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Taux d’usure, les courtiers en font-ils trop ?

Dynamique - Malgré une hausse des refus de financement et un début de baisse des prix, les transactions se portent au mieux. 2022 tutoierait même le record de l’an dernier…
(Adobe stock)

A force d’entendre les courtiers râler sur le taux d’usure, on finirait presque par croire qu’emprunter est devenu impossible. Et pourtant, les chiffres ne trompent pas : le marché est encore loin du blocage. Les refus de financement augmentent certes, mais les transactions et les prix n’ont rien perdu de leur vigueur.

La Fnaim l’écrit noir sur blanc dans son baromètre du marché de juillet : 2022 sera probablement la « seconde meilleure année en termes de ventes, après le record de 2021 ». A fin mai, la Fédération recensait déjà 1.182.000 ventes sur les douze derniers mois. Sur l'ensemble de 2021, elle en avait comptabilisé 1.200.000. Une dynamique très forte qui cache pourtant une légère érosion. « Le nombre de compromis n’est en baisse que d’environ 1 % sur les huit premiers mois de l’année, ce qui indique que la résistance des ventes pourrait perdurer encore au minimum deux ou trois mois », souligne la Fnaim.

Mais si les ventes se maintiennent au plus haut, côté prix, des signes de ralentissement commencent à se faire sentir.  A fin juin, les notaires relevaient une augmentation de 6,8 % sur douze mois, alors qu’elle était encore de 7,3 % au premier trimestre et de 7,1 % fin 2021. Depuis le quatrième trimestre 2020, ce sont toujours les maisons qui tirent le marché vers le haut (+8,4 % sur un an contre +4,5 % pour les appartements).

Les acheteurs retrouvent virtuellement la main : leur pouvoir d’achat se réduisant à chaque nouvelle hausse des taux d’intérêt, ils sont bien souvent obligés de négocier les prix à la baisse sous peine de ne pouvoir conclure la vente. « Cette configuration du marché est un peu inhabituelle car, le plus souvent, un ralentissement des prix est précédé d’un tassement des volumes »,
relève la Fnaim dans sa note. Et la situation ne devrait pas s’améliorer.

Que les Français se le tiennent pour dit : leurs difficultés de financement ne sont pas près de se terminer. Et ce toujours à cause du taux d’usure, accusé de tous les maux par les courtiers. A coups de communiqués, d’alertes, d’interviews et même plus récemment de manifestation, la profession a très tôt porté le fer contre lui. En avril déjà, Julie Bachet, directrice générale de Vousfinancer, tirait le signal d’alarme dans notre émission Le Point Immo, soulignant qu’il continuait de baisser alors que les taux d’intérêt repartaient à la hausse. Une décorrélation qui gripperait tout le marché.

Entre mythe et réalité

Après avoir pris l’opinion publique à témoin, notamment en publiant des témoignages de clients bloqués par le taux d’usure, les courtiers se sont organisés pour sortir des chiffres. Cet été, Opinion System a présenté une étude sur les refus de crédits menée pour le compte de six associations (1). L’étude a fait son effet et a été reprise allègrement…mais entre battage médiatique et préoccupations sincères, l’incompréhension fut majeure. Partout on a pu lire que près de 50 % des dossiers de crédit étaient refusés à cause de l’usure. Ce que dit réellement le sondage d’Opinion System, c’est que 45 % de ses 1.471 répondants indiquent que deux à trois dossiers sur dix sont refusés et que le taux d’usure en est la principale raison pour 35,86 % d’entre eux. 55 % des courtiers interrogés indiquent donc d’autres proportions (quatre à cinq dossiers sur dix pour 27 % d’entre eux, plus de cinq pour 13 % et un dossier sur dix pour 15 %). Une mauvaise interprétation largement reprise par certains courtiers et qui a hérissé le gouverneur de la Banque de France.

« Je ne pense pas qu’il y ait de mauvaise foi de la part de mes confrères, mais tous ne comptabilisent pas les mêmes choses, défendait Ludovic Huzieux, cofondateur d’Artémis Courtage lors d’une conférence de presse en septembre. Les chiffres peuvent varier en fonction de l’intégration ou non des dossiers qui ne sont même pas envoyés aux banques. » Son cabinet, par exemple, accuse un taux de refus de 6,5 % cette année, alors qu’en temps normal, il varie entre 2,5 % et 3 %. Et ce alors même que ne peuvent être comptabilisés les dossiers refusés sur un coup de fil qui ne trouveront jamais le chemin du banquier. Ce dernier a lui-même ses propres filtres et ne s’embarrasse pas à présenter à sa direction les cas perdus d'avance.

Le courtier en ligne Pretto a tout de même essayé d’établir une moyenne du secteur. Pour cela, la fintech a appliqué les critères de 2022 aux dossiers financés de 2021. Résultat : 9 % des dossiers financés l’an dernier ne passeraient pas le filtre du taux d’usure cette année. « Le marché est tellement divers que certains segments sont plus bloqués que d’autres, reconnaît son cofondateur Pierre Chapon. Le taux de 50 % est sans doute vrai pour certains courtiers qui travaillent dans des régions où le revenu moyen par habitant est faible.  »

Au-delà de la bataille des chiffres, Ludovic Huzieux pointe un autre risque : celui de voir augmenter le nombre de contentieux. Les délais pour obtenir un accord ou un refus de financement peuvent s’étendre, compte tenu notamment de l’encombrement des dossiers sur les bureaux des banquiers. Avec comme danger de dépasser le délai indiqué dans l’avant-contrat de vente pour obtenir un financement. « Dans ce cas, les emprunteurs sont prêts à tout pour récupérer leur séquestre et assignent à tout va », alerte Ludovic Huzieux.

En attendant que la situation du crédit se débloque, les Français assistent au retour en grâce du taux variable. « Ce n’est pas une solution industrialisable à grande échelle car le fixe est culturellement ancré en France, prévient Ludovic Huzieux. Un petit coup de pouce sur la méthode de calcul du taux d’usure serait suffisant pour débloquer certains dossiers et éviter d’avoir à recourir aux taux variables. »

Mais las, ses espoirs, comme celui de beaucoup de ses confrères et des Français ont été à nouveau douchés récemment (lire ci-dessus). Quand une situation s’enlise de la sorte, il n’y a qu’un remède : prendre son mal en patience. 

(1) Sondage marché IOBSP inter associations sur les motifs des refus de crédits, juillet 2022. Menée pour le compte de la CNCEF Crédit, l’AFIB, l’Anacofi, l’Apic, la CNCGP et la Compagnie IOBSP


ESPOIRS DOUCHÉS

Le 16 septembre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, fermait à nouveau la porte à tout coup de pouce sur le calcul du prochain taux d’usure qui doit être publié début octobre. Il se fera selon la méthodologie habituelle, qui doit conduire, selon lui, à un « relèvement bien proportionné de ce taux plafond ».