La dislocation du marché du crédit risque de durer

Xavier Diaz
La récente correction a laissé des traces sur le marché secondaire entre l’investment grade et le high yield mais aussi au sein de ce dernier.
(Pixabay)

La réouverture spectaculaire du marché primaire corporate tranche avec la dislocation du secondaire. Entre investment grade (IG) et high yield (HY) d’une part, en raison des achats des banques centrales sur l’IG uniquement, et au sein du HY, d’autre part.

« Pendant la phase de correction, tous les émetteurs ont fortement décalé. Tout le monde voulait réduire son exposition à un moment où la liquidité était très faible », indique Juan Valencia, stratégiste crédit chez Société Générale CIB. Les spreads se sont nettement écartés sur l’IG à 250 points de base (pb) et à 800 pb pour le HY. Mais tous les émetteurs n’ont pas bénéficié du récent rebond.

« D’un côté, on trouve les thématiques les plus touchées par la crise du coronavirus, comme le tourisme ou l’aérien, qui traitent sur des points bas en termes de prix (40-50%). Des prix quasiment de restructuration. De l’autre, les émetteurs BB, avec des bilans plus solides, et qui ont rapidement rebondi, les investisseurs profitant de l’opportunité de capter des rendements de 7 à 9% », souligne Olivier Becker, gérant chez Oddo BHF AM. Dans le contexte actuel, le plus évident pour un investisseur est de chercher les entreprises avec les meilleurs bilans. « Il y a de la valeur sur les émetteurs dont les modèles économiques sont viables et qui n’ont pas de contrainte de refinancement à court terme », explique Axel Botte, stratégiste chez Ostrum AM. Le problème est qu’il est difficile de les acheter.  

La liquidité s’améliore mais très doucement. « Pour le moment c’est la partie courte du crédit qui profite notamment des achats de la Fed, affirme Axel Botte. L’atténuation du rythme des sorties dans les fonds contribue également à ce que le marché et la liquidité s’améliorent mais très doucement. La faiblesse du resserrement des ‘spreads’ sur l’IG euro nous montre qu’il y a encore un peu de tension sur le marché et que tout n’est pas totalement rentré dans l’ordre ». Le spread IG en euro s’est resserré la semaine passée, mais uniquement de 10 pb, à 240 pb.

Cette stabilisation, on la doit aux banques centrales et à leurs interventions sur les marchés, qui profite uniquement à l’IG. « La forte activité sur le marché primaire IG, avec plus de 60 milliards d’euros émis en quinze jours, ce qui est gigantesque pour le marché européen, redonne confiance au marché, constate Juan Valencia. Dès que le flux d’émission va diminuer, nous nous attendons à une diminution des 'spreads' d’autant que la BCE concurrence les investisseurs sur ce marché ».

Le primaire HY est sinistré

Mais ces émissions se font avec des primes élevées, signe que ce marché n’est pas totalement revenu à la normale. « La demande est forte sur le primaire crédit parce que les investisseurs veulent capter cette prime par rapport au secondaire », observe Axel Botte. Même les belles signatures (hormis quelques exceptions proches de zéro – LVMH ou Orange) comme Total ou Airbus sont obligées de l’offrir pour assurer le bon succès de l’opération.

En revanche, les portes du primaire HY restent closes. « Cela sera possible si le marché confirme sa stabilisation », estime Juan Valencia. Ce qui signifiera que le marché fonctionne à nouveau correctement. « L’amélioration sur le marché secondaire peut prendre plusieurs mois malgré le soutien des banques centrales », craint néanmoins Axel Botte.