Actions : Un premier semestre étrangement calme

Malgré les élections en Europe, les marchés restent très peu volatils
Cette stabilité est en partie justifiée mais pourrait receler certains risques à terme

S’il n’est pas rare que les marchés réagissent violemment à la moindre mauvaise nouvelle, il est beaucoup moins fréquent que les opérateurs soient inquiétés par un excès de calme. C’est pourtant ce qu’il se passe aujourd’hui. La faible volatilité des actions, voire des autres classes d’actifs, ne représente pas un phénomène inédit, mais ce calme plat n’est pas sans soulever quelques questions.

Tendance généralisée.

Tous les marchés sont concernés. Sur les actions américaines, d’abord, la volatilité a tendance à baisser depuis le début de l’année, pour atteindre des niveaux que l’on pouvait plus fréquemment observer pendant les années 2005 ou 2006. Le VIX, l’indice mesurant la volatilité implicite de l’indice S&P 500, a ainsi touché le plancher de 10 au mois de novembre, contre une moyenne proche de 20 sur le long terme. Du côté de l’Europe, le mouvement est identique. L’indice mesurant la volatilité de la Bourse de Francfort se dirige lui aussi, en tendance, vers les planchers atteints en 2005 (voir le graphique).

Mais les actions ne sont pas les seules concernées. Mabrouk Chetouane, responsable de la recherche et de la stratégie chez BFT IM, constate que « la volatilité est basse sur l’ensemble des classes d’actifs. Sur les actions, évidemment, mais aussi sur les classes d’actifs obligataires. Sur le crédit, par exemple, bien qu’il n’y ait pas de mesure directe du stress, on constate que le coût moyen de la protection contre les défauts a beaucoup reculé. Cela marque donc une perception beaucoup moins forte du risque qu’il y a encore quelques mois ». Seuls les marchés des devises échappent à cette situation. « Le type de volatilité a changé et les variations des marchés d’actions se rapprochent davantage de celles des marchés obligataires, avec des périodes de volatilité quotidienne faibles, suivies de décalages rapides mais violents. La volatilité quotidienne semble s’être plutôt déplacée sur le marché des changes, même sur les monnaies des pays développés avec, par exemple, de forts ajustements sur le dollar ou la livre sterling », souligne Guillaume Dolisi, cofondateur de VIA AM.

Des marchés anesthésiés.

Est-ce à dire que, excepté sur les devises, le monde est subitement devenu plus calme ? Pas vraiment. Les douze derniers mois ont compté bon nombre de surprises, parmi lesquelles la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ou encore l’élection de Donald Trump. Au début de cette année, en Europe, plusieurs élections à risque étaient attendues, dont celles en France et, même si les résultats ont rassuré les marchés, elles auraient pu générer des mouvements plus amples que ce qui a été constaté. De même, les résultats inattendus des élections anticipées en Grande-Bretagne le 8 juin n’ont pas provoqué de hausse de la volatilité. « L’évolution de la volatilité n’est pas linéaire, explique Frank Trividic, responsable allocation flexible et volatilité chez Seeyond, le régime actuel est constitué de périodes assez longues d’extrême tranquillité et de moments plus courts de stress intense. Ce régime devrait perdurer encore quelque temps. »

Macroéconomie…

Plusieurs raisons expliquent cette situation. Les éléments macroéconomiques, d’abord, ont rassuré les investisseurs. Aujourd’hui, toutes les grandes zones du monde affichent une croissance positive. Le cycle américain semble s’étirer tandis que l’économie européenne confirme son redressement progressif dans un environnement où le risque politique a clairement diminué. Du côté des émergents, malgré des interrogations sur la dette chinoises, la croissance du pays inspire encore généralement confiance. « Pour l’heure, nous ne redoutons aucun atterrissage brutal de l’économie chinoise », confirme ainsi Stéphane Monier, responsable des investissements chez Lombard Odier Private Bank, dans une note du mois de juin.

… et banques centrales.

