
Le capital-investissement joue sa carte dans la relance

L’industrie du capital-investissement aime à souligner sa faible volatilité par rapport aux marchés cotés. Un atout qui n’avait pourtant pas été clairement démontré lors de la crise financière de 2008, où les investissements avaient fondu au même rythme que les levées de fonds. Par chance, les crises se suivent mais ne se ressemblent pas (toujours). Selon les résultats de la dernière étude de l’association des fonds d’investissement France Invest, l’industrie du private equity peut se targuer d’avoir traversé la pandémie mondiale de Covid-19 sans traumatisme majeur en 2020. « A 23,1 milliards d’euros, les investissements des fonds de capital-investissement et d’infrastructure dans les PME et ETI sont en deçà de 2019, mais le retrait reste limité. Nous restons au-dessus de 2017 et 2018, qui étaient déjà de belles années », se félicite Dominique Gaillard, président de l’association et ancien responsable d’Ardian France.
Tendance haussière
En excluant les transactions réalisées par les fonds dans les infrastructures, récemment intégrés dans les statistiques de France Invest, les investissements des acteurs du non-coté se sont élevés à 17,8 milliards d’euros, contre 19,3 milliards en 2019. Une légère baisse qui cache une augmentation annuelle moyenne de 13 % de ce même montant depuis 2014 (année où il ne s’établissait encore qu’à 8,7 milliards). Cette résilience de la classe d’actifs en matière d’investissement est bifactorielle. Le premier de ces phénomènes porteurs n’est autre que la relative solidité des entreprises du tissu économique tricolore, soutenues par une panoplie d’aides publiques. Par ailleurs, nombre de fonds ont déserté certains secteurs au profit de valeurs refuges. L’an dernier, les investissements dans les secteurs des transports et des biens et services industriels ont par exemple été divisés par plus de trois, au moment où la valeur des deals ciblant les entreprises de biotechnologies et du médical a presque doublé. A tel point que la santé est devenue le premier secteur d’investissement, avec près de 40% des montants (loin devant le digital et ses 29 % de part de marché).
Le deuxième facteur explicatif est davantage macroéconomique. Le maintien des taux bas voulu par les grandes banques centrales a alimenté l’insatiable soif de rendement des investisseurs – lesquels se sont massivement tournés vers le private equity au cours des cinq dernières années. « L’an dernier, un peu moins de 19 milliards d’euros ont été levés par les fonds tricolores, avec une concentration des engagements sur le segment des véhicules faisant entre 100 millions et 1 milliard d’euros, note Thierry Dartus, associé chez Grant Thornton. Ces fonds de tailles intermédiaires se sont donc dotés de moyens pour accompagner les PME et les ETI dans les années à venir. » Même si cette manne est en retrait de 12 % par rapport à 2019, année de tous les records, elle est peu ou prou équivalente à celle qui avait été amassée en 2018. Surtout, elle reste près de deux fois supérieure aux montants annuellement levés entre 2013 et 2015.
Effet Tibi
Pour se maintenir à un niveau aussi élevé, les levées de fonds ont pu compter sur l’appétit des investisseurs pour le capital-développement – un segment de marché en croissance de 10 % (à 4,25 milliards d’euros), où évolue le très médiatique sous-segment du « growth capital ». Dégageant des marges élevées, affichant des croissances à deux ou trois chiffres et porteuses de ruptures technologiques de par leur produits ou leurs services, les pépites du growth sont les futurs Gafa de demain. Or l’Etat a pris le taureau par les cornes pour ne pas laisser filer aux fonds américains tous les financements de séries dites C et D réalisées par des sociétés déjà bien développées.
D’ici le 31 décembre 2022, une grosse vingtaine d’assureurs tricolores se sont engagés à déployer 6,1 milliards d’euros en faveur de ces entreprises technologiques, qu’elles soient cotées ou non. Sur ce montant, quelque 3 milliards serviront à abonder des fonds français de growth. Au début du mois, Sofinnova Crossover 1 a ainsi été le premier fonds sur les 32 estampillés « Tibi » à avoir franchi la ligne d’arrivée en obtenant 450 millions d’euros. « En 2020, les compagnies d’assurance et les mutuelles se sont engagées pour participer à la relance », constate Simon Ponroy, directeur des études économiques et statistiques de France Invest. Cela s’est traduit par un quasi-doublement de leurs engagements dans les fonds de capital-investissement, à plus de 4 milliards d’euros.
Résiliente en 2020, l’industrie du private equity tricolore devrait selon toute vraisemblance rebondir cette année. « Quelques gros fonds de place sont en train de lever, ce qui poussera à la hausse les montants récoltés par les acteurs du non-coté, estime Dominique Gaillard. France Invest travaille aussi depuis douze mois sur un mécanisme de renforcement des quasi-fonds propres via les obligations relance des PME et des ETI. On espère ainsi investir dans 2.000 à 2.500 entreprises en quinze mois grâce à 6 milliards d’euros, qui pourraient provenir de l’enveloppe de 20 milliards évoquée par Bercy dans le cadre du dispositif de prêts participatifs. » De quoi contribuer à alimenter encore l’ampleur du capital-investissement français qui, lui, ne connaît pas la crise.