
La BCE peine toujours à convaincre totalement

Après un net recul à l’ouverture des marchés, les rendements des emprunts d'Etat de la zone euro sont finalement remontés dans la journée de jeudi, malgré le nouveau Programme d'achat d’urgence pandémique (PEPP), d'un montant de 750 milliards d'euros, dévoilé tard la veille par la Banque centrale européenne (BCE) afin de soutenir les dettes souveraines, dont les émissions devraient augmenter considérablement si les plans de soutien de l'économie sont confirmés. Contrairement aux 10 ans italiens (avec un rendement 1,71% au lieu de 2,44% la veille), français (0,19% au lieu de 0,37%) et surtout grecs (2,38% au lieu de 3,80%), le Bund allemand a même terminé la journée légèrement dans le rouge (-0,24% au lieu de -0,25%)...
«Vers les dettes souveraines»
Comme si les marchés doutaient après coup que cette action soit encore suffisante. Comme si la BCE n’avait fait que corriger ses communications maladroites, notamment celle de Christine Lagarde, depuis le 12 mars, sans atténuer vraiment les craintes face à l’ampleur de la crise sanitaire et économique actuelle. Face aux besoins d’émissions de dettes supplémentaires des Etats de la zone euro, que Barclays chiffre à 290 milliards minimum, la banque centrale a donc ajouté ces 750 milliards à son programme APP relancé en septembre pour 20 milliards par mois, sans limite de temps, au contraire des 120 milliards pour neuf mois annoncés le 12 mars.
«Ces nouveaux achats seront particulièrement orientés vers les dettes souveraines (via le PSPP), plutôt que vers les dettes 'corporates' (CSPP) comme annoncé une semaine plus tôt, car l’idée est de réduire la fragmentation du marché des taux souverains, et de permettre techniquement les nouvelles émissions. Il fallait arrêter l’impression qu’elle ne pourrait plus être ‘acheteur en dernier ressort’», commente Julien Manceau, chef économiste chez ING, évoquant un programme «miroir» des annonces budgétaires face à l'épidémie.
La Grèce aussi
Théoriquement, cela porterait ses moyens à près de 1.100 milliards pour 2020, mais il est probable que, face à l’urgence de la situation, les investissements de ce programme, qui élargit les actifs éligibles de l’APP existant aux certificats de trésorerie d’entreprises à court terme et les règles de collatéral bancaire aux prêts aux PME, seront plus fortement déployés les prochaines semaines. La BCE pourrait aussi concentrer ses achats à court terme sur les pays les plus en difficulté comme l'Italie ou la Grèce, qui ne faisait pas partie des programmes précédents, d’où la différence de variation de taux avec l’Allemagne. Cette dernière devrait en outre décréter une exception à sa règle d'or budgétaire pour en 2020.
Signe de la détermination de la présidente de la BCE, elle envisage, malgré l’objection de certains gouverneurs, de réviser les limites actuelles qui pourraient entraver son action. «Une référence évidente à sa clé de répartition et sa limite de détention de plus d'un tiers de l'encours de dette des Etats, quitte à ramener les Allemands devant les tribunaux européens pour en discuter», poursuit Julien Manceau. Ce qui fait dire aux analystes de Barclays que la BCE peut faire plus : «On est dans un séquençage progressif, en perpétuelle évolution tant qu’on n’a pas le ‘calibrage’ macroéconomique final de cette crise, rythmé par les annonces successives des gouvernements et des banques centrales, analyse François Cabau, économiste senior Europe de la banque. Le coup d’après revient aux Etats, qui pourraient idéalement faire une demande coordonnée d’ouverture d’une ligne de précaution auprès du Mécanisme européen de stabilité (ESM).»
«Yield curve targeting»
Ces derniers jours, certains estimaient que la BCE aurait aussi pu développer l’arbitrage de «points de courbe» (yield curve targeting), comme le fait la Banque du Japon (BoJ) afin d’atténuer la pentification de certaines parties, pourquoi pas avec une limite haute sur une partie des dettes de certains pays. Il semble d’ailleurs que la Banque d'Italie soit intervenue dans ce sens mercredi afin d’atténuer le stress sur certaines souches, et la banque centrale australienne (RBA) a lancé jeudi un programme de rachats visant à repentifier sa courbe des taux en contrôlant la maturité à 3 ans. «La Fed l’a déjà fait par le passé, avec succès, jusqu’à ce que l’inflation remonte, ce qui n’est pas un risque majeur aujourd’hui», rappelle Frédérik Ducrozet, stratégiste chez Pictet WM. Et la BCE le fait de façon implicite, au travers du PSPP, mais sans se fixer de cibles de taux explicites. Cet instrument, qui permet une meilleure transmission de la politique monétaire quand les objectifs de taux affichés sont jugés crédibles, a pour avantage d’être moins gourmand en bilan.