
Bien bâtir sa stratégie pour 2019

Le système français des retraites, traditionnellement présenté sous la forme de 3 piliers distincts, fait actuellement l’objet de grands chantiers de réformes, touchant chacun d’entre eux. Les deux premiers piliers, constitués des régimes de base et des régimes complémentaires, et gérés en répartition, sont destinés à être refondus dans le futur système universel de retraite, dont les grandes lignes ont été présentées par Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites, à la mi-octobre. Si le calendrier exact de cette réforme n’est pas encore clairement défini, on sait en revanche que le nouveau régime exprimera les droits des assurés sous forme de points. Par ailleurs, il a été annoncé que les cotisations seraient assises sur la tranche de rémunération allant jusqu’à 3 Plafonds Annuels de la Sécurité Sociale (PASS), soit environ 120.000 euros/an en 2018. La tendance à la baisse des taux de remplacement du système actuel, ainsi que le rétrécissement annoncé de l’assiette de cotisation, par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui (pour rappel, les cadres cotisent actuellement jusqu’à 8 PASS dans le régime AGIRC, soit environ 320.000 euros/an en 2018), doit inciter les assurés à se préoccuper de la constitution d’un complément de retraite. Parmi les solutions qui se présentent à eux, celle de l’épargne retraite semble la plus naturelle.Le troisième pilier, justement, est constitué par les régimes supplémentaires, qu’ils soient souscrits dans le cadre professionnel (« article 83 » ou PER Entreprises pour les salariés, Madelin pour les indépendants, notamment) ou indépendamment de celui-ci, à titre individuel (Plan d’Epargne Retraite Populaire), auxquels on ajoute également l’assurance vie traditionnelle. Ces régimes sont tous gérés par des organismes assureurs, sur le principe de la capitalisation. Pris dans son ensemble, le périmètre de l’épargne-retraite fait actuellement l’objet d’une refonte, dans le cadre de la loi Pacte (1), qui vise à renforcer l’attractivité de ces régimes, en améliorant notamment leur portabilité. L’entrée en vigueur des dispositions de la Loi Pacte est attendue pour le 1er janvier 2020 au plus tard, celle-ci devant être complétée d’ici là par les ordonnances qu’elle prévoira et les décrets et arrêtés d’application qui permettront de répondre aux questions que se posent encore aujourd’hui les acteurs de ce marché. Mais alors que l’année 2018 touche à sa fin, il est important pour un épargnant soucieux de bâtir sa stratégie d’épargne retraite pour 2019 de connaître les critères qui doivent lui permettre de faire les bons choix dans cet univers très réglementé. En attendant de connaître plus précisément le nouveau cadre dans lequel devront s’inscrire les produits d’épargne retraite, rappelons les quelques principes qui s’appliquent aujourd’hui à eux. S’agissant des sommes investies librement par l’épargnant, les contrats « article 83 » comme les PERP connaissent un fonctionnement similaire : les versements sont affectés sur le compte individuel de l’assuré et y restent bloqués jusqu’au départ en retraite, sauf cas exceptionnels limitativement énumérés par la réglementation (2) (correspondant à des situations d’urgence) et sauf décès de l’assuré pendant cette phase de constitution de l’épargne.
A partir du moment où l’assuré liquide ses droits dans un régime obligatoire d’assurance vieillesse, il peut convertir les droits accumulés sur son compte individuel, mais obligatoirement sous forme de rente (sauf pour un PERP, où en sus de la possibilité de sortir 20 % des droits sous forme de capital, introduite lors de la réforme des retraites de 2010 (3), il est également prévu le cas de l’assuré faisant pour la première fois l’acquisition de sa résidence principale (4) lors de son départ en retraite, cette situation lui permettant de bénéficier de l’intégralité de son épargne retraite sous forme de capital).
L’intérêt de ces dispositifs, lorsqu’on les compare à l’assurance vie traditionnelle, repose sur deux avantages fiscaux et sociaux en phase de constitution des droits :
- Les sommes versées par l’épargnant sont déductibles de son revenu imposable, sous certaines limites (le montant le plus élevé entre 10 % du revenu imposable de l’année précédente, limité à 8 PASS, et 10 % du Plafond Annuel de la Sécurité Sociale, cette enveloppe de disponibilité étant commune avec notamment les cotisations obligatoires versées sur un PER Entreprises, et l’abondement de l’employeur sur un PERCO) (5) ;
- Les intérêts et plus-values générés par la gestion financière de l’assureur ne sont pas assujettis aux prélèvements fiscaux et sociaux.
