
Des recrutements sélectifs laissant la part belle à l'expérience
La sphère du patrimoine, au ralenti en 2009, semble redonner des signes positifs. Les rémunérations restent au point mort cette année encore, mais le marché n’est néanmoins pas inexistant. Il ne l’a jamais été d’ailleurs, la profession ayant maintenu un flux de recrutements relativement stable et supérieur à la moyenne du secteur financier. En revanche, les établissements bancaires font preuve d’une sélectivité très forte dans le choix des profils qu’ils recherchent en externe, favorisant, si possible, la promotion interne.
Les jeunes diplômés se trouvent les premiers touchés, éclipsés par les candidats dotés de 3 à 5 ans d’expérience, plus rapidement opérationnels aux yeux de l’entreprise. Tandis que la banque privée a fermé la porte aux juniors, la banque de détail continue toutefois d’alimenter assez fortement le réseau en nouvelles recrues, sans surprise aucune, sur des postes commerciaux mais en dessous des attentes des jeunes postulants, masters en poche. Déception profonde pour ces bac+5 de l’enseignement supérieur : ils intéressent moins le marché. Les jeunes diplômés tombent de haut, d’autant que la fonction commerciale n’a toujours pas su imposer une image valorisante.
Qu’ils se rassurent, les plus de 50 ans n’obtiennent pas davantage la faveur des directions des ressources humaines. Entre une gestion de carrière en fin de vie pour les uns et un rejet quasi systématique de leurs CV pour les autres, les seniors vivent aussi des jours compliqués.
Un secteur moins touché…
Du côté des cabinets de recrutement, des consultants ou des sites d’emploi, le constat est sans appel : chez les assureurs comme chez les banquiers, le domaine de la gestion de patrimoine a été relativement préservé au regard du reste du secteur financier. Les recrutements dans le métier semblent repartir. Certes, une baisse de leur volume a été observée en 2009, mais dans la banque commerciale, « cette activité demeure l’un des segments de marché où les embauches restent les plus dynamiques aujourd’hui », note Pierre Daubas, manager de la division banque de Robert Half International France.
Mathieu Motillon, son homologue de la division assurance, observe la même tendance : « Les réorganisations ont davantage été opérées sur les fonctions supports - directions comptable, financière ou marketing - que sur des postes de commerciaux », précise-t-il. « Contrepartie positive de la crise : l’image de marque des assureurs a moins souffert que celle des banquiers directement visés par la tourmente financière », note Norbert Girard, chargé de mission à l’Observatoire des métiers de l’assurance.
Concernant la gestion de fortune, les intervenants interrogés ne sont unanimes que sur la capacité des banquiers privés à retrouver sans problème un nouvel employeur à partir du moment où ils sont susceptibles de lui amener un portefeuille de clients.
… mais pas totalement épargné.
Sur le marché discret et confidentiel de la gestion de fortune, les effets de la crise sur l’emploi sont difficiles à mesurer. Ces spécialistes de haut niveau dont la banque se détache moyennant finance ne se retrouvent que très rarement sur le marché, d’autant que « discussion de sortie » n’est pas forcément synonyme de mauvaise relation ultérieure. Les anciens salariés s’avèrent souvent de très bons prescripteurs.
Quelques accords de départ ont pu être observés de part et d’autre. Le cas UBS mis à part,« la profession a effectué des arbitrages sévères en 2008-2009 qui ne sont d’ailleurs pas forcément liés aux résultats des gestionnaires. Les derniers rentrés ont souvent été les premiers sortis quel que soit leur grade », signale Claude Bodeau, associé en charge de Practice RH d’Ineum Consulting. Que des banques aient saisi l’occasion pour écarter certains de leurs collaborateurs n’a rien d’étonnant, mais « qu’elles se soient séparées de gérants privés, à partir du moment où ils étaient compétents, hors décision stratégique, cela paraît difficile à croire », explique Thierry Mageux, business development directorde Robert Half.
Toujours est-il que les nuages flottent toujours à l’horizon, menaçant la rentabilité de l’activité de banque privée. Car 2009 a vu, d’une part, trembler la gestion d’actifs et, d’autre part, fortement diminuer le nombre d’opérations du monde du corporte finance,entraînant logiquement un gel des recrutements en gestion de fortune. Les premiers mois de 2010 augurent d’une année moins sinistrée au niveau des embauches.
