
Allianz solde un litige record dans la gestion d’actifs

C’est un litige d’une ampleur inégalée dans le monde de la gestion d’actifs. Allianz s’apprête à tourner la page du scandale de ses fonds structurés Alpha au prix fort. Le ministère américain de la Justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC) ont annoncé, mardi, que l’assureur allemand avait accepté de payer 6 milliards de dollars (5,7 milliards d’euros) pour solder les litiges liés à cette affaire. Les fonds Structured Alpha avaient été vendus par l’une de ses filiales de gestion d’actifs aux Etats-Unis, Allianz Global Investors US, et avaient collecté 11 milliards de dollars à fin 2019. Le pic de volatilité, en mars 2020, avait fait exploser en vol ces produits structurés, exposés aux variations de l’indice S&P 500 et de la dette d’Etat américaine.
Le montant des sanctions rappelle les règlements imposés par la justice américaine aux grandes banques d’investissement après la crise financière – BNP Paribas avait écopé de près de 9 milliards de dollars d’amende en 2014 pour violation des embargos américains. Chez Allianz, le montant est couvert par le total des provisions que l’assureur a constituées pour cette affaire. Après avoir déjà mis de côté 3,7 milliards d’euros en 2021, il avait annoncé, le 11 mai, une nouvelle provision de 1,9 milliard d’euros au premier trimestre, faisant passer la provision totale à 5,6 milliards d’euros. Une vingtaine de plaintes avaient été déposées contre sa filiale.
Pimco préservé
Au-delà du coût financier, le scandale suppose un coup d’arrêt aux activités d’Allianz GI US sous la bannière du groupe allemand. En plaidant coupable, l’asset manager s’interdit pendant dix ans de proposer ses services à des fonds américains. La filiale américaine et ses 120 milliards de dollars d’encours seront cédés à Voya Financial, selon un communiqué séparé. Pimco, la pépite américaine d’Allianz, n’est en revanche pas concernée par l’affaire.
La lecture de la décision de la Securities and Exchange Commission permet de comprendre pourquoi les autorités ont eu la main aussi lourde. Et pourquoi les trois gérants des fonds Structured Alpha, dont Grégoire Tournant, l’ancien directeur des investissements, sont poursuivis séparément pour divers motifs, dont la fraude. «De janvier 2016 à mars 2020 au moins, les défendeurs ont menti sur presque tous les aspects d’une stratégie d’investissement très complexe qu’ils ont commercialisée auprès d’investisseurs institutionnels, y compris des fonds de pension gérant l’épargne-retraite d’Américains ordinaires», indique la SEC dans un communiqué.
Documents trafiqués
Selon les enquêteurs, les gérants des fonds Structured Alpha ont minoré le risque de perte en cas de stress des marchés, dans leurs présentations marketing aux investisseurs et dans les reportings qu’ils leur envoyaient. Leurs stratégies de couverture par des options n’étaient pas aussi protectrices que ce qu’ils prétendaient, et donc moins chères à mettre en œuvre. Dans certains cas, de faux chiffres de stress tests ont été sciemment transmis pour donner des résultats plus favorables. Le responsable de l’équipe avait même établi un mode d’emploi pour industrialiser la fabrication de rapports trafiqués. L’argent a donc continué d’affluer, pour le plus grand profit d’Allianz GI, qui aurait engrangé 500 millions de dollars de commissions, et pour celui des trois gérants. Ceux-ci ont empoché 110 millions de bonus cumulés de 2016 à 2019.
Le krach de mars 2020, qui a vu certains fonds perdre 90% de leur valeur, a sonné la fin de l’histoire. Après cet accident industriel, l’équipe Structured Alpha a en outre essayé de faire obstruction à l’enquête du gendarme boursier. Une stratégie du mensonge rarement couronnée de succès outre-Atlantique…
Le règlement au prix fort de cette peu glorieuse affaire permet au moins à l’assureur allemand de s’ôter un boulet du pied. Les analystes de JPMorgan soulignent que ni Allianz SE ni d’autres entités du groupe ne sont visés dans les documents des autorités américaines. «Les gros titres sur Structured Alpha ont clairement pesé sur l’action Allianz depuis août 2021, notent-ils. Par conséquent, la fin de ce dossier, malgré les coûts substantiels encourus, devrait être considérée comme positive, les investisseurs pouvant désormais se concentrer sur la thèse d’investissement sous-jacente.» Les actionnaires d’Allianz, eux, ont donné leur quitus au directoire et au conseil de surveillance lors de l’assemblée générale du 4 mai.