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La Place parisienne domine le monde des arts premiers

Depuis quelques années, les arts premiers intéressent les collectionneurs d’art moderne et contemporain. Si de nombreuses pièces atteignent des sommes très élevées, certaines œuvres restent encore abordables.

La belle ascension que connaît le marché des arts premiers depuis quelques années tient à plusieurs facteurs. Ce secteur de collection exige tout d’abord une certaine éducation car les objets ne sont ni signés, ni datés. Aussi, pendant longtemps, ce marché était destiné à un cercle restreint d’initiés. Ce cercle s’est progressivement élargi à des amateurs d’art de tous horizons parce que le marché s’est structuré autour d’acteurs aussi avisés que sont les grands marchands spécialisés et quelques maisons de ventes. A ce titre, certaines d’entre elles ont parfaitement bien compris le rôle qu’elles pouvaient jouer auprès d’une nouvelle clientèle curieuse et intéressée, mais circonspecte. « Les critères de ce marché diffèrent d’autres domaines, ce qui peut perturber un néophyte. Mais nous sommes tout à fait capable d’expliquer ce qui fait l’intérêt et la valeur d’un masque africain ou d’une sculpture océanienne, rassure le spécialiste de Christie’s Charles-Wesley Hourdé. Beaucoup d’objets sont référencés parce qu’ils ont été exposés, publiés, ou qu’ils ont un pedigree, c’est-à-dire une provenance documentée et donc attestée. Et lorsqu’il n’y a rien de tout cela, nous effectuons des recherches qui s’avèrent souvent fructueuses. »

En 2011 s’est présenté un lion en argent, non documenté. Christie’s, numéro 1 en France pour les arts d’Afrique et d’Océanie en 2013, a pu établir qu’il s’agissait d'un rarissime objet de cour Fon du Bénin, certainement réalisé pour le trésor de Glélé, roi du Dahomey (actuel Bénin) décédé en 1889. Le lion a été adjugé au prix record de un million d’euros. Mais au-delà du référencement d’une œuvre, le spécialiste s’attache aux qualités plastiques et à la rareté de l’objet dans son corpus, ce qui va lui permettre de peaufiner son appréciation. 

Un marché international, ancré à Paris.

Force est de constater que la place parisienne est leader dans le monde pour les ventes d’arts premiers. Provenant de collections françaises, souvent d’origine coloniale ou religieuse, beaucoup d’objets d’arts premiers demeurent en France. Oubliés dans des fonds familiaux ou gardés comme de simples souvenirs d’un aïeul, nombre d’œuvres restent encore à découvrir. « Quand ils réapparaissent, c’est une joie immense. Les personnes qui nous les apportent ne savent généralement pas ce qu’elles possèdent. Il y a parfois de bonnes surprises », rapporte Charles-Wesley Hourdé. Par exemple, un grand serpent Baga de Guinée qui sortait d’un grenier a été acheté par une institution internationale pour 313.000 euros, le 11 décembre 2012. Dans la même vente, un reliquaire anthropomorphe Nkundu du Congo, connu et vendu 2,7 millions d’euros, obtenait le meilleur prix pour une pièce d’art africain en vente publique cette année-là.

Les collections belges, particulièrement bien fournies en art du Congo, alimentent également les ventes parisiennes qui attirent des acheteurs internationaux. De surcroît, Paris jouit de l’aura que lui procure le musée du quai Branly dont les prestigieuses expositions font découvrir des arts mal connus des Occidentaux. Il est aussi important de signaler qu’on ne trouve plus depuis longtemps, en Afrique, des objets de collection, forcément cultuels puisqu’ils ont été très tôt collectés et rapportés en Europe ou détruits. Or, l’intérêt croissant pour l’art africain a réactivé des ateliers de sculpture dans des pays subsahariens qui ne produisent pas autre chose que des copies pour touristes, sans valeur, que l’on retrouve malheureusement sur le marché. « Il faut se méfier des prix trop attractifs et des histoires trop belles pour être vraies », prévient le spécialiste de Christie’s. 

Icônes tribales.

Parmi les incontournables de l’art africain, les statuettes Fang du Gabon ont la cote. Ces figures de reliquaires sont appréciées lorsqu’elles affichent de beaux volumes sous une patine noire, de préférence suintante, et qu’elles ont ce petit air méchant qui les caractérise. Les plus beaux exemplaires se vendent plusieurs centaines de milliers d’euros. Certains masques Fang sont également considérés comme des chefs-d’œuvre. D’ailleurs, le record absolu pour une œuvre d’art tribal aux enchères (5,9 millions d'euros) est détenu par un masque de cette ethnie, depuis 2006.

Très soutenus par les amateurs belges, les objets du Congo sont aussi des valeurs sûres. Les fétiches à clous représentent des icônes du genre pour des amateurs éclairés. Leur aspect un peu brutal ne va pas immédiatement plaire à un collectionneur débutant. Un bel exemplaire a été adjugé 301.000 euros, le 11 décembre 2012, chez Christie’s. En revanche, il est plus difficile de collectionner l’art de la Côte d’Ivoire. Le marché est devenu très sélectif pour la sculpture Baoulé et les masques Dan produits en très grande quantité. Mais les pièces exceptionnelles Baoulé et Dan trouvent toujours preneurs à bon prix, comme ce masque Baoulé Anglo Ba de la collection Kahane qui s’est envolé à 983.400 euros, le 1er décembre 2010 à Paris chez Christie’s.

Aussi est-il utile de se faire conseiller dans ce domaine, où la grande variété des prix peut dérouter l’acheteur. Quant aux grands classiques de l’art océanien, ils se résument assez bien à la sculpture polynésienne, notamment des œuvres de l’île de Pâques, et aux très emblématiques œuvres Biwat de Papouasie-Nouvelle-Guinée. 

Résonances avec l’art occidental.

Parce que certaines œuvres africaines et océaniennes ressemblent à des sculptures modernes, elles intéressent de nouveaux publics tels que les collectionneurs d’art moderne et contemporain. Ces derniers ont un regard neuf sur l’art tribal, jusqu’à ressentir la même émotion devant un fétiche à clous que devant un tableau de Basquiat. Ils se focalisent sur les pièces aux formes très stylisées, avec une provenance certifiée ou un pedigree qui vaut signature.

Le 13 décembre 2011, à Paris chez Christie’s, un de ces amateurs a été séduit par la plastique universelle d’un rare masque Fang Ngil du Gabon, collecté en 1922, proche de l’œuvre de Modigliani ou de Brancusi, pour lequel il a déboursé 931.000 euros. D’autres ont été sensibles aux formes cubistes d’un très beau masque « buffle » Baoulé dont les enchères ont grimpé à 1,4 million de dollars (un million d’euros), le 4 novembre dernier chez Christie’s à New York. Ce masque était auréolé de provenances exceptionnelles : il avait appartenu à Picasso avant de figurer dans la collection d’art moderne et contemporain du marchand genevois Jan Krugier, décédé en 2008. Citons encore le serpent Baga de la collection Bartos, envolé à 2,3 millions d’euros à Paris chez Christie’s, le 19 juin 2013.

Si les prix montent ostensiblement pour ces œuvres, à la fois décoratives et historiques, il convient de préciser que cela n’est qu’une tendance de ce marché. L’art tribal reste abordable à bien des égards. Pour prendre l’exemple de la dernière vente du 10 décembre, un mortier à tabac Lulua du Congo de 12 cm, que l’on peut qualifier de petit chef-d’œuvre, est parti à 27.500 euros et une superbe statuette Bembé a été adjugée 6.000 euros.