, il a expliqué pourquoi, selon lui, leur activité n’est pas assimilable à la fourniture d’un service d’investissement. Il estime qu’elle ne relève pas davantage de la définition de l’intermédiation en opération de banque et en services de paiement (IOBSP). Il précise par ailleurs qu’il ne s’agit pas non plus du service de placement d’instruments financiers « en raison de l’absence d’un mandat de placement conclu entre Marne & Finance, Bio c’ Bon SAS, ou toute société support qui émettra des titres, et le CIF et de l’absence corrélative de recherche active de souscripteurs de la part des CIF ».
A quelle catégorie de placements appartiennent les produits ICBS et BCBB ? En ce qu’il se tient à l’écart des modèles de distributions classiques de produits financiers, cet opérateur focalise l’attention de certains conseillers, parmi lesquels l’Anacofi compte « plusieurs » de ses membres. C’est sur cette base d’ailleurs que celle-ci a insisté dans ses demandes auprès de Marne & Finance. Cet acteur ne serait-il pas soumis aux dispositions de la loi Hoguet ? Pour mémoire, la commercialisation d’un produit consistant en l’acquisition de parts sociales peut relever des dispositions de cette loi du 2 janvier 1970 (3), qui s’applique aux personnes se livrant entre autres à la vente de parts sociales non négociables lorsque l’actif social comprend un immeuble ou un fonds de commerce. Une nouvelle fois, Marne & Finance a écarté cet argumentaire, se contentant de rappeler le principe du montage, à savoir qu’ICBS permet à un investisseur de souscrire à une augmentation de capital de la société support opérationnelle.
Un placement privé ? L’association professionnelle s’est aussi demandée si les placements ICBS et BCBB ne relèveraient pas davantage d’un placement privé, également désigné sous le terme de club deal, et s’il ne faudrait pas s’assurer du respect de certains critères. Sur ce point et sans plus de commentaires, Marne & Finance a confirmé qu’elle s’assure que les documents d’une société support opérationnelle « ne sont pas adressés à plus de 150 » investisseurs potentiels. Par ailleurs, « aucune publicité ou communication » n’est réalisée sur BCBB, les documents de présentation ainsi que les dossiers de souscription ne pouvant être transmis par le CIF à un prospect qu’en réponse à une demande formalisée à travers sa lettre de mission. Si l’Anacofi et Marne & Finance s’entendent bien sur cette terminaison de placement privé, un désaccord persiste bel et bien dès lors que, selon l’association, ce type de distribution « ne libère en rien de la contrainte FIA ». Et d’ajouter « tout au plus est-ce un mode de diffusion de l’offre, connu de l’AMF, dans le cas d’un FIA. »
Capital risque. Ces considérations pourraient sembler bien loin des préoccupations des conseillers et de leurs clients si le risque potentiel qui pèse sur ce genre de montages n’était pas aussi élevé. Pour rappel, il s’agit bien d’un investissement dans une société de capital risque qui est soumis « à tous les risques inhérents à la vie d’une entreprise, notamment risque de perte en capital, risque de liquidité et risque lié à l’effet de levier. L’investisseur est également exposé à un risque de défaillance de Bio c’ Bon SAS ou à son incapacité ponctuelle à faire face à ses obligations contractuelles ». Ces informations sont d’ailleurs détaillées dans une brochure commerciale de BCBB Rendement 2 librement accessible en ligne (1). C’est d’ailleurs désormais un point d’attention médiatique (4).
L’activation de l’assurance responsabilité civile. Si pour les observateurs, l’appréciation du risque associé à ce genre de produit relève justement du travail d’analyse et de sélection des conseillers en investissements financiers, il n’empêche que ce genre de réflexion doit être menée à un autre niveau : celui de la couverture qui leur est garantie par leur assurance responsabilité civile professionnelle (RC pro). Philippe Glaser, avocat associé de Taylor Wessing, le rappelle : « Cette police d’assurance ne s’appliquera pas dès lors qu’est habituellement exclue de la garantie RC la commercialisation des produits ne respectant pas la réglementation. »
Hypothèse en l’absence de sinistre. Pour l’expert, « nous devons considérer qu’à partir du moment où un produit financier est distribué par l’intermédiaire de CGP, il s’agit – sauf cas de club deal par exemple – d’une démarche de type offre au public d’instruments financiers qui nécessitent un agrément de l’autorité de contrôle. Ces conseillers prennent un risque qui est exclu de leur garantie ». Et si les performances d’un tel produit étaient au rendez-vous ? « Même en l’absence de sinistre, on pourra considérer que les intermédiaires ont participé à la distribution d’un produit ne bénéficiant pas d’un visa du prospectus, de sorte qu’ils pourraient encourir des sanctions administratives ».
Le silence de l’AMF. Quelle est la position de l’Autorité des marchés financiers (AMF) justement à l’égard des placements distribués par Marne & Finance ? Considère-t-elle qu’il s’agit de placements privés hors FIA et exclus de son contrôle ou bien plutôt d’opérations relevant d’un appel public à l’épargne ? Ce point ne semble pas évident à trancher. Pour preuve, nos demandes auprès de l’autorité sont restées lettre morte. En revanche, des échanges existent entre l’AMF et Marne & Finance. Thierry Chouraqui, le dirigeant de Marne & Finance, le reconnaît : « Nous répondons aux sollicitations de l’AMF mais nous sommes persuadés de notre bon droit au regard de nos analyses et de celles de nos conseils ». Il fait valoir : « Nous suivons les évolutions réglementaires et si de telles contraintes devaient nous être imposées, nous procèderons à une refonte de notre dispositif commercial en y introduisant une société de gestion. Nous souhaitons poursuivre le développement de nos affaires, tant en ce qui concerne nos projets immobiliers que la chaîne de distribution Bio c’ Bon ».
