Les marchés actions jouent aux équilibristes

Xavier Diaz
Le FOMO, ou la peur de manquer la hausse, a fait son retour dans un marché qui interroge sur sa résilience à l’approche d’une récession.

L’absence d’accord sur le plafond de la dette américaine a freiné, mardi, le regain d’optimisme qui avait prévalu en fin de semaine dernière sur les marchés actions. Mais ce repli semble davantage une pause qu’un véritable revirement de tendance dans un marché qui continue d’étonner par sa résilience malgré la perspective d’une récession.

Les actions européennes ont accusé leur pire performance depuis début mai. Le 2 mai, l’indice Euro Stoxx 50 avait perdu 1,5% alors que les investisseurs s’inquiétaient déjà d’un risque de défaut de paiement des Etats-Unis sur sa dette, auquel personne ne croit pourtant. Cette fois, l’indice européen a cédé 1%, ce qui est sa sixième plus forte baisse depuis le début de l’année si l’on exclut les séances qui ont suivi la crise des banques régionales américaines et le sauvetage de Credit Suisse en mars.

La Bourse de Paris a connu une séance encore plus difficile, avec la nette baisse des valeurs du luxe, qui ont été l’un des moteurs de la hausse du marché parisien depuis le début de l’année avec la réouverture de l’économie chinoise. Mardi, l’indice CAC 40 a cédé 1,3%, tiré dans le rouge par Hermès International (-6,5%), LVMH (-5%) et Kering (-3%). Lors d’une conférence sur le secteur, les analystes de Morgan Stanley se sont montrés prudents sur le marché américain en raison du ralentissement de la croissance aux Etats-Unis, alors que celui-ci représente près d’un tiers de l’activité dans le luxe, selon Bloomberg. La reprise moins forte que prévu de la croissance en Chine est aussi un sujet d’interrogations. Il s’agissait également de la plus forte baisse du CAC 40 depuis le 2 mai (-1,45%). Un indice européen plus large, l’Euro Stoxx 600, a limité sa baisse à 0,5% (contre un recul de 1,2% le 2 mai). A Wall Street, l’indice S&P 500 et le Nasdaq limitaient leur repli à 0,3% au moment de la clôture des places européennes.

Le marché semble être davantage dans une position d’attente que de fuite face au risque d’une récession qui est largement anticipée et qui devrait inciter les banques centrales à baisser leurs taux avant la fin de l’année pour soutenir l’économie si l’on en croit les indications des marchés monétaires. Et personne ne veut manquer la hausse. «Nous avons un retour du FOMO», affirme Florian Ielpo, responsable macro chez Lombard Odier AM. Le FOMO, pour «fear of missing out», la peur de manquer la prochaine hausse du marché. C’est l’état d’esprit actuel d’une grande majorité d’investisseurs. Ces derniers, qui ont pour la plupart manqué le rallye de janvier, car ils étaient sous-pondérés sur les actions, ne veulent pas, cette fois, y échapper. Ils ont progressivement relevé leur exposition sur les actions.

Appétit intact pour le risque

L’indice d’appétit pour le risque de Lombard Odier illustre cet attentisme. «Il est toujours en territoire très positif même si nous avons, depuis quelques semaines, des signes plutôt modérés liés aux interrogations sur le plafond de la dette américaine», relève Florian Ielpo. De sorte qu’un accord entre la Maison-Blanche et la Chambre des représentants donnerait un nouvel élan aux actions. «Je ne voudrais pas être vendeur du marché à ce moment-là», indique le stratégiste, qui anticipe un rallye de 5% à 7% à court terme.

Un positionnement à l’achat a du sens, notamment sur les actions européennes. «Le sentiment sur les marchés actions est devenu très positif ces derniers mois grâce à une économie résiliente, qui bénéficie d’un marché du travail solide et de la croissance dans les services, et des résultats d’entreprises qui ont continué de surprendre à la hausse», poursuit-il. Les entreprises ont réussi à passer leurs hausses de coûts dans leurs prix de vente, et les chiffres d’affaires ont plutôt tendance à bien résister en moyenne.

Surtout, les actions se sont révélées comme la meilleure couverture face à l’inflation. «Après prise en compte de celle-ci, les actions réalisent la meilleure performance sur les marchés financiers depuis début 2022», souligne Florian Ielpo. Rares sont les places boursières dans le rouge cette année, à commencer par les marchés européens, qui bénéficient toujours d’une valorisation attrayante, de taux d’intérêts inférieurs à ceux des Etats-Unis, d’un engouement pour ces valeurs de croissance (dont le luxe malgré la consolidation mardi) et de ce statut de «refuge» contre l’inflation.

Les valeurs technologiques américaines ont également bénéficié de cet effet FOMO. «Les investisseurs semblent plus intéressés par le boom de l’intelligence artificielle qu’ils ne s’inquiètent du plafond de la dette, note Emmanuel Cau, stratégiste chez Barclays. Une grande partie de la vigueur récente des actions est due au secteur de la tech, qui reprend le leadership du marché.» Après la correction subie l’an dernier, les gérants sont rapidement revenus sur ces valeurs, les résultats montrant que le secteur est toujours en croissance et les taux se stabilisant. A Wall Street, l’indice Nasdaq affiche la meilleure performance mondiale, hors Bourse de Moscou, depuis le début de l’année, avec un gain de 21%.

Mais ce sentiment favorable reste contenu. Le risque est que ce rebond ne constitue la «dernière jambe» de hausse avant la récession. «Tout est une question d’horizon, d’ici au troisième trimestre le contexte pourrait être moins favorable, nuance Florian Ielpo. Il faut rester prudent car la récession n’a pas encore commencé.» Le stratégiste est tout juste revenu à «neutre» sur les actions et reste peu exposé dans ses portefeuilles, avec une poche de cash encore relativement élevée (20%-25%). Il y a généralement un décalage de neuf mois entre le début de la récession et la baisse du marché. Une récession que les stratégistes de Barclays anticipent eux aussi, mais qui pourrait être vite digérée tellement elle est anticipée. «Les marchés actions pourraient être en mesure de résister à une récession courte et peu profonde, étant donné les attentes de croissance et de bénéfices et le fait que la plupart des investisseurs semblent positionnés pour un ralentissement imminent, qui peut en soi amortir la baisse», estime Emmanuel Cau.

La durée et la profondeur de la récession seront deux paramètres centraux. «J’ai du mal à croire que même dans le cas d’une récession normale il n’y ait pas une chute des résultats des entreprises», juge Florian Ielpo. Il estime celle-ci à 10%. Les banques centrales pourraient ne pas baisser leurs taux tout de suite, contrairement à ce que croit le marché, car l’inflation restera élevée. Les marchés actions pourraient alors avoir une physionomie bien différente dans la deuxième partie de l’année.◆