Optimisation des ressources internes.
« Les banques universelles se servent de leur réseau pour faire évoluer leurs chargés de clientèle vers la gestion de patrimoine, ce qui a pour effet de réduire d’autant l’offre extérieure »,explique Pierre Perrin, directeur général d’Enthalpia, pôle recrutement, placement et gestion de flexibilité du groupe Hominis. La remarque est valable pour un passage du réseau vers la banque privée.
La gestion de la mobilité interne des collaborateurs a ainsi modifié les missions confiées aux cabinets de recrutement. « Nos clients sont très vigilants sur les profils qui vont les rejoindre », explique Mathieu Motillon. L’année 2009 a accentué ce phénomène. Les acteurs sont dans une logique d’optimisation de la masse salariale : avant de faire appel à un prestataire extérieur, ils font le tour de leurs équipes. Ce n’est que lorsqu’ils ne disposent pas de la compétence en interne que le cabinet de recrutement retrouve son rôle. Cette configuration a pour effet de ne mettre sur le marché que des offres d’emploi au profit des profils expérimentés, laissant sur le bord de la route les jeunes diplômés à la sortie de leurs études spécialisées en gestion de patrimoine.
Les jeunes mis à l’écart.
« Beaucoup de jeunes diplômés, même après un stage long de 6 mois à un an en gestion de patrimoine, n’ont pas de propositions d’embauche alors que les mêmes, il y a un an et demi, avaient trois offres d’emploi dans leur boîte aux lettres », souligne Pierre Daubas. Mais le temps a un prix. Place donc aux professionnels confirmés dotés d’une expérience commerciale aguerrie et capables d’être opérationnels rapidement sur le terrain sans passer par un parcours de formation ou une période de transition.
Alors, les nouveaux entrants sur le marché du travail multiplient les stages pour acquérir de la pratique. Cela permet d’ailleurs aux banques de décaler leurs embauches dans le temps. Fabrice Robert, cofondateur de « jobintree », y voit « une vraie tendance de fond qui n’existait pas il y a cinq ans ». La convention de stage fait aujourd’hui partie intégrante des premiers pas dans l’entreprise. Certains y reconnaissent la possibilité de former et de formater les futurs collaborateurs, d’autres, c’est le cas de Pierre Perrin, dénoncent leur utilisation « outrancière »et « insidieuse ». Quoi qu’il en soit, les observateurs rapportent à l’unisson : « Le monde du travail est très dur pour les jeunes diplômés. »
« Il n’y a pas assez d’offres pour satisfaire l’ensemble des masters 2 qui ont fleuri dans les quatre coins de la France ces dix dernières années », avance Pierre Perrin. « Il y a tellement peu de postes que les attentes des jeunes générations (lire l’encadré) - personnes nées entre la fin des années 70 et le milieu des années 90 - ont un peu diminué tant en termes de salaires que de fonctions, remarque Thierry Mageux. On a vu dans le passé des bac+5 rejoindre l’ingénierie patrimoniale d’une banque privée. Aujourd’hui, ils intègrent le réseau en tant que conseiller haut de gamme. On les descend d’un cran. Cela a redonné un peu d’humilité au marché et rétabli les équilibres des pouvoirs qui étaient assez fortement du côté des candidats au détriment des employeurs »,observe-t-il.
Faible rotation des effectifs et stagnation des rémunérations.
L’heure est à la sécurité. Thierry Mageux note une augmentation de 30 % en 2009, par rapport à 2008, du ratio « nombre de propositions effectuées » sur « nombre de refus ».
Par ailleurs, le cabinet de recrutement a dû jouer l’année dernière le rôle d’arbitre entre des employeurs incités à contenir les salaires et des postulants, plus frileux, exigeant une rémunération supérieure justifiée par le risque de quitter un CDI. « En 2003, le candidat était roi »,se rappelle Mathieu Motillon. Sept années plus tard, le temps des surenchères salariales et des vagues de démissions s’est suspendu. Les salariés pèsent les avantages et les inconvénients de manière réfléchie, ne privilégiant pas uniquement l’effet rémunération.« Beaucoup ont refusé au dernier moment une proposition qu’ils auraient acceptée deux ans auparavant », souligne-t-il.
