Ennemis jurés

L'éditorial de Jean-François Tardiveau, rédacteur en chef de L'Agefi Actifs.
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Aux dernières nouvelles, il semble que la rente ait connu un nouveau revers. Alors qu’elle régnait quasiment en maître à la sortie des produits d’épargne retraite tels que les Perp et les contrats Madelin, elle pourrait rapidement subir la redoutable concurrence d’une possibilité de sortie en capital offerte aux épargnants. Le coup est rude. Surtout, il s’agit d’une nouvelle et redoutable concurrence pour la rente, qui connaît déjà, par ailleurs, deux ennemis jurés : la fiscalité et l’inflation. Or, ces deux‑là semblent ne plus être en capacité de pénaliser les rentiers. Du moins dans l’immédiat. Au sujet de la fiscalité, on voit effectivement mal Bercy recourir à une nouvelle imposition qui alourdirait la note pour des épargnants – qui sont aussi des électeurs.

Quant à l’inflation, même si, là encore, rien ne permet d’affirmer qu’il en sera toujours ainsi, elle semble très sage dans le temps. Certes, les derniers graphiques portant sur l’inflation générale mettent en évidence un récent point d’inflexion et une remontée à 1,4 % sur les douze derniers mois. Mais une lecture plus fine, permettant de distinguer l’inflation générale et l’inflation cœur, présente un tout autre bilan. La première intègre l’énergie et l’alimentation, contrairement à la seconde, ce qui modifie sensiblement la donne. Car le secteur de l’alimentation peut être trompeur. N’a-t-il pas laissé penser, l’an dernier, que l’inflation était de retour en Allemagne alors que l’été pluvieux outre-Rhin avait fait flamber le prix des légumes ? Quant au pétrole, on sait depuis longtemps que son prix est un élément perturbateur. Pour autant, il ne se diffuse plus à l’économie comme le démontre cette inflation cœur bloquée à 1 % sur les douze derniers mois. Résolument tournées vers les services, nos économies sont désormais bien moins sensibles aux prix de l’énergie.

Dès lors, avec des taux d’intérêt et des taux de croissance faibles, le scénario d’une stagnation séculaire aux relents keynésiens a ses partisans. D’autant que cette théorie est assise sur l’idée que la croissance économique évolue en fonction de la croissance de la population et des gains de productivité. Justement, la population ne croît plus mais vieillit et les gains de productivité sont de plus en plus faibles. La vision monétariste, qui considère quant à elle que seule la création de monnaie génère l’inflation, n’apporte pas vraiment de contradiction après avoir constaté que les milliards injectés par les banques centrales ces dernières années n’ont pas été en mesure de faire bouger les lignes. Reste dans ce cadre une question. À plus ou moins long terme, la donne pourrait-elle changer ? À en juger par les anticipations d’inflation à cinq ans pour les cinq années suivantes, les attentes ne marquent pas de changements majeurs, il s’en faut. À un horizon 2023, elles font état d’un taux de 1,68 %, encore éloigné des 2 % cible fixés par la Banque centrale européenne pour la zone euro. Dommage pour la rente, qui semble avoir gagné une guerre économique mais va sans doute perdre une bataille auprès des épargnants. Une bataille… capitale.