La BCE pointe les risques financiers liés à la reprise en K

Fabrice Anselmi
Le rapport de stabilité financière de la Banque centrale européenne constate des risques très inégalement répartis.
(Crédit ECB Robert Metsch.)

Le thème de la reprise en K avait un peu disparu des radars. Pourtant, la revue de la stabilité financière publiée mercredi par la Banque centrale européenne (BCE) montre que les effets très inégaux de la crise ont accentué la concentration des risques financiers sur certains secteurs et certains pays plus exposés à ces secteurs (touristiques notamment), souvent déjà les plus vulnérables auparavant.

Les mesures politiques ont amené les faillites à des niveaux historiquement bas, mais des taux de solvabilité plus élevés qu’avant la pandémie sont porteurs de risques pour le futur, au fur et à mesure que ces aides publiques cesseront. Cela pourrait peser sur les émetteurs souverains, dont la dette inquiète la BCE – malgré des intérêts et un risque de refinancement plus faibles que par le passé -, notamment si la reprise de la croissance devait ne pas être aussi dynamique qu’espérée et/ou en cas de réactivation du pacte de stabilité budgétaire prématurée. Cela pourrait aussi peser sur les banques, du fait de leur soutien aux entreprises et aux Etats, avec lesquels le lien s’est également renforcé.

«Divergence persistante des secteurs»

Le rapport insiste donc sur la divergence persistante entre les secteurs, potentielle source de risques financiers : premièrement, «les plus touchés sont confrontés à des risques de liquidité et de solvabilité plus graves que ne le suggèrent les indicateurs économiques agrégés, et la matérialisation de ces risques pourrait éliminer certains déséquilibres macrofinanciers avec des retombées négatives sur d’autres secteurs» ; deuxièmement, «la divergence persistante entraînera à un moment donné une réaffectation des ressources des secteurs les plus touchés vers des secteurs offrant de meilleures perspectives». Les coûts associés à ces réaffectations, par exemple concernant les travailleurs, pourraient peser sur la vigueur et le rythme de la reprise à moyen terme. Dans la mesure où les conditions sanitaires et économiques le permettront, «le large soutien politique (budgétaire, monétaire, prudentiel, ndlr), en particulier pour les entreprises, pourrait progressivement passer d’une large base à un plus grand ciblage», a rappelé le vice-président Luis de Guindos, soucieux de ne pas accentuer la «zombification» de certains pans de l’économie, qui augmentent aussi la vulnérabilité des autres agents à moyen terme.

La situation des ménages ne s'est pas trop aggravée au regard des taux de chômage, mais leurs inquiétudes montrent de fortes disparités entre pays et entre classes sociales. Idem pour l’épargne accumulée pendant la pandémie : si la BCE ne relève pas de risques spécifiques liés à l’endettement des ménages, elle se questionne sur le rôle que pourra tenir cette épargne dans la relance, sachant qu’une partie semble avoir été investie dans l’immobilier résidentiel, dont les prix ont augmenté de 5,8% en zone euro au quatrième trimestre 2020.

Marchés encore exubérants

La BCE montre des inquiétudes croissantes concernant la surévaluation et la possibilité de brusques corrections sur le prix des actifs. La hausse récente des taux américains a ravivé les inquiétudes quant à la possibilité de changements des conditions financières, même si la politique monétaire permet d’en atténuer les effets. Cela pourrait affecter les entreprises endettées, les ménages, les Etats et les investisseurs devenus plus exposés aux risques de duration, de crédit et de liquidité. «Le dynamisme des marchés financiers a contrasté avec des fondamentaux économiques plus faibles, tandis que les récents épisodes de volatilité mettent en évidence le risque de réévaluation», indique le rapport. Il relève des valorisations boursières élevées, au-dessus des niveaux d’avant-crise aux Etats-Unis, et des signes d’exubérance au travers des niveaux de levier observés, ainsi que des crypto-actifs comme le bitcoin.

Le sentiment de marché envers les banques s’est considérablement amélioré. Cependant, leur rentabilité reste faible (le rendement sur capitaux propres, ROE, retrouvera peut-être les 5,3% de 2019 en 2022), et les perspectives incertaines. La qualité des actifs bancaires a été préservée, «mais le risque de crédit peut se matérialiser avec un certain décalage», ce qui imposera d’augmenter les provisions pour pertes sur prêts dès les premiers signes de dépréciation. Des solutions plus efficaces d’exécution des créances sur les prêts non performants (NPL) - en baisse à 2,7% des encours fin 2020 -, et une utilisation complète des coussins de capital disponibles seront aussi probablement nécessaires avec la reprise.

Les acteurs non bancaires continuent d’être fortement exposés aux entreprises, notamment aux obligations des non-financières (NFC), et au risque d’une réévaluation brutale des spreads, en particulier sur le haut rendement, «où ils sont tombés au-dessous des niveaux d’avant la pandémie malgré des vulnérabilités croissantes» - ratios d’endettement accrus, moindres anticipations de bénéfices. Le rapport évoque à la fois un risque de crédit, lié aux potentielles défaillances à venir, un risque de taux, compte tenu du risque de duration accru et de l’exposition aux marchés américains, et un risque de liquidité élevé, encore accru pour les fonds d’investissement «depuis novembre». Cela les rend «très vulnérables aux ventes d’actifs en cas de rachats à grande échelle», ajoute la BCE, dans l’attente de propositions du Conseil de stabilité financière (FSB) sur un renforcement macroprudentiel possible des coussins de liquidité des fonds monétaires notamment.

Enfin, une analyse spécifique indique qu’une part importante des prêts bancaires aux entreprises pourrait être soumise à un haut niveau de risque physique lié au climat, affectant directement l’opérationnel des entreprises et/ou les garanties physiques utilisées pour garantir les prêts. Au vu des tests de résistance au climat, la BCE rappelle les avantages évidents à agir tôt, dans l’évaluation des risques, l’allocation des financements pour soutenir la transition, la transparence sur ces évolutions, ainsi que dans la fixation de normes plus claires sur la finance verte.