Credit Suisse réveille le spectre d’une crise bancaire

Xavier Diaz
La Banque nationale suisse a apporté mercredi soir son soutien à la banque systémique en difficulté, dont le plongeon boursier a entraîné avec lui les marchés actions et provoqué un rush sur les emprunts d’Etat.

Les investisseurs croyaient avoir passé sans trop de casse l’obstacle des banques régionales américaines, ils avaient oublié Credit Suisse en Europe. En affirmant mercredi qu’il ne comptait pas renflouer à nouveau la banque, et pas uniquement pour les raisons réglementaires et statutaires qui l’empêchent de franchir le seuil des 10% du capital, le président de la Saudi National Bank, principal actionnaire de la deuxième banque helvète avec 9,8% du capital, a mis le feu aux poudres. L’action Credit Suisse s’est effondrée de 24%, entraînant dans son sillage le secteur bancaire européen et les indices actions.

Au terme de cette folle journée, la Banque nationale de Suisse (BNS) et la Finma, le régulateur financier local, ont publié mercredi soir un communiqué annonçant qu’elles fourniraient des liquidités au groupe si nécessaire. Celui-ci «satisfait aux exigences en matière de capital et de liquidités imposées aux banques d’importance systémique. En cas de besoin, la BNS mettra des liquidités à la disposition du Credit Suisse», affirment les deux autorités. Elles précisent que «les turbulences actuelles sur le marché bancaire américain ne suggèrent pas qu’il existe un risque de contagion directe pour les établissements suisses».

Des airs de 2008

Dans le contexte actuel, après les défaillances de trois banques régionales aux Etats-Unis, les propos du premier actionnaire de Credit Suisse ont sonné comme une alerte. Les déclarations plus tard dans la journée dans un média à Singapour d’Ulrich Körner, directeur général de la banque, expliquant que Credit Suisse était une banque mondiale et systémique régulée avec un capital et une base de liquidités très solides, sans rapport avec Silicon Valley Bank, n’y ont rien fait. Le seul mot d’ordre sur le marché était de réduire l’exposition au secteur bancaire. Une panique qui pour beaucoup avaient des airs de 2008.

L’indice EuroStoxx du secteur bancaire a abandonné 8%. A Paris, les actions de la Société Générale et de BNP Paribas ont dévissé respectivement de 12,2% et 10,1%. Les valeurs bancaires ont entraîné l’ensemble du marché. En Europe, les indices ont connu leur pire séance depuis plus d’un an. L’EuroStoxx 50 a perdu 3,5%. A Paris, le CAC 40 a chuté de 3,6% revenant sous 6.900 points après avoir récemment dépassé pour la première fois les 7.400 points. Wall Street était également en baisse à mi-séance.

La débâcle boursière de la banque suisse a été totale. Certaines obligations subordonnées affichaient des rendements de 60%. Les CDS 5 ans (credit default swaps) qui permettent de s’assurer contre le risque de défaillance d’un émetteur, ont bondi à plus de 600 points de base (pb) et la courbe s’est inversée entre le CDS 2 ans et celui à 5 ans, un signe de panique. En théorie, à ces niveaux, cela signifie que la probabilité de défaut anticipée par le marché est de 50%. Mais compte tenu de la faible liquidité mercredi sur ces instruments et sur les obligations, les prix sont peu significatifs même s’ils montrent une énorme tension.

«Le marché savait que Credit Suisse avait des difficultés, note Xavier Chapard, stratégiste chez La Banque Postale AM. Mais le problème aujourd’hui est celui du risque de contagion à l’ensemble du système bancaire. Credit Suisse est une grosse banque d’investissement avec d’importantes expositions sur le marché des dérivés en lien avec l’ensemble du système bancaire. Or il est très compliqué d’avoir une idée de la situation bilantielle et des expositions de la banque.» D’où la panique.

Retour en force de la volatilité

La tension est clairement visible dans les indicateurs de volatilité actions. L’indice VStoxx européen a bondi à 32 pour la première fois cette année. Le Vix progressait également à près de 30 à Wall Street. A 173 l’indice Move de volatilité des taux a atteint un plus haut depuis 2009. La fuite vers les actifs de qualité, en premier lieu les emprunts d’Etat, a provoqué une nouvelle spectaculaire détente des taux, après celle de lundi. Le rendement du Bund 10 ans s’est resserré de 28 pb, à 2,16%. «La volatilité en séance a été historique avec un écart de 40 pb entre le plus haut et le plus bas, ce qui n’était jamais arrivé depuis 1990 quand l’évolution avait été de 30 pb», indique Stéphane Déo, directeur de la stratégie de marché chez Ostrum AM.

