Post-Brexit

La Place de Paris peut-elle relever le défi de l’innovation financière ?

Dominique Stucki, avocat associé, Avistem
Paris doit composer avec de redoutables concurrents dans le domaine de la smart finance
Pour réussir et devenir attractive, la place doit s’imposer des évolutions fortes
DR

Les longues négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne devant conduire au Brexit viennent de commencer. Le nouveau gouvernement français dispose désormais du soutien d’une majorité parlementaire solide pour mener à bien les réformes qui s’imposent en vue d’une transition numérique réussie de l’ensemble de l’économie et des acteurs de son financement. Il est donc temps de porter un regard lucide sur la position qu’occupe actuellement la place financière française au plan continental. N’en déplaise à notre ancien Premier ministre, l’objectif consistant à « faire de Paris la capitale de la smart finance » est loin d’avoir été atteint à date. Francfort, Luxembourg, Dublin ou encore Amsterdam semblent avoir d’ores et déjà marqué des points dans plusieurs secteurs stratégiques – que Londres n’a, au demeurant, pas encore totalement perdus (banque de financement et asset management notamment). Et seule une modification en profondeur des référentiels de nos pouvoirs publics est susceptible de permettre à la France de rattraper une partie de son retard sur d’autres places financières.

Rappelons que les enjeux de l’innovation financière et de l’attractivité de la Place parisienne au plan international sont considérables. Ils concernent le financement de l’économie toute entière et, bien sûr, l’avenir même des banques et des sociétés d’assurances – tant dans leur cœur de métier (crédits, paiements et dépôts pour les premières, assurance dommages et assurance vie pour les secondes) que dans des domaines complémentaires dans lesquels elles continuent d’occuper une position dominante (asset management et marchés de capitaux).

Des premières initiatives intéressantes de modernisation de la régulation qu’il faut approfondir.

Le second semestre 2016 a vu le lancement dans l’Hexagone de différentes actions visant à améliorer la perception par les opérateurs européens de la régulation française :

- Juin 2016 : création de divisions dédiées aux fintechs au sein de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

- Fin septembre 2016 : mise en place d’un dispositif d’accueil des entités immatriculées au Royaume-Uni titulaires du passeport européen (sociétés de gestion et autres entreprises d’investissement, organismes d’assurances, prestataires de services de paiement).

- Fin octobre 2016 : initiation des actions du groupe « FROG » pour une plus grande visibilité et une meilleure distribution des fonds français à l’international.

- Avril à octobre 2016 : parution de plusieurs textes réglementaires français assouplissant certaines contraintes auxquelles sont soumises les fintechs, notamment dans le domaine du financement participatif (ordonnance du 28 avril 2016 sur les minibons, décret du 28 octobre 2016 de la gamme de titres de capital éligibles aux plates-formes d’investissement participatif, etc.)

Le calendrier électoral a, par la suite, freiné les initiatives en la matière, même si la loi Sapin II  a prévu de nouvelles mesures dont certaines sont entrées en vigueur récemment, ou sont en cours de préparation (1).

La promotion de la gestion d’actifs à la française, la mise en place, au sein des autorités de régulation, d’équipes dédiées à l’orientation des start-up, ou encore l’adoption de textes ouvrant de nouvelles brèches dans certains monopoles (paiement, crédit, etc.) participent d’un changement d’approche qu’il faut saluer. Toutefois, attirer chez nous les meilleurs banquiers, assureurs, plates-formes d’intermédiation ou autres gestionnaires d’actifs étrangers ou français requiert une refonte complète de l’approche réglementaire. Au-delà des effets d’annonce, ce sont les paradigmes mêmes retenus par nos régulateurs et par le Trésor dans leur politique de supervision qui doivent être modifiés. Désormais, leur objectif doit être davantage axé sur les demandes de la clientèle de la finance et de l’assurance que sur la protection du statut de ses prestataires traditionnels. Dans cette optique, il ne s’agit plus, pour les autorités, de maintenir à tout prix l’étanchéité de digues réglementaires souvent perçues comme corporatistes, désuètes et inadaptées aux nouveaux usages. Il convient davantage de favoriser l’éclosion d’un écosystème vertueux des acteurs de la finance, quelle que soit leur taille, en proposant à tous un cadre clair, flexible et loyal leur offrant des perspectives de développement pérenne.

Des objectifs différents.

C’est d’ailleurs l’objectif qui avait été poursuivi lors de la création de la « Division Fintech, Innovation et Compétitivité » de l’AMF et du « Pôle Fintech Innovation » de l’ACPR (2)  même si, à l’analyse, ces deux cellules poursuivent un objectif légèrement différent.

