
Une variable d’ajustement pour le parc social
Depuis dix ans, un nouvel investissement immobilier fondé sur la technique du démembrement de propriété s’est progressivement développé. Initié par la société Perl, et repris par d’autres aujourd’hui, le montage consiste en l’acquisition de la nue-propriété d’un bien immobilier par un particulier et en l’achat de l’usufruit temporaire par un bailleur social. Depuis le lancement commercial du premier programme en 1999, plus d'une soixantaine d’opérations, soit environ 2.000 logements, ont vu le jour et le rythme devrait s’accroître, Perl prévoyant 700 nouveaux lots d’ici à 12 mois. Ce marché de niche concerne principalement des opérations dans le neuf, le dispositif se mettant plus lentement en place sur l’ancien.
Un investissement citoyen…
Face aux besoins de logements sociaux, ce montage permet aux bailleurs sociaux de proposer du logement dans les zones tendues où le foncier reste cher. « L’usufruit locatif social est un outil complémentaire de production de logements permettant d’offrir des loyers abordables dans des zones où nous rencontrons des difficultés pour construire du logement pérenne », remarque Michel Gouillard, secrétaire général du Groupe Alliade. « L’intérêt est également de ne pas avoir recours à des aides publiques et de bénéficier des financements PLI, PLS et PLUS pour le financement de ces opérations », explique Christian Giuganti, directeur général de l’opérateur social Logirep qui compte 17 réalisations sous l'usufruit locatif social représentant 500 logements, et qui ambitionne d’atteindre 1.000 logements dans trois ans.
… et décoté...
L’intérêt pour l’acquéreur de la nue-propriété est de retrouver à l’extinction de l’usufruit la pleine propriété d’un bien qu’il a acheté en nue-propriété à un prix minoré par rapport au marché, l’opérateur social perdant la gestion du bien à ce terme. Selon la pratique du marché, l’abattement, qui est lié à la durée du démembrement, représente 40 % à 50 % du prix pour une durée de 15 ans à 20 ans. « Ainsi, pour un démembrement d’une durée de quinze ans, l’investissement procure un rendement de 3,47 % nets, avant toute notion de revalorisation de l’immobilier et d’avantages fiscaux », indique Arnaud Jaffrain, directeur associé d'Iplus qui a commercialisé 280 lots sous le schéma de l’usufruit locatif social depuis la création de la société il y a un an et demi.
… principalement dans le neuf.
Tout ou partie d’un programme est dédié à une opération de démembrement. « Par exemple, sur un programme de 80 logements à Meylan, un quart était dédié à l’accession libre, un quart à la vente en pleine propriété à un bailleur social, la moitié en démembrement financée par un PLS tout en limitant les loyers d’une dizaine d’appartements au niveau PLUS », explique Frédéric Goulet, directeur général de Perl. La mixité sociale est également favorisée.
Pour l’heure, les opérations portent principalement sur des biens neufs, très peu sont réalisées sur des biens anciens acquis et améliorés et sur de l’ancien déjà détenu par un particulier. En 2007, l'Union nationale de la propriété immobilière (UNPI) a pourtant signé avec l'Etat une convention prévoyant de développer l'offre du parc locatif public par la cession temporaire à des bailleurs sociaux de l'usufruit de biens détenus par des particuliers et notamment vacant. « Les propriétaires privés sont prêts à faire cette démarche et proposent au parc social des immeubles situés en centre-ville, mais les sociétés HLM sont hésitantes », regrette Jean Perrin, président de l'UNPI. L’association Habitat et Humanisme acquiert aussi l’usufruit locatif social auprès de propriétaires privés, notamment dans le cadre d’un décret récent autorisant les prêts très sociaux (PLUS) pour le financement de l’usufruit.
Le programme approprié.
Encore faut-il, particulièrement en période de forte concurrence avec le Scellier, trouver un programme neuf qui se prête à ce dispositif, lequel entre dans les quotas de logements sociaux des municipalités (voir le tableau). En outre, il faut également que le prix de l’usufruit puisse être payé par le bailleur social. « La valeur de l’usufruit est fixée par rapport aux loyers réglementés et dont le montant varie selon les zones. Ainsi, pour un bien situé à Neuilly et pour un autre situé à Montreuil, tous deux dans la même zone, le coût de l’usufruit sera le même pour le bailleur social. En revanche, le prix de la nue-propriété sera différent pour l’investisseur privé », relève Christian Giuganti. Le financement de l’usufruit par des prêts aidés permet au logement de bénéficier de la TVA au taux réduit de 5,5 % qui profite également au nu-propriétaire.
Pas de loyers mais pas de tracas.
Contrairement à un investissement locatif classique, l’investisseur qui s’endette pour acquérir la nue-propriété ne perçoit aucun loyer. « Quel que soit l’investissement, il y a toujours un effort d’épargne, rappelle Frédéric Goulet. Il est plus intéressant de se priver de loyers, lesquels sont perçus immédiatement dans ce dispositif sous la forme de la minoration du prix d’achat, et de ne pas supporter les risques locatifs. De plus, l’investisseur échappe totalement à la ponction financière opérée sur les loyers qui est forte : taxe foncière, frais de gestion, charges de copropriété, entretien, mise en location, assurance de loyers impayés. » A noter également que dans le cas d’un logement ancien, le propriétaire perçoit en numéraire la valeur de l’usufruit.
L’objectif poursuivi par l’investisseur est la constitution d’un patrimoine immobilier de qualité, l’optimisation fiscale, des revenus complémentaires à terme ou encore une utilisation personnelle du bien. De nombreux investisseurs possèdent d’ores et déjà un patrimoine immobilier. Ces derniers peuvent déduire les intérêts d’emprunt relatifs à l’immeuble démembré sur les autres revenus fonciers (lire aussi p. 4). Par ailleurs, en matière d’impôt de solidarité sur la fortune, le nu-propriétaire ne doit pas déclarer son bien. Un récent arrêt de la Cour de cassation a admis que « le nu-propriétaire est en droit de déduire de l’assiette de l’ISF les dettes contractées pour l’acquisition ou la conservation du bien démembré ». Pierre Cénac, responsable de l’ingénierie patrimoniale d’un office notarial, précise que « pour bénéficier de cet avantage fiscal, la vente de la nue-propriété et de l’usufruit doit être concomitante ».
Répartition.
Entre le nu-propriétaire et l’usufruitier est conclue une convention d’usufruit dont l’objet est notamment de répartir les charges entre les parties. A l’extinction de l’usufruit, le bailleur doit reloger le locataire. « Le risque de relocation pèse sur l’usufruitier, explique Michel Gouillard. Pour y faire face, le bailleur social doit diversifier les localisations afin d’éviter un fort besoin de relogement dans le même secteur, étaler dans le temps la durée de l’usufruit dans les différents programmes réalisés et aussi dans un même programme. Par ailleurs, il faut éviter d’avoir un volume d’usufruit locatif trop important dans un même patrimoine locatif. » Enfin, le nu-propriétaire peut vendre quand il le souhaite la nue-propriété du bien qui se revalorise par le seul fait du temps mais si la cession a lieu avant de franchir le délai de 15 ans de détention, la plus-value est taxée.