Patrimoine et Immobilier

Une place à part pour un actif difficile à jauger dans une allocation globale

Représentant 60 % du patrimoine brut des ménages français, l’immobilier ne doit pas être exclu des réflexions d’allocation, d’autant que les particuliers, fortunés ou non, ne jurent que par cet actif - Si sa contribution à la diversification d’un portefeuille n’est plus à démontrer, sa place n’en demeure pas moins complexe à analyser au regard de ses spécificités d’actif peu liquide et indivisible.

Si les professionnels admettent largement que l’immobilier n’est pas un actif sans risque, les particuliers, à l’inverse, semblent percevoir la pierre comme un investissement on ne peut plus sûr. Celui qui reste et qui ne baissera pas. Des propriétés gravées dans l’inconscient collectif qui n’ont pas été démenties ces dix dernières années. Les gérants de patrimoine peuvent argumenter autant qu’ils veulent en faveur des marchés financiers, les particuliers ne vont pas changer de comportement de sitôt.

Les Français ont-ils raison de détenir près de deux tiers de leur patrimoine en immobilier ? La réponse n’est pas binaire et dépend de multiples facteurs. « Le logement a fait maintes fois l’objet d’analyses en tant que bien d’usage financé par le revenu disponible, mais plus rarement en tant qu’investissement financé par l’épargne », explique Pierre Schoeffler, senior advisor à l’Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF). Autrement dit, la littérature économique reste peu prolixe quant à la question de la place du logement et de l’immobilier en général dans une allocation globale de portefeuille au niveau des ménages alors que les choix des épargnants jouent un rôle non négligeable dans le financement de l’économie.

Une part importante d’immobilier dans le patrimoine des ménages.

D'après les Comptes de la nation 2010, l’immobilier (logements et terrains bâtis) représente 60 % du patrimoine brut des ménages français, soit 6.800 milliards d’euros et 2,7 fois le PIB de la France, contre 46,8 % il y a dix ans (1). Cette progression traduit à la fois l’appétence des individus pour la classe d’actifs et les possibles difficultés d’arbitrage faisant suite à l’évolution favorable des indices censés représenter ce bien un peu à part, indivisible, peu liquide et aux coûts de transaction significatifs.

Important à première vue, ce taux de détention semble relayer au second plan l’intérêt des autres classes d’actifs. Apprécier sa pertinence revient à déterminer ce que serait une organisation optimale du patrimoine, en d'autres termes, pour un risque donné, à trouver l’allocation offrant la meilleure rentabilité (ou inversement, pour une rentabilité donnée, l'allocation associée au risque le plus faible) sur un horizon de placement défini. Ce qui n’est pas une mince affaire.

Outre le fait que, théoriquement, les calculs soient le plus souvent basés sur des données historiques et non sur des anticipations - ce qui signifie que les résultats ne prédisent en rien que ce qui s’est passé se reproduira -, le degré d’aversion au risque des ménages est une donnée difficile à mesurer (lire l'encadré). Il est en revanche largement admis que l’immobilier à long terme est un bon antidote contre les fluctuations des prix des actifs financiers grâce à sa faible corrélation avec ces derniers. Et c’est tant mieux, car il est sans conteste le pilier du patrimoine de l’ensemble des Français comme des plus fortunés (lire l'avis d’expert).

Le statut hybride de la résidence principale.

Par ailleurs, juger de l’allocation optimale des actifs du patrimoine dans le cas de ménages nécessite de tenir compte d’une contrainte de taille, celle pour les particuliers de devoir disposer d’un toit. En supposant que les agents économiques optent pour la propriété plutôt que la location, ce qui est un autre débat, le logement représente un engagement important, le plus lourd pour la majorité des Français et une part non négligeable dans le patrimoine, excepté pour les ménages les plus fortunés.

Acquise pour des considérations de bien-être autant que pour des motivations financières, la résidence principale se distingue des autres actifs par sa double fonction de bien de jouissance (répondant à une demande de consommation) et de placement patrimonial (répondant à une demande d'investissement). Le croisement de ces deux caractéristiques rend l’optimalité supposée des choix des individus bien plus complexe à définir qu’une simple allocation de portefeuille.

