Services de banques privées

Le choix cornélien de l’externalisation

L’ingénierie patrimoniale et la gestion d’actifs ressortent pour la plupart des acteurs comme les activités clés de la banque privée difficiles à externaliser auprès de prestataires - Le traitement des nombreux autres services qui font partie du périmètre de la gestion privée varie en fonction de la taille de la banque, mais aussi de son positionnement stratégique.

Faut-il réunir à l’intérieur de la banque privée un maximum d’activités pour disposer d’un service efficace ? Les défenseurs de cette thèse ne listeront que des arguments en faveur d’une totale intégration de l’offre. Ses opposants montreront que l’externalisation de certaines activités est indispensable, que seul le cœur de métier ne peut être délégué.

Justement, quel est le cœur du métier d’une banque privée ? Pour la plupart des observateurs, il s'agit de l’ingénierie patrimoniale car elle constitue un point d’entrée pour capter le client. Mais dans un pays comme la France où l’on ne facture pas le conseil, cette activité doit nécessairement être accompagnée d’une industrie plus lucrative. Les compétiteurs ne sont pas nombreux en lice : on trouve le financement, ou plus fréquemment la gestion d’actifs. Rentable, cette dernière activité est très rarement externalisée. La quasi-totalité des banques (petites et grandes) la pratique par l’intermédiaire d’une filiale, la banque privée jouant le rôle de distributeur de fonds.

Autour de ce noyau dur viennent ensuite graviter les métiers tels que la réception transmission d’ordres (RTO), la tenue de compte conservation ou les moyens de paiement, ainsi que toutes les offres qui ne constituent pas des services d’investissement au sens de la réglementation tels que les produits dits de diversification (produits viticoles, œuvres d’art…), ou encore l’agrégation de comptes et la conciergerie.

Eu égard à l’importance et à la complexification de l’offre proposée au client fortuné, certains produits et services peuvent être assurés par un prestataire extérieur. Toutefois, dans bien des cas, les banques privées tentent de développer leurs propres activités ou sollicitent, lorsqu’elles appartiennent à un groupe, les services compétents de ce dernier.

Finalement, les choix stratégiques opérés par la banque privée en matière d’externalisation découlent en grande partie de la taille de la structure ou celle de sa maison mère et du positionnement qu’elle entend adopter auprès du public visé.

A chacun sa stratégie.

Si la banque privée n’est pas une entité juridique à part entière, mais une marque à l’intérieur d’un grand ensemble, elle devient plate-forme de centralisation des demandes de clients fortunés. Elle peut ainsi travailler, en grande partie, avec les filiales du groupe pour constituer son offre. Sa valeur ajoutée tient à l’image qu’elle véhicule, celle d’un mastodonte capable de couvrir la quasi-intégralité des besoins de sa clientèle.

Ainsi, pour élaborer son offre, BNP Paribas Banque Privée s’appuie « sur l’ensemble des ressources du groupe », explique Laurent Monet, responsable de l'offre de BNP Paribas Banque Privée en France. Cependant, pour se distinguer de la banque de détail, les départements de gestion privée consacrent à leurs clients, aux côtés d’un socle de produits et services commun à tous, une offre non accessible aux particuliers lambda, à commencer par la mise à disposition d’un chéquier et d’une carte de paiement à l’effigie de la marque. Chez Société Générale, certaines filiales du groupe sont même dédiées à Société Générale Private Banking France. C’est le cas des sociétés de sélection de biens immobiliers SG 29 Real Estate ou de gestion SG 29 Haussmann, d’ailleurs présidées par Patrick Folléa, directeur de la banque privée en France.

Si la banque privée est une entité juridiquement indépendante filiale d’un groupe, elle bénéfice à la fois d’une offre propre bâtie par ses soins et de l’appui de sa maison mère lorsque c’est nécessaire, alors que la banque privée, dépourvue de tout lien capitalistique, se concentrera sur ce qu’elle considère comme étant son savoir-faire, externalisera ce qui n’est pas directement lié à ce qu’elle a choisi de développer, mais pourra garder la main sur des fonctions qu’elle estime stratégiques ou difficiles à déléguer.