Un besoin primordial de précision. De son côté David Charlet, le président de l’Anacofi, considère que son association a procédé aux diligences qui s’imposaient : « Dans ces demandes d’éclaircissements, nous sommes allés aussi loin qu’une association peut aller. En dernier lieu, c’est à l’AMF de dire s’il s’agit bien d’un FIA ou de préciser le cadre légal, une fois que tous les éléments de la réflexion sont sur la table. C’est primordial. Dans un cas, il s’agirait d’une offre classique de fonds réglementé. A contrario, la ‘proposition’ et non la ‘distribution’ de ces produits, en ce qu’elle serait assimilée à des placements privés, pourrait être maintenue par nos membres. Toutefois, ils devraient prendre un soin particulier de ne pas réaliser de placements de titres vifs, ce qui leur est interdit ». A défaut de respecter ces conditions, « ils auraient à s’expliquer » au sujet d’une activité dont l’exercice leur est interdit mais aussi, dans un cas de figure plus dramatique pour les investisseurs, si les placements devaient connaître des difficultés.
Une pratique en développement. Ne conviendrait-il pas d’adopter des mesures de prévention ? Pour ce responsable, « il n’est pas dans nos prérogatives d’exiger de nos membres l’arrêt de la ‘recommandation’ de ces produits si ce sont des produits légalement proposables et fondés sur une entreprise dont la réalité n’est pas remise en cause ». D’ailleurs, cette pratique visant à participer à une augmentation de capital se développe (voir encadré) et « l’AMF envisage de simplifier les contraintes de la levée de capital par bloc via son projet de réforme des prestations dites de haut de bilan », complète David Charlet.
Autres regards critiques. Il se trouve que les placements Marne & Finance interpellent aussi des conseils juridiques de cabinets de CGP. Un avocat qui s’est positionné sur ce dossier à la demande de certains clients considère qu’un problème porte sur la distribution d’actions de sociétés par des CIF : « Il faut rappeler que ce service de placement ne figure pas dans la liste des activités susceptibles d’être exercées à titre de profession habituelle par un conseiller en investissements financiers. C’était d’ailleurs une des conclusions de la commission des sanctions de l’AMF dans la décision Eliaxis Conseil du 20 mai 2015. » Pour remettre de l’ordre dans ce modèle de distribution, il serait nécessaire de tenir compte des objectifs fixés par la directive AIFM, « à commencer par la nomination d’une société de gestion et un dépositaire », explique-t-il. D’après lui, une autre difficulté tient son origine dans le fait que les CIF ne sont pas autorisés à démarcher en vue de la commercialisation d’actions de titres non-cotés : « C’est une des conclusions de la décision de sanction de l’AMF en date du 22 juillet 2014 visant Arkeon Finance. »
La réaction des partenaires commerciaux. Pour commercialiser ses offres, Marne & Finance a pu compter sur des acteurs connus dans l’univers de la gestion de patrimoine. Il en va ainsi d’Infinitis et de Finaveo qui sont mentionnés par le concepteur des placements BCBB et ICBS dans les réponses transmises à l’Anacofi. Pour Bruno Dell’Oste, le directeur général de CGP Entrepreneurs, qui a procédé à l’acquisition du groupement en 2016, il est aujourd’hui question de rappeler que « l’offre de Marne & Finance n’est pas distribuée par les cabinets partenaires de CGP Entrepreneurs ». En revanche, ce partenariat « a été maintenu » à l’issue de la procédure d’achat d’Infinitis : « Nous avons adressé une communication reprenant les recommandations de notre conseil juridique à l’égard de cette société foncière ». Bruno Dell’Oste prévient : « Si l’opportunité de présenter des produits relève d’un travail particulier propre à l’activité du CIF, nous en sommes arrivés à la conclusion que ces produits, de par leur nature, relèvent très certainement d’un devoir d’information renforcé auprès du client. Par ailleurs, nous avons rappelé à nos partenaires l’interdiction qui leur est faite de commercialiser de titres de SAS ».
Pas de sélection de la part du PSI. Finaveo étant aussi concerné, Pascal Vieville, son directeur général délégué, explique la situation : « Nous intervenons en qualité de prestataire de service d’investissement (PSI) en charge de la réception-transmission d’ordres (RTO) pour les comptes des CIF partenaires de Marne & Finance. Nous sommes en charge d’exécuter la demande d’opération d’un client et nous serions en difficulté si nous n’y procédions pas ». Le PSI disposerait-il d’un pouvoir de sélection de ses partenaires ? « Nous n’intervenons pas en tant que PSI conseil de Marne & Finance et la question de l’appréciation de la structuration juridique de leurs placements n’est pas de notre ressort. Le responsable admet toutefois que « dans le passé, il a tout de même pu nous arriver de refuser d’intégrer certaines offres commerciales qui ne nous semblaient vraiment pas fiables ».
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(1) Quel placement pour un rendement annuel élevé (garanti) ?, note à lire sur www.corrigetonimpot.fr. Elle comporte une brochure commerciale de présentation de BCBB Rendement 2.
(2) Les courriers échangés entre l’Anacofi et Marne & Finance au sujet des produits BCBB et ICBS sont accessibles sur le site de l’association (www.anacofi.asso.fr).
(3) Loi n°70-9 du 2 janvier 1970.
(4) Placement financier – La distribution bio est-elle un bon placement ?, sur www.quechoisir.org
Thierry Chouraqui président, Bio c’ Bon et Marne & Finance.