L’«épargne Covid» permettrait d’amortir le choc de croissance en 2022

Fabrice Anselmi
Il suffirait que les ménages dépensent une petite partie de ce surplus accumulé.
(Pexels)

Avec deux ans sans sortir ni consommer un certain nombre de services et de loisirs, les ménages ont accumulé beaucoup d’épargne des deux côtés de l’Atlantique. Le taux d’épargne sur le revenu disponible est monté entre 15% et 25% chaque trimestre pendant la crise sanitaire, au lieu de 8% et 13,5% aux Etats-Unis et en zone euro (15,2% en France) auparavant.

Outre-Atlantique, l’excès d’épargne en résultant a atteint 2.500 à 2.600 milliards de dollars, 10% à 11% du PIB. «La situation financière des ménages s’est nettement améliorée entre 2022 et 2019. L’épargne détenue en dépôts et autres comptes financiers a augmenté, de même que la richesse immobilière et boursière, la détresse des emprunteurs a diminué. Cette amélioration sera une source de soutien à la reprise économique au cours des prochains trimestres», indique une récente étude de la Brookings Institution (Hamilton Project). Alors que la première série de «chèques» aux ménages américains (avril 2020) avait servi pour 70% aux dépenses courantes, les deuxième et troisième séries (janvier et mars 2021) ont été affectées au remboursement de dettes, pour 50% à 55%, et à l’épargne, pour 20% à 35%.

Plus de dépôts

Pour la suite, la question est de savoir si la répartition du surplus permettra de compenser la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation, et de soutenir plus directement l’économie que les marchés financiers. Aux Etats-Unis, les ménages à faible revenu ont accumulé en 2020-2021 une part d’épargne plus importante que jamais. «Néanmoins, les estimations montrent que le quintile de revenu supérieur détient une part disproportionnée (…). Les ménages aux revenus les plus faibles ont enregistré les plus faibles gains de richesse (hors dépôts), tant en dollars qu’en pourcentage», poursuit la note Hamilton Project, intégrant le fait qu’ils souffrent aussi, via les loyers, de l’appréciation des prix de l’immobilier.

Les différentes formes d’aides ont rendu difficile une analyse précise de cette répartition aux Etats-Unis. Les flux vers les dépôts sont passés de 100 à 500 milliards de dollars en moyenne par trimestre depuis avril 2020 (3.800 milliards en cumulé), avec un vrai avantage sur les plus riches fin 2019 selon JPMorgan, alors que les flux vers les OPCVM sont restés autour de leur moyenne historique. Selon les modèles traditionnels d’analyse de la distribution, les deux quintiles les plus pauvres n’auraient capté que 4% des «excess savings» et le plus riche 70%. Selon des modèles adaptés aux revenus inhabituels de la période (dont celui de Goldman Sachs), les deux quintiles inférieurs auraient capté 20% à 30% du total, contre 32% à 40% pour le plus riche, indique encore l’étude, rappelant que la situation des plus précaires avant la crise n’a pas changé.

Du côté européen, les ménages ont accumulé en 2020-2021 plus de 800 milliards d’euros, l’équivalent de 6% à 7% du PIB. La Banque de France estime que les ménages français comptent un surplus d'épargne de 175 milliards correspondant à la «différence entre les flux (…) observés et ceux qu’on aurait obtenus en prolongeant la tendance pré-Covid» sans les restrictions. «Nous n’avons de chiffres sur l’épargne réglementée que sur la France, où les dépôts ont augmenté de 189 milliards entre 2020 et fin 2021, dont 60 milliards d’épargne réglementée. Comme ces livrets sont plafonnés, on peut penser que les ménages les plus aisés les avaient déjà remplis avant crise, et que cette partie a concerné des ménages plus modestes, analyse Michel Martinez, chef économiste Europe de Société Générale CIB. Pour la zone euro, les dépôts ont progressé de 360 milliards (2,9% de PIB) de plus que la tendance : on peut aussi penser qu’une partie a concerné des ménages plus modestes.»

Effet surévalué ?

Une récente note du Conseil d’analyse économique (CAE) indique que les 20% de ménages français les plus modestes auraient déjà dépensé la quasi-totalité du surplus d’épargne lié à la pandémie, au contraire des 10% les plus riches.

Un certain nombre d’économistes estiment cependant que l’excès d’épargne permettra de soutenir la consommation malgré l’inflation et la hausse des taux. «Il faut ajouter à cela que les marges des entreprises sont à des niveaux records aux Etats-Unis, et même en zone euro une fois retranché le service de la dette, ce qui pourrait soutenir l’investissement. Une question est de savoir si les consommateurs européens vont conserver cette épargne excédentaire par précaution du fait de la guerre en Ukraine ou bien la dépenser», poursuit Michel Martinez. «Les périodes de choc ne sont guère propices à une baisse de l’épargne», note l’économiste Véronique Riches-Flores (RF Research). La Banque centrale européenne (BCE) semble avoir surpondéré cet argument dans ses projections de mars, alors que la consommation d’une partie part de l’«épargne covid» (2 points de PIB) suffirait à bien amortir le ralentissement économique aux Etats-Unis en 2022.