Les freins à l’externalisation.

« Beaucoup de choses peuvent paraître faciles à sous-traiter, notamment si les décisions d’externaliser ou non une activité sont basées uniquement sur des considérations de coûts, mais la réalité est plus complexe, explique Nathalie Couveignes, directeur marketing chez Barclays. En effet, au-delà du fait que le prestataire doive répondre à un certain nombre de critères, la banque considère également les impacts potentiels de l’externalisation en termes de qualité de service, de fluidité de l’information ou de culture d’entreprise » (lire l'avis d’expert). Si le niveau d’externalisation varie d’une banque à une autre, la présence de certains services à l’intérieur de la gestion privée semble primordiale pour les acteurs interrogés.

L’ingénierie patrimoniale incontournable.

Tous les acteurs mentionnent l’importance de disposer en interne d’une équipe d’ingénierie patrimoniale afin de retenir l’attention du client.

Cette activité consiste à suggérer au client, au travers d’une étude de sa situation personnelle et professionnelle, des montages juridiques et fiscaux dans le but d’optimiser son patrimoine. Sur le papier, le service proposé est plus que louable, mais en réalité, le résultat n’est pas toujours au rendez-vous. Les études restent le plus souvent assez convenues. Et c’est bien normal : personne en France ne s’aventure à facturer le conseil pour des raisons culturelles et de responsabilité. Il n’est pas exclu que la situation change mais, pour l’heure, le risque juridique est volontiers transféré vers des avocats qui prennent le relais dès que les problématiques se corsent ou dépassent les frontières. Bien que l’ingénierie patrimoniale se situe au cœur de l’offre de gestion privée, Julien Lobel, associé du cabinet de conseil 99 Partners Advisory, juge qu’« environ un quart des banques privées de la Place externalisent l’activité ».

La gestion d’actifs, discutée mais inévitable.

Le débat n’est pas nouveau, mais les avis sont tranchés sur la question : la gestion d’actifs est-elle l’essence même de la banque privée ? Sur ce point, les partisans du oui sont tout aussi catégoriques que ceux du non. Pour ou contre ce postulat, quelle banque externalise tout ou partie de sa gestion d’actifs ? Pour ses clients fortunés, la Banque Privée Européenne (BPE), filiale du Crédit Mutuel Arkéa, fait appel au groupe via Federal Finance, mais aussi à des prestataires extérieurs. « Nous voulons conserver une posture de courtier pour garder une liberté de choix, explique Etienne-Marie Airiau, directeur général de la BPE. Une banque privée, pour nous, ne fait pas de gestion d’actifs. »

Alors que certains dissocient les deux activités, dénonçant au passage l’existence criante de conflits d’intérêts, d’autres voient dans la gestion d’actifs la raison d’être de la banque privée. C’est le cas de Dominique Benoît, directeur général de Pictet en France, pour qui « le savoir-faire de [ses] équipes tient dans leur capacité à vendre un mandat de gestion », explique-t-il, précisant que les clients ont la possibilité d’être facturés à la performance, ce qui favorise, selon lui, l’indépendance de jugement du gérant et donc la logique d’architecture ouverte.

Le crédit immobilier, élément de différenciation.

Au moment où les clients se réfugient vers la pierre, il est de bon ton de pouvoir fournir les financements associés à une acquisition immobilière. C’est là que les départements de gestion privée des banques à réseaux bénéficient d’un avantage concurrentiel de taille : celui de pouvoir s’adosser au bilan d’un grand groupe qui se refinance sur les marchés à bas prix, et donc de proposer aux investisseurs des conditions de crédit économiquement intéressantes.

