
Danger pour les propriétaires d’œuvres d’art

Lors de l’examen en séance publique de la loi « Lutte contre la fraude », les députés ont voté favorablement à un article 4 septies proposé par les députés La République en marche qui visait à ajouter les œuvres d’art dans les éléments de train de vie prévus à l’article 168 du Code général des impôts (CGI), et qui prévoit une taxation d’office par l’administration fiscale.
Cet article envisage une forme de fiscalité forfaitaire lorsqu’il existe un différentiel trop important entre les éléments de train de vie estimés d’un contribuable et ses revenus. L’administration fiscale peut alors taxer forfaitairement ces contribuables en tenant compte de la valeur de certains biens ou d’éléments de leur train de vie.
C’est ainsi que sont pris en considération la valeur des résidences principales et secondaires, les salaires des personnels de maison, précepteurs, gouvernantes, les valeurs des motos, des voitures, des yachts, des avions, des chevaux de courses, etc. Cet article prévoit même la prise en compte des montants de locations de droit de chasse et versés aux clubs de golf (sic).
Jusqu’à présent les objets d’art et de collection étaient épargnés par ce dispositif particulièrement intrusif et créant un esprit de suspicion pour tout élément laissant entendre une certaine aisance financière de la personne visée.
Les députés LREM ont donc souhaité ajouter à cette liste de l’article 168 du CGI les biens culturels en prévoyant que la valeur prise en compte serait : « La valeur d’acquisition du bien si celle-ci est connue ou, à défaut, la valeur vénale du bien à la date d’acquisition si cette date est connue ou, à défaut, la valeur vénale du bien au 31 décembre de l’année d’imposition ».
Cette mesure s’inscrit parfaitement dans la volonté de surveillance des collectionneurs ou des propriétaires d’art en France qui s’exprimait déjà lors des débats sur la taxation des œuvres d’art à l’ISF. Cet impôt n’existant plus, les députés se sont reportés sur cette mesure qui, si elle apparaît anodine au premier abord, peut avoir d’énormes conséquences pour le milieu culturel français et le marché de l’art.
En effet, il arrive parfois que certains propriétaires d’œuvres d’art soient accidentellement détenteurs d’œuvres rares (héritage, revalorisation d’un domaine oublié, découverte, etc.). C’est une grave erreur de croire que la propriété d’œuvres d’art ayant une grande valeur est nécessairement liée à un train de vie ou à une fortune personnelle. Les propriétaires de châteaux peuvent, par exemple, être détenteurs d’œuvres d’art rares sans pour autant bénéficier d’un train de vie somptuaire. La valeur de leurs œuvres d’art peut exprimer un décalage entre les revenus et la valeur de leurs biens artistiques.
Cette mesure insinue que le propriétaire d’œuvres d’art cacherait une richesse personnelle qui serait nécessairement issue d’un détournement ou d’une fraude fiscale. Pire que la potentielle taxation des œuvres d’art à l’ISF, elle stigmatise symboliquement toute personne cherchant à assurer la préservation de notre patrimoine culturel ou à soutenir la création artistique de notre pays.
Avec une telle mesure, c’en est fini des prêts par les collectionneurs ou propriétaires d’objets d’art aux musées pour leurs expositions. Le risque sera trop important que les fichiers des prêteurs soient utilisés pour alimenter les enquêtes fiscales issues de cette disposition. De la même manière, les acteurs du marché de l’art, galéristes, maisons de ventes aux enchères, ou antiquaires, pourront être sollicités par les services fiscaux pour fournir les listes de clients afin de croiser les fichiers, sans parler des assurances objets d’art qui, même si elles n’ont plus d’obligations déclaratives, pourront se voir contraintes de divulguer la liste de leurs assurés.
Cette petite mesure peut incontestablement avoir des conséquences catastrophiques avec une perte majeure sur notre patrimoine culturel, les propriétaires d’œuvres rares préférant procéder à un exil fiscal de leur bien plutôt que d’être poursuivis et soupçonnés par l’administration fiscale.
La commission mixte paritaire au Sénat a heureusement rejeté cette mesure après un lobbying intensif et silencieux de professionnels du marché de l’art. Mais comme pour l’ISF, la menace reste d’actualité.