
La BCE s’engage à recalibrer toutes ses armes

La Banque centrale européenne (BCE) a, comme prévu jeudi, laissé sa politique monétaire inchangée. Mais, sur la base des perspectives économiques réactualisées à sa réunion du 10 décembre, le Conseil des gouverneurs s’engage à recalibrer ses instruments pour faire face à la situation, soutenir les conditions de financement et la reprise économique, et contrebalancer l'impact négatif de la pandémie sur les projections d’inflation. Entretemps, la BCE continuera d’utiliser toute la flexibilité autorisée par ses instruments actuels, notamment de son plan d’achats d’urgence (PEPP), pour accompagner ses objectifs.
Convergence totale au sein du conseil
Premier constat : Christine Lagarde a beaucoup insisté sur la convergence «totale» – assez rare – au sein du Conseil sur les orientations prises : analyser la situation économique avant d’agir. «Il n’est cependant pas très difficile d’obtenir l’unanimité pour ne pas décider, ironise Antoine Bouvet, stratégiste taux chez ING. Les projections économiques aident généralement à faire consensus entre tous les gouverneurs, d’autant plus si c’est dégradé comme c’est possible d’ici là.» Le fait que le Conseil admette en même temps «des risques clairement orientés à la baisse» et «le rôle moteur de la pandémie avec l'augmentation de la contagion» peut laisser croire à une unité encore imparfaite entre ceux qui préfèrent «étudier les (prochaines) informations» tant qu’ils ne voient pas les marchés s’affoler et ceux qui seraient préoccupés par l'impact des nouvelles restriction sur l'économie et sur l’inflation, mais voient dans une position attentiste le moyen de remettre la pression sur une politique budgétaire européenne encore inaboutie. Tout en sachant que la BCE saura réagir avant décembre dans l’urgence si besoin.
Tous les instruments
Deuxièmement, et c’est presqu’un virage par rapport aux derniers discours qui insistaient beaucoup sur l’efficacité du PEPP, la présidente de la BCE a insisté sur le fait d’«étudier tous nos instruments, la manière dont ils interagissent entre eux». Des changements sont donc possibles pour le PEPP, en taille (de 1.350 à 1.850 milliards d’euros par exemple) et dans le temps (de juin à décembre 2021 au moins), et pour le programme d’achats normal (APP-PSPP qui gagnerait en flexibilité avec un objectif final plutôt que mensuel, par exemple. Les paris ont aussi beaucoup progressé, ces derniers jours, sur un allongement au-delà de juin 2021 des opérations de refinancement TLTRO à -1%, «car elles ont théoriquement un effet direct plus évident encore sur le crédit et l’économie, poursuit Antoine Bouvet. En revanche, nous ne croyons pas trop à une baisse du taux de dépôt (actuellement à -0,50%), même avec modification du palier d’application (‘tiering’).» Même analyse de Frederik Ducrozet chez Pictet AM : «Outre l’extension du PEPP, le programme permanent APP pourrait également être étendu, par exemple de 20 à 40 milliards par mois alors que l'enveloppe temporaire supplémentaire de 120 milliards expire en 2021, et rendu plus flexible sur le modèle du PEPP», précise-t-il.
Forte baisse des taux longs
Troisième constat : les taux ont encore chuté pendant la conférence de presse de Christine Lagarde, jusqu’à -0,65% pour le Bund allemand (jeudi à 15h), -0,36% pour l’OAT française, 0,69% pour le BTP italien, et même à nouveau 0,12% (jeudi à 15h) pour le taux espagnol ! «C’est clairement un effet BCE : les marchés s’attendaient à un recalibrage en décembre, pas à ce que le Conseil s’engage aussi fermement à le faire, remarque Antoine Bouvet. Et pour l’avenir ? On peut s’attendre à ce que le ‘fly to quality’ reprenne sur les taux les plus sûrs d’ici à décembre ; la poursuite de l’appétit pour les taux périphériques est moins évidente si on retrouve un creux d’activité économique comme au printemps», conclut-il. «La présidente de la BCE a réussi à rassurer les marchés tout en faisant dévisser l’euro (passé de 1,175 à 1,169 dollar», résume aussi l’économiste Véronique Richez-Flores (RF Research).