Ces avantages, consentis par la réglementation en contrepartie du blocage des sommes jusqu’à la retraite, et de leur indisponibilité sous une autre forme que la rente, doivent cependant être tempérés par deux inconvénients majeurs, à la sortie :
- Au plan fiscal, la rente viagère versée à l’assuré relevant de la catégorie des rentes acquises à titre gratuit, les arrérages seront soumis à l’impôt sur le revenu selon les règles de droit commun des pensions (6) (et feront donc l’objet du Prélèvement à la Source pour les Revenus Autres, à compter du 1er janvier 2019) ;
- Au plan social, la rente viagère sera également assujettie aux prélèvements sociaux (7) (CSG, CRDS, CASA, SS, pour un taux global de 10,10 % au 1er janvier 2019).
Ainsi, l’intégration des arrérages de rente versés dans l’assiette de l’impôt sur le revenu vient transformer l’avantage fiscal à l’entrée du dispositif, en un différé de paiement de l’impôt, accompagné le cas échéant d’une réduction de celui-ci, pour autant que le taux marginal d’imposition du retraité soit inférieur à celui dont les sommes versées ont été exonérées, lors de la constitution des droits. A cet égard, il faut également noter que dans le cas des rentes inférieures à 480 euros, qui peuvent être payées en un seul arrérage (8), ainsi que dans les cas de sortie – partielle ou totale - en capital, spécifiques aux PERP, rappelés plus haut, l’assuré peut choisir (9) pour un prélèvement forfaitaire unique de 7,50 %, en lieu et place de l’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Ce prélèvement est assis sur le montant du capital diminué du même abattement de 10 %, que celui prévu dans le cas du paiement de la rente. Ces cas de figure rendent l’intérêt fiscal de ces dispositifs encore plus évident.
En revanche, « l’assujettissement de la rente viagère aux prélèvements sociaux constitue un vrai manque à gagner, puisque les sommes versées n’avaient pas fait l’objet d’une quelconque économie de ce point de vue-là, à l’entrée du dispositif. » C’est donc ce déficit qui doit absolument être compensé par les plus-values de la gestion financière en phase de constitution de l’épargne, dont le cadre avantageux a été rappelé plus haut. A titre d’illustration, et dans le cadre de la réglementation actuelle, tant des points de vue fiscaux et sociaux, que de celui des conditions à réunir pour partir en retraite, prenons l’exemple de Monsieur Lesure, âgé de 50 ans, et qui peut consentir un effort annuel d’épargne de 5.000 euros. A compter de 2019, il fait le choix d’orienter cette épargne vers un PERP (ou vers un « article 83 » via des versements individuels et facultatifs), sous réserve que cette somme ne dépasse pas le plafond de déductibilité des sommes rappelé plus haut. Compte tenu d’un salaire annuel brut de 125.000 euros, son taux marginal d’imposition est de 41 %. Chacun de ses versements lui permettra donc de faire une économie d’impôts de 2.050 euros/an, soit 32.800 euros au total sur les 16 années d’épargne. Monsieur Lesure prévoit de partir en retraite dès qu’il pourra prétendre à une pension de retraite à taux plein, soit à l’âge de 66 ans, en 2035. Le contrat sur lequel il a choisi d’investir, prélève 2 % de frais sur versements, et on considère qu’il produira dans l’avenir un rendement de 1,50 % net de frais de gestion. Lors de la liquidation des droits, le capital acquis par Monsieur Lesure s’élève à 88.525 euros, pour 80.000 euros investis sur les 16 années précédentes.
