La croissance économique française va passer de l’escalier au faux plat

Jade Grandin de l'Eprevier (l’Opinion)
L’activité a quasiment retrouvé son niveau de fin 2019. Tout l’enjeu des années 2022 et 2023 sera que la croissance se stabilise autour de 2% plutôt que 1% en rythme de croisière.

Fini le sprint. L’économie française atteindra finalement son niveau de pré-crise dès la fin de cette année, a indiqué lundi la Banque de France, qui en juin dernier pensait que ce serait plutôt au premier trimestre 2022. A la fin de ce mois de septembre, l’activité sera déjà à 99,5% de son niveau de fin 2019. L’institution prévoit désormais une croissance de 6,3% en 2021 en moyenne annuelle, puis de 3,7% en 2022, avant de revenir légèrement sous 2% en 2023.

Nous entrerons alors «dans une nouvelle phase de croissance, non plus un escalier mais un faux plat», a déclaré en conférence de presse le directeur général de la Banque de France, Olivier Garnier. «Tout l’enjeu dans les deux ans qui viennent sera d’être sur ce faux plat avec une pente de 2% plutôt que de 1%. La croissance est de moins en moins due à l’effet de rebond mécanique, et l’on revient à quelque chose de plus dépendant des moteurs structurels de la croissance», explique-t-il.

Taux bas

Ces moteurs, pour le moment, tournent bien. Grâce aux mesures de soutien exceptionnelles financées par l’endettement public, les ménages et les entreprises ont globalement une situation financière très favorable. Le surplus d’épargne accumulé par les ménages devrait atteindre un pic de 170 milliards d’euros fin 2021, soit environ 7 points de PIB. La Banque de France prévoit que les ménages en dépenseront un peu plus d’un quart d’ici à fin 2023 en consommation et en investissement. Les salaires seraient aussi dynamiques.

Car les entreprises sont également en forme. Mi-2021, l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières était déjà 3% au-dessus de son niveau d’avant la crise. La dette brute des entreprises a beau avoir augmenté de 200 milliards d’euros avec la crise, leur trésorerie a progressé d’autant, et donc leur dette nette à fin juillet était à son niveau de fin 2019. Le taux de marge des entreprises pourrait s’établir à 35% en 2021, contre 33,4% en 2019, alors qu’il y avait à l’époque un effet de double comptabilisation du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi). Le taux d’investissement des entreprises est donc élevé. Grâce aux taux bas, elles n’ont pas besoin de beaucoup s’endetter pour financer leurs investissements. Seules les exportations peinent à retrouver leur niveau de pré-crise, notamment à cause de la spécialisation française dans l’aéronautique et le tourisme.

En 2022, le PIB croîtrait de 3,7%, porté par la vigueur des dépenses des ménages, puis «en 2023, le rythme de progression de l’activité commencerait à se normaliser (1,9%)», indique la Banque de France. Le commerce extérieur se remettrait alors à porter l’activité grâce à la demande mondiale et au redressement espéré de nos performances à l’exportation, en particulier dans l’aéronautique.

Bonnes surprises

Les risques qui pèsent sur la reprise sont liés aux difficultés d’approvisionnement et de recrutement. En août, la proportion d’entreprises indiquant des difficultés d’approvisionnement est passée de 49% à 51% dans l’industrie, et de 60% à 61% dans le bâtiment. Les soldes d’opinion des industriels sur l’évolution des prix (liés aux coûts des matières premières en hausse, aux intrants utilisés dans la fabrication…) sont au plus haut depuis 40 ans ! Les stocks des industriels sont très bas, les composants électroniques manquent drastiquement. Mais la Banque de France est plutôt confiante sur le fait que ces difficultés, liées aux goulots d’étranglement d’une économie mondiale sortant de sa léthargie, seront temporaires. L’inflation serait ainsi de 1,4% en 2022 et de 1,3% en 2023, même si les aléas sont à la hausse.

Les difficultés de recrutement, elles, risquent de durer. La moitié des chefs d’entreprise en souffrent. Le secteur le plus touché est l’intérim, où 90% des groupes manquent de main-d’œuvre. Ce problème freine 70% des entreprises de services informatiques, où il s’explique par «la rareté des compétences et le manque d’adaptation côté formation», explique Olivier Garnier. Dans la restauration, où ces difficultés sont passées de 44% à 66% en juillet et août, c’est plutôt un problème d’attractivité, ajoute-t-il.

Or, si l’on veut que la croissance «roule durablement sur une pente de 2%, résoudre ces problèmes de difficulté de recrutement sera essentiel», insiste Olivier Garnier. L’économie française retrouve ainsi «son principal défi d’avant-crise», alors même que le taux de chômage resterait élevé à 8% ces deux prochaines années. Il y a certes eu de bonnes surprises en matière de créations d’emploi durant le premier semestre 2021, mais la population active grossit dans le même temps, car beaucoup de personnes qui avaient arrêté de chercher un emploi l’année dernière reviennent sur le marché du travail. En outre, les entreprises s’ajustent à la variation d’activité en remontant le nombre d’heures travaillées et en diminuant le chômage partiel. Bref, l’économie française a bien traversé la crise, mais il y a encore du boulot !