Le mouvement a été encore plus violent sur la partie courte de la courbe. Le rendement à 2 ans, plus sensible à la politique monétaire, est même passé sous le niveau du taux de dépôts de la Banque centrale européenne (BCE) de 2,5%. Le taux 2 ans allemand a en effet chuté de 40 pb, à 2,46%, avec un écart de plus de 60 pb entre les extrêmes. Les rendements des emprunts d’Etat américains étaient également en fort repli, la courbe des taux poursuivant sa repentification sur la partie 2 ans-10 ans à 45 pb, contre un plus haut de 113 pb la semaine passée.

«Credit Suisse a beau avoir mis en place un plan pour améliorer son modèle d’affaires à moyen terme, à court terme la banque fait face à un vrai problème de liquidité, souligne Xavier Chapard. Or Credit Suisse n’est pas SVB. C’est l’une des 30 plus grosses banques considérées comme systémiques». «La réaction paraît toutefois un peu trop violente, estime pour sa part Stéphane Déo. Le marché exagère en comparant les situations de SVB et de Credit Suisse. Bien sûr, si la banque fait défaut, il y aura des pertes pour les autres banques vu son caractère global et systémique. Mais si la panique est justifiable, le mouvement semble exagéré car le système bancaire européen semble bien capitalisé». Le stratégiste relève d’ailleurs qu’au sein du secteur bancaire européen, le marché a bien distingué entre les banques jugées les plus solides et les autres : celles ayant les ratios de valorisation (PER) les plus élevés ont perdu 3% en moyenne, contre 8% pour les valeurs aux PER les plus bas. Stéphane Déo ajoute qu’en cas de problème de liquidité la Banque centrale européenne (BCE) ne manque pas d’outils pour intervenir.

Stress autoréalisateur

«Le problème avec les stress financiers est qu’ils sont autoréalisateurs, avec dans le cas de Credit Suisse un risque systémique réel. Et seules les banques centrales et les régulateurs peuvent casser cette spirale comme cela a été le cas ce week-end aux Etats-Unis après la faillite de SVB puis de Signature», souligne Xavier Chapard qui s’étonnait de l’absence de réaction des autorités avant que celles-ci ne fassent leur déclaration dans la soirée de mercredi. Le Trésor américain a déclaré pour sa part qu’il surveillait la situation de la banque helvète et qu’il était en contact avec ses homologues mondiaux à ce sujet.

La débâcle des valeurs bancaires européennes intervient à la veille de la réunion de la BCE ce jeudi. La banque centrale s’est engagée jusqu’à peu à relever de 50 pb ses taux directeurs pour lutter contre une inflation persistante. Mais face aux craintes pour la stabilité financière, les investisseurs ont revu mercredi en forte baisse leurs anticipations. «Si la dégradation se poursuit ce jeudi, la Banque centrale européenne pourrait opter pour un statu quo, avec pour risque d’accentuer la panique dans le marché et perdre en crédibilité dans sa lutte contre l’inflation», avance Xavier Chapard. D’où la nécessité d’une rapide intervention verbale en amont pour dire que la BCE peut apporter les liquidités nécessaires si besoin. «En intervenant dès ce week-end, la Fed a dissocié le risque bancaire et la lutte contre l’inflation», indique le stratégiste.

Mais pour Stéphane Déo, la BCE va délivrer les 50 pb annoncés tout en rappelant qu’elle dispose d’outils comme les opérations de refinancement à long terme (TLTRO). «En intervenant rapidement, la Fed et le Trésor américain ont signalé au marché qu’ils mettaient le système bancaire sous cloche pour rendre possibles les hausses de taux», affirme le stratégiste d’Ostrum AM. Il rappelle que la Fed et la BCE seraient en grande difficulté en cas de crise bancaire ne leur permettant plus de lutter contre l’inflation.

«Si le risque systémique est évité, le marché devrait garder une prime de risque supérieure à ce qu’elle était en début d’année sur les marchés actions alors que les investisseurs croyaient que le resserrement monétaire massif allait se solder sans frais pour la croissance, juge néanmoins Xavier Chapard. Or les derniers jours nous ont montré que les hausses de taux ne peuvent se faire sans heurts pour l’économie». Avec le spectre d’une crise bancaire, le marché semble avoir pris conscience du fait que la récession n’était peut-être pas évitable.