Les candidats en quête de valeurs nouvelles.
« Le collaborateur a besoin de se reconnaître dans un projet et dans un groupe. Le sentiment d’appartenance et de considération est véritablement fondamental et tout aussi important que le salaire », analyse Mathieu Motillon. « Ce qui est déterminant pour le collaborateur, ce n’est plus seulement sa fiche de paye mais également la taille de la banque, le rapport à l’humain, la relation de confiance qui s’instaure dès les premiers échanges du processus de recrutement », confirme Pierre Daubas.
Les spécialistes de la gestion de fortune changeaient soit pour une rémunération plus attractive, soit pour le renom d’une enseigne. Aujourd’hui, cela paraît ne plus suffire.« Sur le plan moral, les équipes ont beaucoup souffert. Elles se sont battues pour atteindre leurs objectifs et n’ont rencontré en retour ni bonus, ni égards », poursuit-il. A l’heure actuelle, il semble que les candidats soient enclins à se diriger vers des entreprises beaucoup plus humaines et moins industrielles, capables de proposer un véritable projet professionnel.
De la gestion de la crise à la gestion des carrières.
Apprendre à conserver les talents, voilà ce qu’enseigne la crise actuelle. « Comment motiver les collaborateurs sans levier financier ? »,cite Mathieu Motillon à titre d’exemple. C’est sur ce type de sujets que les responsables des ressources humaines sont invités à réfléchir. « La performance d’un individu repose pour l’essentiel sur sa motivation qu’il puisera principalement dans la reconnaissance que lui accordent sa société, ses pairs et ses clients »,explique Norbert Girard. Le défi des entreprises, en 2009, a donc consisté à travailler sur la considération, au-delà des aspects de rémunération, peu d’augmentations ayant été consenties. Mathieu Motillon a pu observer chez les assureurs « une présence beaucoup plus importante qu’auparavant des managers de proximité et des directions générales auprès des équipes sur le terrain ».
« De manière générale, la gestion de carrière et des talents est aujourd’hui une vraie question en Europe continentale », constate Thierry Mageux. Longtemps sous-estimée, la fonction RH semble trouver sa place dans l’entreprise. L’avis n’est pas partagé par tous. « Je crains que ce ne soit plus en surface qu’en profondeur, explique un consultant. Certes, le métier est difficile pour ceux qui l’assument car ils manquent de moyens et d’outils. Mais ils ne font pas preuve non plus d’esprit d’innovation. Ils n’ont l’œil que sur la masse salariale. »
Le secteur bancaire serait pourtant moins sévère que l’industrie - qui réagit de manière plus forte aux soubresauts conjoncturels à la baisse comme à la hausse -, de même que l’Europe, davantage soucieuse de l’humain que les pays anglo-saxons (lire l’encadré p. 9).
Les défis de la fonction RH.
Que reste-t-il alors aux banques pour éviter la fuite de leurs talents quand le marché reprendra des couleurs ? Thierry Mageux constate « la perte totale d’identification du salarié à son entreprise ». Si la rotation des collaborateurs a diminué en 2009, cela ne veut pas dire qu’ils n’attendent pas des jours meilleurs pour partir chez le concurrent. « La génération des années 79-91, en particulier, est très consommatrice de l’entreprise » ,précise Mathieu Motillon.
Du côté des assureurs, peut-être serait-il temps de revoir les politiques de rémunération basées essentiellement sur un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé et de tenir compte enfin de l’aspect qualitatif du travail. Certains y songent, notamment pour mieux intégrer les jeunes, mais se heurtent au poids de l’histoire, les plus âgés considérant que le « tout variable » demeure la source d’un bon apprentissage. Aujourd’hui, c’est parce que l’entreprise n’est pas en mesure de discerner sa valeur chez le collaborateur qu’elle s’intéresse uniquement au résultat obtenu. « Un des enjeux des ressources humaines, rappelle justement Mathieu Motillon, consiste à être capable de gérer des populations et des générations différentes à l’intérieur d’une même organisation. »