- Pour l’AMF, au-delà de l’enjeu économique lié à la compétition avec les autres places d’Europe continentale, l’innovation est, a priori, un facteur de progrès pour les utilisateurs de produits ou services financiers, comme le proclame son président : « Nous y voyons de nombreux bénéfices en matière de traçabilité et de transparence. Nous saurons donc accompagner ceux qui innovent en leur permettant d’installer leurs activités sur un terrain sécurisé, propice au développement et garant d’une protection efficace pour les épargnants qui ont besoin d’avoir confiance en ces nouvelles offres. » (3)

- Pour l’ACPR, l’enjeu est essentiellement de favoriser la transition numérique et l’innovation chez les acteurs en place (banques et sociétés d’assurances principalement) et non de contribuer à une fragmentation de l’offre, synonyme de risque systémique accru aux yeux du superviseur.

Ces visions difficilement conciliables expliquent sans doute, pour partie, un bilan nuancé de la Place parisienne malgré les moyens importants déployés pour favoriser son attractivité.

De fait, le Luxembourg semble toujours avoir la préférence des asset managers – y compris ceux plaçant la technologie au centre de leur activité de gestion – pour le choix des véhicules des fonds réservés aux professionnels. Les banques d’investissement et de financement regardent majoritairement du côté de Dublin ou de Francfort pour préparer le Brexit. Amsterdam semble attirer un grand nombre de fintechs implantées au Royaume-Uni. Quant aux introductions en Bourse, pour lesquelles les acteurs sont moins sensibles à une perte du passeport européen liée au Brexit, c’est la Bourse de Londres qui conserve son rang de place financière la plus attractive en Europe.

Pourtant, ces capitales européennes sont toutes confrontées à la même difficulté politique liée à l’arrivée de technologies disruptives : « L’arbre qui s’écroule fait beaucoup plus de bruit que la forêt qui pousse. » Même le pragmatisme affiché par le gouvernement et les autorités britanniques est le résultat d’efforts et d’échanges permanents avec les professionnels. Eu égard au bouleversement sociétal et économique majeur auquel nous assistons (4), une vision claire et volontariste sur les bienfaits de la technologie et sur les moyens d’en atténuer les risques permettra de surmonter les peurs légitimes du monde financier.

Quitte à assumer le défi schumpétérien de la destruction créatrice, nos pouvoirs publics devraient adapter tant leur approche de la régulation (à travers notamment une moindre production de textes contraignants et une réduction des barrières à l’entrée en contrepartie d’une meilleure promotion des bonnes pratiques édictées par les organisations professionnelles) que leur politique de répression souvent axée sur la détection des offres alternatives aux produits de la bancassurance (dites « atypiques »). L’objectif doit être désormais de favoriser davantage la variété des acteurs et de leurs offres. On comprend fort bien le souhait des régulateurs de contrôler l’apparition de pratiques commerciales non conventionnelles (réseaux sociaux, marketing digital personnalisé, etc.). Mais elles devraient, dans le même temps, tenir le plus grand compte du besoin de créativité et de singularisation des acteurs innovants en prenant le risque d’une rupture des usages avec les standards de place.

A défaut, les futures « licornes » des fintechs se détourneront de la France pour rechercher des terres plus propices à leur déploiement, ruinant ainsi les efforts qui auront été réalisés en amont en vue de leur accueil et privant le marché hexagonal des bienfaits de leurs activités (5). Et cela ne servira en rien les intérêts des acteurs traditionnels car, en tout état de cause, les exigences des clients face aux outils technologiques et aux nouveaux usages appliqués dans d’autres pays finiront toujours par s’imposer à nos pouvoirs publics. Le réalisme économique commande donc que soient, dès à présent, mises en place une stratégie de régulation moderne ainsi qu’une politique de contrôle lisible, loyale et équilibrée en vue d’un accompagnement dans la durée des acteurs innovants.

 

(1) Projet d’ordonnance sur l’introduction de la blockchain pour l’enregistrement des titres financiers non cotés.

(2) Conférence de l’ACPR du 25 novembre 2016, présentation de Franck Guiader, directeur de la « Division Fintech, Innovation et Compétitivité » de l’AMF.

(3) Discours de Gérard Rameix, président de l’AMF, lancement du Forum Fintech ACPR-AMF du 18 Juillet 2016.

(4) Marc Halévy, Qu’est ce qui se prépare pour 2017 ?

(5) Ceux-ci avaient été également soulignés par François Villeroy de Galhau dans la Conférence de l’ACPR du 25 novembre 2016 : « La révolution digitale crée aussi pour le secteur financier des opportunités qu’il faut savoir saisir : celles de rendre le système financier plus sûr, la conformité aux exigences réglementaires et la lutte contre la fraude plus efficaces – ce qu’on appelle la « RegTech » –, les services financiers plus nombreux et plus accessibles, la satisfaction des clients plus complète, la protection de leurs intérêts mieux assurée. »