
Le marché de l’art cubain en plein essor

Les propositions artistiques se diversifient à Cuba, surtout depuis 2014, année de l’inauguration du Laboratoire d’Art de l’artiste cubain Kcho dans le quartier de Romerillo et de la Fábrica, le hub arty de la Havane, situé dans une ancienne friche industrielle de 7.000 m², et dont les gérants programment leurs événements indépendamment du régime, évitant néanmoins les provocations trop politiques.
L’année 2014 est aussi celle du discours prononcé par le président américain de l’époque, Barack Obama, favorable au dégel des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba. Ce discours d’ouverture encourageait alors les investisseurs étrangers, déjà fortement intéressés par la position stratégique de Cuba entre les deux Amériques.
Peu après l’annonce, une première galerie internationale fit le pari de s’implanter sur place, la galerie Continua, qui a pris ses marques dans un ancien cinéma du quartier chinois, fin 2015, en exposant de jeunes artistes cubains comme José Yaque, Alejandro Campins, et Elizabet Cerviño. Elle a organisé depuis plusieurs expositions d’envergure, avec des œuvres de Pistoletto, Daniel Buren, Pascal Marthine Tayou ou encore Kader Attia. Cette implantation est un véritable pari sur l’avenir, sachant qu’il n’y a pas de marché de l’art véritablement structuré sur place (malgré les tentatives de Subasta Habana) et que les acheteurs sont rares, les collectionneurs américains étant souvent intimidés à l’achat bien qu’une exception de l’embargo permette d’importer des œuvres cubaines.
Depuis l’étranger, le discours d’Obama intervenu fin 2014 eut un impact important. Il a focalisé l’attention sur la scène cubaine et participer au réveil du marché de l’art cubain sur les grandes places de marché internationales. L’exemple de l’artiste Tania Bruguera est parlant sur ce point.
En 2015, le MoMA lui achetait une vidéo et les enchérisseurs se mobilisaient en salle.
Investissement de long terme. La revalorisation récente de l’art cubain fait partie d’un travail global opéré par les grands musées dont le Guggenheim et le MoMA à New York, le Centre George Pompidou à Paris ou encore la Tate Modern à Londres, qui collectent des informations et des œuvres cubaines, parfois par le biais de fonds d’acquisition spécialisés, comme le Fond Latino-américain et caribéen du MoMA.
Du côté des maisons de ventes, Phillip’s, Sotheby’s et Christie’s préparent depuis plusieurs années l’émergence commerciale de la scène latino-américaine, et notamment des artistes cubains, depuis New York. Du côté des acheteurs, les artistes cubains constituent un investissement intéressant à long terme car il est possible d’accéder à des œuvres majeures d’artistes très établis pour des sommes moins importantes que celles demandées sur les grandes signatures européennes ou américaines de mêmes générations.
La demande s’est considérablement étoffée ces quatre dernières années et les prix ne cessent d’augmenter.
Un décollage des prix déjà constaté. Le cas de l’artiste Afro-cubain Manuel Mendive (né en 1944) est parlant. Signature émergente sur le marché international, Mendive est célèbre depuis toujours à la Havane pour son œuvre en lien avec la Santeria, religion cubaine connectée aux sources sacrées des rites africains Yorubas. L’annonce de l’assouplissement des relations Cuba-États-Unis par Barack Obama a provoqué un impact immédiat sur la cote de cet artiste incontournable dans le paysage artistique cubain : dans les mois qui suivirent, trois nouveaux records d’enchères furent enregistrés pour ses œuvres, à des niveaux de prix compris entre 68.000 et 100.000 dollars. Ses recettes annuelles explosent alors, sont multipliées par 15 en deux ans, grâce à ses ventes américaines.
Mais cette revalorisation se répercute partout, même en France où une gouache estimée moins de 1.000 dollars fut finalement enlevée à plus de 5.000 dollars en mars 2017 (Ghana, vendue chez Piasa le 28 mars 2017). Deux mois plus tard, lors d’une vente Latin American Art, Christie’s cédait une toile muséale au double de son estimation haute. Le marteau passait les 100.000 dollars pour la première fois (Energías para el amor y la bondad s’est vendue 125.000 dollars le 24 mai 2017 à New York). Certainement pas la dernière.
Même constat pour d’autres artistes cubains tels que Tania Bruguera, Dario Viejo, Esterio Segura, Mariano Rodriguez, Carlos Enríquez Gómez et même Felix Gonzalez-Torres à qui David Zwirner consacrait une première exposition dans sa galerie new-yorkaise, entre avril et juillet 2017. Tous ont enregistrés leur nouveau record d’enchère au cours des trois dernières années. Certains ont par ailleurs atteint des niveaux de prix millionnaire, comme Carmen Herrera, cubano-américaine qui vendait son premier tableau à l’âge de 89 ans. Cette année, elle fête ses 103 ans auréolée d’un record flirtant avec les 1,2 million de dollars pour une toile de 1956 vendue chez Phillips en novembre dernier (Untitled (Orange and Black), le 16 novembre 2017).
Miami, passerelle pour la scène cubaine. C’est surtout par New York que la cote de l’art cubain est en train de s’affirmer, mais il ne faut pas oublier le rôle de Miami, situé à moins de 400 km de l’île.
La communauté cubaine y est très active et la promotion de l’art cubain passe par les collectionneurs et les fondations privées, comme celle de Mera et Don Rubell. Ces importantes collections privées ont un impact indéniable sur le rayonnement international des artistes cubains, surtout lorsqu’elles ouvrent leurs portes pendant la foire Art Basel Miami qui se tient chaque année au mois de décembre. Lors de la dernière édition du salon, l’incontournable Perez art Museum (PAMM) présentait 170 nouvelles œuvres récemment acquises dans le cadre de l’exposition On the Horizon: Contemporary Cuban Art from the Jorge M. Pérez Collection, mettant en lumière des artistes cubains tels que Hernan Bas, Carlos Garaicoa, ou le collectif Los Carpinteros. Ces collectionneurs font de Miami la première passerelle de la scène cubaine vers les États-Unis. Sur place, la présence des sociétés de ventes Miami Auction Gallery et FAAM-Fine Art Auctions participent à l’ancrage de l’art cubain sur la côte Est américaine. De Miami à New York, de Londres à Paris, l’art cubain rayonne. L’avenir dira s’il conservera sa sève en se faisant digérer par le marché.