La chute de SVB force la main des banques centrales

Xavier Diaz
Les investisseurs anticipent désormais une pause de la Fed et une baisse des taux jusqu’à 4% en fin d’année. Une situation inconfortable dans le contexte d’inflation.

Le sous-indice S&P 500 des établissements régionaux perd 30% depuis l’effondrement de SVB jeudi dernier.  

Sur les marchés financiers, les investisseurs ont perdu la mesure de ce qu’est réellement une bonne nouvelle. Lundi, si Wall Street semblait résister à la chute de Silicon Valley Bank (SVB), ce n’était qu’en surface. Le secteur au cœur de la tourmente, la banque, continuait de corriger. Les investisseurs cherchaient à déceler le prochain maillon faible, même si la plupart des observateurs ne croient pas à l’effet systémique de la chute de SVB. Le sous-indice S&P 500 des établissements régionaux était encore en chute libre, perdant près de 15% et portant la débâcle à 30% depuis l’effondrement de SVB jeudi dernier.

Les annonces du Trésor américain, de la Réserve fédérale (Fed) et du régulateur FDIC n’ont pas suffi à endiguer la panique. Avec les déboires de SVB puis de Signature Bank, la Fed a annoncé dimanche soir qu’elle mettait des liquidités supplémentaires, jusqu’«au 11 mars 2024 au moins», à disposition des institutions financières ayant des dépôts éligibles. La FDIC, elle, remboursera l’ensemble des dépôts, même ceux qui ne sont pas garantis (95% dans le cas de SVB).

Même les propos du président américain Joe Biden, qui a tenté, à son tour, de rassurer en indiquant qu’il ferait «tout ce qui est nécessaire» pour que les banques restent «solides», n’ont pas empêché la déroute de Western Alliance, qui s’effondrait de 74%, ou de First Republic Bank, qui plongeait de 76%. L’indice S&P 500 Banks, incluant les grandes banques américaines, était en repli de 5%.

Les places boursières européennes ont également fortement baissé, l’indice Euro Stoxx 50 chutant de 3,1%, affectées par le net repli des valeurs bancaires. L’indice Euro Stoxx Banks a dévissé de 6,7% lundi et a cédé plus de 12% en une semaine.

«Dans tous les cas, les comparaisons avec la crise financière de 2008 ne sont pas appropriées», relevaient les gérants de DWS dans une note, expliquant que le secteur potentiellement à risque, celui des banques régionales, est bien moins important que le secteur immobilier en 2008, et que les banques sont aujourd’hui plus solides. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de conséquences pour les marchés. «Le communiqué conjoint des autorités américaines dimanche a aidé à sécuriser les déposants mais ne prévoit rien pour les créanciers et les actionnaires, nuance Bhanu Baweja, stratégiste chez UBS. Les défaillances de banques américaines vont pousser les investisseurs à réexaminer leur narratif sur une ‘économie Teflon’ (qui résiste malgré la hausse des taux, ndlr). Avec potentiellement une prime de risque plus élevée et des perspectives plus modérées sur le cycle

Ajustement historique sur les taux

Avec pour première conséquence un ajustement des anticipations de politique monétaire de la Fed. Goldman Sachs pense que la Réserve fédérale pourrait désormais opter pour un statu quo la semaine prochaine. «À la lumière des tensions récentes sur le système bancaire, nous ne nous attendons plus à ce que le FOMC procède à une hausse des taux lors de sa réunion du 22 mars avec une incertitude considérable quant à la trajectoire au-delà de mars», jugent ses économistes. La banque anticipait jusque-là une hausse de 25 points de base (pb). Elle maintient sa prévision d’un taux terminal à 5,5% en juin avec des hausses successives de 25 pb lors des trois réunions après mars, même si l’incertitude est élevée.

Les défaillances de SVB et de Signature Bank montrent les premiers impacts de la hausse des taux dans l’économie réelle. «Notre prévision d’une récession modérée aux Etats-Unis au second semestre cette année reposait notamment sur le fait que la Fed allait continuer de resserrer sa politique monétaire jusqu'à ce qu’elle casse quelque chose. C’est le premier signe majeur que cela est en train de se produire, et à mesure qu’ils continuent d’augmenter les taux, il est probable qu’il y ait d’autres signes», estiment les économistes d’Oxford Economics.

De quoi inciter la Fed à ralentir le rythme de ses hausses de taux, voire de marquer une pause. Ce qu’a bien compris le marché. Les investisseurs ne prévoient plus du tout de hausse de 50 pb le 15 mars ; la probabilité d’un statu quo atteint 26%, contre 74% pour un tour de vis de 25 pb, selon l’outil FedWtach de CME Group. Les traders sont même plus pessimistes que Goldman Sachs pour la suite et anticipent un taux terminal des Fed funds à 4,8% en mai avant une baisse jusqu’à 4% en décembre pour cette année. En une semaine, les anticipations ont été réduites de 200 pb. Même le taux terminal anticipé pour la Banque centrale européenne (BCE) a chuté de 75 pb, à 3,25%.

«Le scénario d’une hausse de 50 pb de la Fed lors de la prochaine réunion, qui était en vue la semaine passée, est remis en cause par les déboires de SVB, observe Raphaël Thuin, responsable des stratégies marchés de capitaux chez Tikehau Capital. Les hausses de taux posent clairement des problèmes à certains acteurs bancaires qui ne peuvent offrir des comptes rémunérés suffisamment compétitifs et qui sont confrontés à d’importants retraits. Ce qui incite à ce que la Fed ralentisse ses hausses de taux

Les rendements sur le marché obligataire sont logiquement en chute libre. Celui des emprunts d’Etat américains à 2 ans s’est encore effondré de 45 pb lundi à 4,12%, portant à plus de 60 pb sa baisse en deux jours, ce qui en fait la plus importante depuis le 11 septembre 2001. La courbe des taux 2 ans-10 ans s’est aplatie à 61 pb, contre plus de 110 pb la semaine passée. Un mouvement historique alimenté aussi par le positionnement extrême du marché. «Il y a eu une fuite vers la qualité et l'évolution des attentes de la Fed a nécessité une révision des prix du marché, souligne John Canavan, analyste principal pour les Etats-Unis chez Oxford Economics. Mais l’ampleur démesurée du mouvement est due en grande partie à un dénouement des paris d’aplatissement de courbe et des positions courtes alors que l’inversion de la courbe et les positions vendeuses à terme sur le deux ans avaient récemment atteint des niveaux extrêmes

«La baisse des taux 2 ans est positive pour les actifs risqués à partir du moment où les anticipations d’inflation diminuent également, note Frédéric Rollin, conseiller en investissement chez Pictet AM. Si la situation est circonscrite, le marché va commencer à se demander ce que pourra faire la Fed par rapport à l’inflation, alors qu’elle a plutôt tenu un discours prudent récemment».

Les marchés auront un premier test dès ce mardi avec la publication de l’inflation américaine pour le mois de février. Le consensus anticipe une hausse de 0,3% sur le mois. «La Fed risque de se retrouver entre le marteau et l’enclume, affirme Raphaël Thuin. D’un côté la nécessité de réduire le rythme du resserrement face au risque sur les banques et de l’autre un maintien des hausses de taux face à une inflation persistante.» En ne relevant pas ses taux en mars, la banque centrale se mettrait dans une position inconfortable.