Mais, outre ces éléments, selon certains professionnels, c’est aussi la politique des banques centrales qui a fait s’écraser la volatilité. « Depuis la crise financière de 2007, les banques centrales ont tout fait pour réduire les incertitudes sur les marchés financiers », note Frank Trividic. Elles ont aussi réorienté les flux vers des classes d’actifs qui, bénéficiant d’un attrait accru de la part des investisseurs, sont devenues beaucoup moins volatiles. « En ramenant les taux d’intérêt à zéro et en intervenant sur les marchés obligataires, les banques centrales, ces dernières années, ont forcé les investisseurs à se diriger vers les classes d’actifs plus risquées pour trouver du rendement. C’est l’une des explications  des très faibles niveaux de volatilité sur la plupart des marchés aujourd’hui  », précise Mabrouk Chetouane.

Pour les gérants disposant de liquidités, chaque baisse momentanée sur un marché constitue donc immédiatement un point d’entrée. Ils en profitent pour y investir, ce qui a pour conséquence de faire se redresser les cours et limiter la volatilité. « Les banques centrales ont, depuis le début de l’année, acheté pour plus de 1.000 milliards de dollars de titres et constituent donc, encore aujourd’hui, un filet de sécurité pour les marchés », estime Bernard Aybran, directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management.

Risque américain.

Néanmoins, même si ce calme peut paraître justifié, absence de volatilité ne veut pas dire absence de risque. En premier lieu, selon certains professionnels, l’optimisme concernant la croissance américaine apparaît exagéré. « Les derniers chiffres de la croissance outre-Atlantique montrent que la consommation des ménages, pourtant traditionnellement moteur de l’activité des Etats-Unis, a été atone au premier trimestre. Ce sont les investissements qui ont tiré la croissance, eux-mêmes soutenus par une reprise des investissements dans le secteur  énergétique, donc temporaires », met en garde Mabrouk Chetouane. Les moteurs de l’économie américaine sont donc aujourd’hui sous pression et il n’est pas impossible que la thématique du ralentissement du cycle américain, oubliée depuis l’élection du nouveau président, revienne dans les esprits.

Il est vrai que les mesures de soutien aux entreprises et aux ménages annoncées par Donald Trump vont mettre du temps à être implémentées, si elles le sont réellement. Par ailleurs, les dépenses ne porteront leurs fruits que dans plusieurs années. « Le marché américain attend juste un prétexte pour consolider », anticipe Mabrouk Chetouane.

Contagion possible.

Et en cas de repli brutal des indices américains, les professionnels sont unanimes pour dire que les Bourses européennes seront inévitablement touchées. « Il existe une forte asymétrie en matière de contagion baissière. Si l’Europe baisse, pour des raisons qui lui sont propres, les marchés américains ne sont que peu touchés, alors que si ce sont les indices américains qui chutent, les Bourses européennes – et d’ailleurs du reste du monde – en pâtiront immédiatement », explique Mabrouk Chetouane. Finalement, avec cette volatilité particulièrement basse, « on ne sait plus valoriser le risque, continue-t-il. Il est difficile de se fier aux outils traditionnels de valorisation. Un ratio de cours sur bénéfice (PE) dans un environnement de volatilité très basse reflète une valorisation très inférieure à celle révélée par ce même ratio (au même niveau) dans un environnement où la volatilité est plus haute ».

La Chine sous surveillance.

L’autre sujet sur lequel se concentre l’attention des gestionnaires est celui de la Chine. Même si sa croissance reste encore forte aujourd’hui, Frank Trividic estime que si la situation chinoise venait à déraper, « la volatilité pourrait changer de régime et devenir bien plus élevée. Le sujet du surendettement en Chine pourrait se révéler délicat si l’économie mondiale se mettait à ralentir, sans toutefois revêtir un risque de même ampleur que les subprimes en 2007-2008 ».

Pics inévitables.

Finalement, s’il y a une chose sur laquelle les professionnels n’ont aucun doute, c’est qu’il finira par y avoir de nouveaux pics de volatilité. D’ailleurs, « la politique monétaire actuelle de la Réserve fédérale américaine, avec un relèvement de ses taux d’intérêt, conduit à une normalisation progressive de la notion de risque et provoquera certainement, à terme, une hausse de la volatilité moyenne des actifs risqués », anticipe Frank Trividic. Faut-il le redouter dans les allocations ? Pour le responsable allocation flexible et volatilité de Seeyond, « les investisseurs doivent accepter les risques de pics de volatilité. Même si cette dernière venait à augmenter ponctuellement, l’environnement actuel est toujours propice à la prise de risque »