
Les banques françaises vont devoir déployer 300 milliards d’euros de cash

Les banques françaises sont dans les starting-block. Ce mercredi, leurs conseillers dédiés aux entreprises doivent se tenir prêts à recevoir les premières demandes de prêts de trésorerie garantis par l’Etat (PGE). «Je ne connais pas un seul pays d’Europe où, dès [aujourd’hui], va se déployer un tel dispositif, a déclaré hier Frédéric Oudéa, directeur général de la Société Générale et président de la Fédération bancaire française, au cours d’un point presse organisé avec Bercy et Bpifrance. Il y aura du crédit pour tout le monde. Chaque dossier sera traité», assure le banquier.
Ce mécanisme de 300 milliards d’euros «est le premier de ce type en Europe à avoir été validé par la Commission européenne dans le cadre adopté le 19 mars», soulignait hier Bercy dans un communiqué. Seule l’Allemagne promet davantage, avec une enveloppe de 400 milliards d’euros de prêts garantis. Destiné à soutenir les entreprises pendant la crise sanitaire, le PGE français avait été annoncé le 16 mars par le président Emmanuel Macron, puis confirmé lors du vote de la loi de finances rectificative. Il a fait l’objet d’un arrêté du ministère de l’Economie et des Finances publié hier au Journal officiel.
L’enveloppe, qui équivaut à 15% du PIB français, «couvrira largement trois mois de chiffre d’affaires qui peuvent être perdus par les entreprises françaises», a assuré Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l’économie, à la direction générale du Trésor. Pour les entreprises innovantes ou récentes, le critère retenu sera les deux dernières années de masse salariale. Presque toutes les sociétés (y compris artisans, professions libérales…) seront éligibles, même celles en redressement judiciaire. Bpifrance jouera le rôle de facilitateur. D’une part en permettant aux PME d’obtenir sur son site un identifiant unique qu’elles communiqueront ensuite à leur banque. D’autre part, en épaulant le Trésor pour l’instruction des demandes des grands groupes.
Prix coûtant
Les crédits garantis seront à prix coûtant, sans remboursement la première année. «Frédéric Oudéa s’est engagé, au nom du monde bancaire français, à ce que les banques ne fassent pas de bénéfices sur ces prêts», a affirmé Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, au cours d’un autre point presse. Les prêts garantis par l'Etat (PGE) seront proposés aux clients au «coût de financement sans marge, plus le coût de la garantie», a précisé Frédéric Oudéa. Compte tenu de la politique de taux d’intérêt à 0% de la Banque centrale européenne (BCE), «on sera à zéro, zéro plus, a-t-il assuré. C’est de l’argent bon marché». La garantie de l’Etat sera facturée 50 points de base (pb) la première année et le double à partir de la deuxième. La prime tombera à 25 pb (puis 50 pb) pour les structures de moins de 250 salariés et moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. Reste à savoir si les coûts de refinancement des banques resteront au plancher actuel, dans des marchés chahutés. «Le scénario d’une hausse n’est pas envisagé compte tenu des liquidités mises sur la table par la BCE, assure une source bancaire. On restera très proche de zéro, avec par exemple une indexation sur [le taux interbancaire] Eonia.»
«Si une entreprise a besoin d’un prêt de trésorerie, elle a intérêt à solliciter sa banque rapidement, mais pour l’instant la priorité est ailleurs, explique à L’Agefi Bénédicte Caron, vice-présidente chargée des affaires économiques à la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Les chefs d’entreprises sont préoccupés par la continuité ou non de leur activité, le devenir des salariés et les échéances fiscales et sociales). Une fois la fin du mois passée, certains vont voir la réalité de leur trésorerie et nous espérons que les banques prendront aussi l’initiative de contacter leurs clients PME, qui n’ont pas toujours un accès direct à leur conseiller». Le lobby des PME juge le PGE utile, mais sa porte-parole espère «qu’il n’y aura pas de frais cachés, comme pour le report des échéances des crédits pour lequel certaines banques essaient de prélever des frais».
L’effort consenti par l’Etat et les banques est en tout cas considérable. Il équivaut quasiment aux 330 milliards de nouveaux crédits de trésorerie et d’investissement accordés aux entreprises françaises en 2019. A fin janvier 2020, les quelque 1.000 milliards d’euros encours des crédits bancaires aux entreprises non financières finançaient 1,75 million d’entreprises (dont 600.000 sociétés civiles immobilières, exclues du PGE), selon les chiffres de la Banque de France.
Avec les prêts garantis, les banques supporteront une faible part du risque. En cas de défaillance de l’emprunteur, l’Etat prendra en charge jusqu'à 90% du montant emprunté pour les entreprises de moins de 5.000 salariés et moins de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Au-dessus de ces seuils, la garantie n’est plus automatique et fera l’objet d’un arrêté individuel de Bercy. Seuls 80% du montant emprunté seront garantis pour les grandes entreprises, et 70% pour celles qui réalisent plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel.
La quotité non garantie pèsera sur le profil de risque des établissements prêteurs, sans traitement comptable ou prudentiel particulier. Un crédit non remboursé sera «classé en défaut le moment venu», indique Frédéric Oudéa. Pour autant, après la suppression récente de leur coussin de fonds propres contra-cyclique, les banques françaises militent pour une remise à plat du calcul du coût du risque (provisions pour crédits impayés) à l'échelle européenne. Elles critiquent aussi la norme comptable IFRS 9, basée sur les pertes attendues et donc susceptible d’amplifier les effets de cycle.
Les différentes parties prenantes misent toutefois sur un très faible taux de défaut sur les PGE. «En 2008-2009, il y avait déjà eu des garanties à 90% et la sinistralité a été beaucoup plus faible que prévu», relève Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, qui accorde chaque année une dizaine de milliards de prêts garantis par l’Etat. En outre, les banques françaises ont abordé 2020 avec un coût du risque historiquement bas. Dans les données compilées à fin 2018, les provisions sur les prêts non performants représentaient seulement 0,11% de leur bilan, selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.