
Les fonds actions russes restent dans l’impasse

Un an jour pour jour après le début de l’invasion russe en Ukraine, rares sont les gestionnaires d’actifs étrangers ayant conservé une présence en Russie. Le Suédois East Capital fait partie de ceux-là. Deux de ses fonds, East Capital Russia et East Capital Eastern Europe – respectivement investis en actions russes et actions Europe émergente (Russie incluse) – font l’objet d’une suspension depuis le 1er mars 2022. «Nous avons significativement réduit notre présence à Moscou mais conservons un petit bureau afin d’être en mesure de représenter les intérêts de nos clients de la meilleure façon possible», a expliqué East Capital, mercredi, dans une annonce sur son site internet.
La société, comme beaucoup d’autres, n’a toujours pas accès à la Bourse de Moscou. La Suède figure dans la liste des juridictions «inamicales» dressée par le gouvernement russe, donc non autorisées à négocier sur le marché actions russes. Mi-février, East Capital a discuté avec la Banque centrale russe et la Bourse de Moscou. Le gestionnaire suédois en a conclu qu’il était «hautement improbable» qu’il ait accès au marché russe de sitôt, à cause des sanctions imposées de part et d’autre et des politiques des dépositaires basés en Europe de l’Ouest vis-à-vis de la Russie. La firme ne voit pas d’amélioration à court terme. «Le trading pour les investisseurs étrangers, comme le rapatriement de capitaux, est soit difficilement possible, soit impossible», notait la société autrichienne Raffeisen Capital Management fin janvier.
Seul point positif, East Capital perçoit toujours des dividendes des sociétés russes investies par ses fonds. A février 2023, la société compte respectivement 10 millions et 3 millions d’euros de dividendes perçus de ces entreprises par ses fonds Russie et Europe émergente mais elle n’a pas accès au compte de son dépositaire russe. East Capital précise qu’elle envisage de cantonner les actifs russes de son fonds Europe émergente. D’autres gestionnaires l’ont fait pour les leurs à l’instar de Franklin Templeton, JPMorgan AM, Schroders et Erste AM tandis que Jupiter AM a liquidé le sien. Dans ces fonds, la Turquie et la Pologne ont majoritairement remplacé la Russie, qui était autrefois souvent leur première allocation pays.
Baisses conséquentes
La firme suédoise est par conséquent loin d’être la seule de l’industrie bloquée en Russie. La liste, non exhaustive, inclut JPMorgan AM, HSBC, Erste AM, Raffeisen Capital Management, BNP Paribas AM, Liontrust, Pinebridge, Pictet AM, NN Investment Partners (devenu Goldman Sachs AM), Schroders, Swedbank Robur, UBS, Handelsbanken, Carnegie, SEB ou encore Amundi. Toutes ont des fonds soit intégralement soit partiellement investis en actions russes, voire les deux pour certaines. Les expositions sont parfois minimes. La majorité d’entre elles ont suspendu leurs fonds dans les dix jours après le début de l’invasion russe en Ukraine.
Pour les gestionnaires qui n’ont pas abandonné le calcul de la valeur liquidative de leurs fonds investis majoritairement en actions russes, en dépit de l’impossibilité de valoriser, les baisses sur l’année 2022 ont été conséquentes. A titre d’exemple, on relève des pertes de -86,5% chez Carnegie, -85,4% chez Aegon, - 60,4% chez Liontrust ou encore de -39,8% chez JPMorgan AM. «Si nous étions en mesure de valoriser le fonds avec les valorisations qui sont appliquées à Moscou, et auxquelles nous ne pouvons pas négocier, le prix de la part du fonds serait bien plus important que celui indiqué», commente Frederik Colliander, gérant du fonds Carnegie Rysslandfond. Ainsi, en appliquant les valorisations moscovites, le montant total des encours du fonds, à fin décembre 2022, aurait été d’environ 300 millions d’euros contre 67,5 millions d’euros indiqués, soit une somme plus de quatre fois supérieure. Selon Raffeisen Capital Management, 2022 a été «une année noire» pour le marché actions russes avec des déclins de valorisations avoisinant les 40% en moyenne.
Futur incertain
Quel avenir attend donc les fonds actions russes ? La réponse se trouve peut-être dans les scénarios de performance dessinés dans les nouveaux documents d’information clé mis en œuvre dans le cadre de la réglementation Priips. Et c’est un peu la roulette russe à en juger les projections des différents gérants.
Pour le fonds BNP PAM Russia Equity, les scénarios varient d’une perte de -69% sur 10.000 euros investis dans le pire des cas à une augmentation de 57% dans le meilleur des cas après un an. Sur une sortie du fonds après six ans, la période recommandée du fonds, la fourchette s’étend de -27% à +17%. Swedbank Robur, pour son fonds Rysslandsfond, indique des seuils de -100% à +61% sur un an et de -100% à +23% sur cinq ans. Le fonds d’UBS est plus réservé avec trois scénarios négatifs sur quatre. Ses estimations de performance vont de -99,5% à +32% sur un an selon les scénarios et de -29% à +5% si l’investisseur sort après huit ans.
Pictet AM entrevoit, lui, pour son fonds Russian Equities, des rendements annuels moyens de -99,9% à +80% si l’investisseur sort après un an et de -75% à +20% après cinq ans. Le gestionnaire suisse précise que son scénario le plus défavorable, le scénario de tensions, montre ce que l’investisseur pourrait obtenir dans des situations de marché extrêmes et «ne prend pas en compte la situation où nous ne sommes pas en mesure de vous payer».
Côté russe, pour 2023, des analystes et gérants de portefeuille en actions locaux, interrogés en janvier par Kommersant, s'attendaient à ce que la bourse moscovite remonte de 20% à 40% par rapport à 2022.