Les banques privées qui ne se trouvent pas dans cette configuration ne disposent pas des fonds propres suffisants au développement de cette activité. En cas de besoin, elles se tournent vers des prêteurs nets (tels que le Crédit Foncier) qui, en prenant au passage leur marge, les excluent de tout positionnement compétitif. Rares sont les banques privées, donc, à proposer ce service. Cependant, les disciples du crédit moyen et long terme ne sauraient se passer de cette offre. La Banque Privée Européenne, qui bénéficie des conditions de refinancement de sa maison mère, réalise 56 % de son produit net bancaire (PNB) (59 millions en 2010) sur son activité historique : le crédit. « Pour nous, la banque privée épargne pure n’a pas de sens », juge Etienne-Marie Airiau. Même son de cloche du côté de Patrick Folléa chez Société Générale Private Banking France. En revanche, toutes les banques proposent des crédits lombards, c’est-à-dire des avances en compte courant contre nantissement de titres.

La valeur accordée aux activités de back-office.

Il est important que le back-office soit sans faille, mais il ne constitue pas le cœur de métier d’une banque privée et peut être en grande partie mutualisé. D’ailleurs, ces dernières années, les effectifs ont plutôt diminué sur ce type de fonction en même temps que s’industrialisaient les processus. Pourtant, bien qu’il puisse exister un intérêt économique à déléguer cette activité à un prestataire (lire l'encadré), encore peu nombreuses sont les banques privées à tenter l’aventure ou à se hasarder, pour celles qui sont concernées, en dehors de leur maison mère. Rien d’étonnant pour les banques privées rattachées à un groupe bancaire d’envergure. Ce dernier mutualise, en grande partie, les différents métiers qui le composent. A titre d’exemple, Pictet France, banque de plein exercice dans l’Hexagone, sous-traite son back-office à Pictet Europe SA au Luxembourg. Plus surprenant, en revanche, les banques indépendantes ne délèguent pas ces fonctions de manière systématique afin de ne pas prendre le risque d’altérer leur image par une qualité de service potentiellement moindre.

L’offre de diversification mutualisée.

Les banques universelles se sont organisées afin de proposer à leurs clients fortunés une offre de diversification en mutualisant cette fois certaines activités mondialement. Ainsi, Société Générale Private Banking s’est dotée de centres d’expertises autour des thématiques de gestion alternative (private equity, hedge funds), de produits structurés, d’immobilier, d’OPCVM, ou encore de gestion de trésorerie. Ces spécialistes interviennent en France, mais aussi dans les 21 pays où la banque privée est présente à l’international. « Cela permet de mutualiser les coûts. Si la banque privée se résumait à la France, je ne pense pas que l’on disposerait de ces expertises pointues en interne », explique Patrick Folléa.

De son côté, BNP Paribas s’est entourée au niveau mondial d’équipes spécialisées dédiées à la banque privée sur le conseil en œuvre d’art (Société Générale Private Banking, pour sa part, l’externalise auprès de la société 1858 Ltd) et sur l’immobilier de prestige via le Bureau d’études et de transactions immobilières (BETI). « La pérennité des dispositifs fiscaux n’étant pas évidente », juge Laurent Monet, l’offre de produits Malraux et Monuments historiques s’adressant aux résidents fiscaux français est en revanche sous-traitée auprès d’Avenir Finance.

Enfin, les activités d’agrégation de comptes, de conciergerie ou autre services dits de family office sont largement externalisées auprès de sociétés spécialisées.

Les initiatives européennes.

La facturation du conseil pourrait bien arriver en France si l’on en croit l’évolution en la matière des établissements des pays limitrophes, et notamment celle des banques privées suisses. « L'une d'entre elles propose à ses clients un mandat de conseil global qui inclut le conseil en investissement, mais aussi en immobilier ou juridique, contre 1,2 % à 1,3 % des avoirs financiers concernés », explique Maxime Charbonnel, principal chez le cabinet de consultants Roland Berger. De son côté, une banque italienne a mis en place un système de tarification à la transaction : 10 euros sont facturés au client pour chaque conseil qui lui est délivré. « Je serais surpris que l’initiative ne soit pas suivie en France », poursuit le professionnel