Dans le cas classique d’une conversion en rente, Monsieur Lesure pourra jouir d’un montant annuel brut de 4.038 euros, soit – après prélèvements sociaux – d’un montant net versé de 3.630 euros. Dans le cas d’un taux marginal d’imposition de 30 % en phase de retraite, le montant réellement disponible après paiement de l’impôt ressortira à 2.604 euros. Ici donc, le montant total retranché sur les arrérages de rente, par les prélèvements sociaux et fiscaux, représente 1.434 euros/an (revalorisable en fonction de l’indexation du montant brut de la rente, suivant les résultats techniques et financiers de l’assureur). A l’âge de 66 ans, la durée moyenne de versement attendue est de presque 25 années, ce qui revient à dire qu’au cours de la période de versement, et sans compter l’éventuelle revalorisation de la rente, 35.659 euros auront été prélevés sur les arrérages de rente bruts. Il est cependant difficile de chercher à établir un rapport entre cette somme, et les 32.800 euros d’économies d’impôts réalisées à l’entrée du dispositif pour au moins trois raisons :
- D’une part les prélèvements à la sortie sont assis sur une assiette plus large que les versements initiaux, du fait de la gestion financière en phase d’épargne, supposée ici génératrice de plus-values.
- D’autre part, l’âge moyen en phase de rente (79 ans) est supérieur de 21 années à l’âge moyen en phase d’épargne (58 ans). Les prélèvements sociaux et fiscaux sur la rente surviennent donc de façon très différée par rapport à l’économie d’impôt réalisée lors du versement des sommes. Ainsi, en considérant le même taux de rendement que celui de l’épargne (1,50 %/an), l’actualisation de ces montants fait ressortir, lors du départ en retraite en 2035, un capital total économisé grâce aux déductions fiscales à l’entrée de 37.313 euros, pour un montant total de 30.150 euros d’impôts et prélèvements sociaux à acquitter en phase de rente.
- Enfin, ces chiffres sont basés sur la durée moyenne de versement de la rente. Si la durée réelle s’avérait plus élevée, les prélèvements à la sortie ressortiraient comme alourdis relativement au bénéfice réalisé à l’entrée du dispositif. Mais ce serait évidemment négliger les arrérages nets supplémentaires touchés, et surtout l’essentiel : une retraite plus longue !
En synthèse, le cadre particulier des versements libres effectués sur les PER Entreprises ou sur PERP se révèlera d’autant plus favorable que :
- Le différentiel de Taux Marginal d’Imposition entre la phase d’épargne et celle de service de la rente, est important ;
- Le montant des sommes versées est important, afin d’exploiter au maximum le non-assujettissement des plus-values réalisées ;
- La durée d’épargne est importante, rejoignant l’argument précédent, mais impliquant un rallongement de la durée d’immobilisation des sommes versées.
Par ailleurs, dans le cadre de la mise en place du prélèvement à la source au 1er janvier 2019, il convient d’être particulièrement vigilant quant à la déductibilité des sommes versées dans ces dispositifs en 2019 (10) : si l’assuré n’avait jusqu’alors jamais effectué de tels versements, cette modification n’aura aucun impact sur sa stratégie de versements. Mais dans le cas où le versement qu’il aurait effectué en 2018 serait inférieur à ceux réalisés en 2017 et en 2019, l’impact fiscal 2019 devrait alors être recalculé.
Enfin, comme nous l’avons évoqué plus haut, « il conviendra d’être attentif aux dispositions fiscales et sociales mises en place dans le cadre de l’adoption définitive de la loi Pacte, dans le courant de l’année 2019 » : dans l’avis qu’il a donné au Gouvernement avant la présentation du projet de Loi, Le Conseil d’Etat a estimé que l’attractivité recherchée des produits d’épargne retraite par rapport à l’assurance vie résulterait, pour l’essentiel, des choix qui seraient opérés par le législateur s’agissant des prélèvements fiscaux et sociaux applicables à ces produits.
(1) Adoptée en 1ère lecture par l’Assemblée Nationale
le 9 octobre 2018.
(2) Art. L.132-23 du Code des Assurances.
(3) Art. 113 de la Loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.
(4) Art. 35 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement
(« loi ENL »).
(5) Art. 163 quatervicies du Code Général des Impôts.
(6) Art. 79 du Code Général
des Impôt.
(7) Art. L. 131-1 et R. 243-29 du Code de la Sécurité Sociale.
(8) Art. A. 160-2 du Code
des Assurances.
(9) Art. 163 bis du Code Général des Impôts.
ff(10) Art. 11 de la Loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificatives pour 2017.