Un actif indivisible capable d'affecter les préférences, la diversification

De la nécessité de se loger s’ensuivent plusieurs constats. « A moins d'être aidés par leurs parents, les jeunes ménages, en acquérant un logement en s'endettant n'ont aucun moyen de se couvrir contre une dépréciation de leur bien (par des produits dérivés basés sur les prix de l’immobilier résidentiel) et détiennent, de fait, un portefeuille global d'actifs nécessairement risqué à l'inverse des plus âgés qui, ayant remboursé leur emprunt et accumulé davantage de richesse, peuvent consacrer une partie de leur patrimoine à d'autres classes d'actifs », rappelle David Le Blanc, rapportant les conclusions d'une étude qu'il avait conduite sur le sujet avec Christine Lagarenne en 2000 à l'Insee.

Première conclusion induite par la contrainte du logement, les particuliers n’ont pas forcément le portefeuille qui correspond à leurs préférences pour le risque.

Deuxième conséquence, moins les ménages sont aisés, moins leur patrimoine est diversifié. Ce n’est que lorsque le capital devient plus important que les premières diversifications s’opèrent. « Le raisonnement qui consiste à optimiser le couple rentabilité/risque ne s’applique qu’une fois la question de la résidence principale résolue, donc qu’à une frange de la population, la plus fortunée », juge Michel Albouy, professeur de finance à l’IAE de Grenoble.

… et le marché des actions.

La présence d’immobilier dans un patrimoine modifie la manière dont est composé le reste du portefeuille d’actifs risqués. Bien que l’immobilier semble plutôt perçu comme non risqué, Luc Arrondel, directeur de recherche au CNRS, constate dans ses travaux menés sur les choix d'épargne des ménages que « dans un souci de tempérance des individus vis-à-vis du risque, plus la part de l’immobilier dans le patrimoine net est importante, moins les particuliers ont tendance à investir sur le marché boursier », relevant ainsi un autre biais comportemental lié à la propriété et les conséquences de cet état de fait sur le financement de l'économie.

Une forte détention d’immobilier implique pour les ménages les moins aisés (ou les plus jeunes) un nécessaire ajustement du risque de volatilité mais aussi de liquidité du portefeuille en rééquilibrant ce dernier avec des placements liquides - certains observateurs indiquent que ce manque de liquidité pourrait être partiellement corrigé par des mécanismes permettant aux ménages de dégager des revenus en adéquation avec la valeur de leur patrimoine tels que le viager par exemple. Les moins riches se trouvent donc exclus de l’investissement en actions et ce, d’autant que l’accès à l’information sur les marchés n’est pas sans représenter un coût.

De leur côté, les ménages très fortunés pourraient se permettre de prendre davantage de risques, donc de surpondérer les actions par rapport aux liquidités, mais ces derniers préfèrent souvent les titres non cotés.

Comprendre le comportement des ménages.

La notion de composition du patrimoine n'est donc pas indépendante de l’âge, de la capacité d'épargne mais aussi, et de plus en plus, de l’héritage. Bien qu’ils ne soient pas toujours explicables, les choix d’allocation d’actifs des ménages sont liés à de multiples facteurs, plus ou moins admis par tous les chercheurs. L’évolution démographique des populations, les systèmes des retraite (par capitalisation ou par répartition) et leurs réformes, ou encore le niveau d'éducation financière des individus sont autant de paramètres à prendre en considération et tout autant de raisons de faire dévier les comportements du chemin tracé par les modèles financiers, par ailleurs souvent plus explicatifs que prédictifs. « On utilise généralement les données passées et l'on considère que le passé se répétera, mais on peut très bien moduler les chiffres historiques pour tenir compte des anticipations », explique Martin Hoesli, professeur de finance à l'Université de Genève et à l'Université d'Aberdeen.

En effet, liées à leurs ressources et à leurs préférences pour le risque, les décisions d’allocation des ménages sont également fonction de leurs anticipations. A titre d’exemple, une étude menée en Italie en 2009 (2) fait ressortir que « l’acquisition du logement est plus influencée que l’investissement en actifs financiers par les modifications des attentes des citoyens italiens en matière de droits futurs de retraite liées à des changements de politique sociale dans le pays. Une attitude qui exprime l’idée que l’immobilier est aussi perçu comme un investissement pour la retraite », résume Didier Davydoff, directeur de l’Observatoire de l’épargne européenne (OEE). 

(1) Si l’on considère l’immobilier au sens large (logements, terrains bâtis, terrains cultivés, terrains et plans d’eau), la proportion d’immobilier dans le patrimoine brut passe à 62 % fin 2010, contre 49,4 % en 2000.

(2) «  The portfolio effect of pension reforms » , Renata Bottazzi, Tullio Jappelli, Mario Padula, juin 2009.