Taux d'usure : la grande cacophonie !

Alors que plusieurs sources du marché affirment qu’une révision de la méthode de calcul est en cours et devrait être annoncée prochainement, Bercy dément mais prévoit une communication d’ici la fin de la semaine. Selon nos informations, la méthodologie ne devrait pas être modifiée en profondeur mais simplement revue à la marge. Explications.

Cèdera ? Cèdera pas ? Depuis plusieurs semaines, le ministère de l’Economie et des Finances subit la pression des banques et des courtiers pour revoir le taux d’usure qu’ils accusent de prendre tout le marché du crédit immobilier en tenaille.

Face à l’explosion des refus de financement des particuliers, Bercy se disait prêt, début juin, à faire un geste. Des sources déclaraient à L’Agefi que Bruno Le Maire pourrait accepter une modification du mode de calcul du taux d'usure compte tenu «de la circonstance exceptionnelle» de la rapide envolée des taux d'intérêt ces dernières semaines.

Mardi 22 juin, le journal La Tribune rapportait qu’une nouvelle méthode de calcul devrait entrer en vigueur au 1er juillet prochain… Une information reprise dans plusieurs médias mais que Bercy a démenti auprès de Moneyvox, ajoutant qu’une communication devrait «sûrement être faite avant la fin de la semaine». «Bercy a sûrement été pris au dépourvu et a préféré rétropédaler pour contrôler sa communication», cingle une courtière. Toute cette agitation semble avoir été provoquée par une fuite dans la presse suite aux discussions entre le ministre de l'Economie et les représentants du marché. Alors qu'il recevait la Fédération bancaire française (FBF) début juin, Bruno Le Maire aurait récemment reçu l'Association professionnelle des intermédiaires en crédit (Apic) il y a quelques jours.

Une évolution a minima 

Selon nos informations, la grande transformation de la méthode de calcul annoncée ne devrait pas avoir lieu et encore moins pour juillet. Une évolution en profondeur nécessite le recours à la voie législative, ce qui, compte tenu du contexte, semble exclu. Il se dessinerait plutôt une évolution a minima. 

Un expert du marché confirme que Bercy plancherait bel et bien sur plusieurs scénarii et que l'option privilégiée serait de modifier la période prise en compte dans les calculs. Publié début juillet, le prochain taux d'usure devait normalement prendre en compte les taux d'intérêt pratiqués par les banques (sur la base des fonds décaissés) au second trimestre. Certains avancent toutefois que la Banque de France pourrait se baser sur les taux de juin uniquement afin de limiter le décalage avec le marché. Mais tout le monde n'est pas convaincu par cette idée. «Il leur sera impossible de récupérer les taux de juin. Tout juste la Banque de France pourra-t-elle avoir ceux de mai...», avance un expert du secteur bancaire.

Cette option, qui éviterait au gouvernement de passer par le Parlement, pourrait avoir un petit effet libérateur sur le marché. «Cela pourrait aider un peu à relever le troisième trimestre, mais comme il s’agira de dossiers initiés avant la hausse importante et que les volumes ont baissé, il n’est pas certain que cette évolution ait un gros impact», analyse un expert du courtage. Il évoque une autre solution possible : face à la tension du marché, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire peut «utiliser des dispositions exceptionnelles prévues dans les missions du gouverneur de la Banque de France». Ce dernier peut en effet décider unilatéralement d'un coup de pousse sur le taux d'usure. «C'est un de ses pouvoirs mais à manier avec parcimonie compte tenu de l'instabilité politique», souligne notre expert bancaire.

Un contexte explosif

Courtiers, banquiers et même emprunteurs sont dans l’expectative mais conscients du double aspect politique et potentiellement explosif du sujet. Premier enjeu : débloquer le marché du crédit immobilier sans «exciter les associations de consommateurs», appuie notre expert du courtage. Ces dernières sont en effet sur les dents et demandent déjà à Bercy de geler les loyers, par crainte d'augmentations massives début juillet, lors de la publication du nouvel Indice de référence des loyers (IRL).

Deuxième enjeu et pas des moindres : naviguer en eaux troubles jusqu’à la fin du chaos provoqué par le résultat des élections législatives. L’instabilité du moment paralyse le gouvernement et le force à marcher sur des œufs pour la moindre de ses décisions. D’autant que le prochain remaniement pourrait bien rebattre les cartes… Et peut-être plus que prévu. La presse politique prête déjà à Bruno Le Maire des vues sur Matignon. Des rumeurs qui expliquent pourquoi la révision du taux d’usure s’embourbe dans des discussions sans fin et excite le marché plus qu’elle ne le rassure... Pour l'instant.

Un équilibre impossible 

Les atermoiements de Bercy s'explique par le difficile exercice d'équilibriste que représente l'augmentation du taux d'usure. Au-delà des enjeux politiques, il s'agit surtout de ne pas surchauffer le marché. En l'augmentant, il prend le risque de donner trop d'air aux banques. Une liberté retrouvée qui leur permettrait de répercuter plein pot la hausse de leurs coûts de refinancement sur les taux d'intérêt... Au risque de faire s'envoler ces derniers et donc de pénaliser les emprunteurs. «Il faudrait au minium une augmentation de 50 à 100 points de base pour donner un peu de souffle au marché. Mais cela ferait à peine le job !», estime Ludovic Huzieux, co-fondateur d’Artémis courtage. 

Comme beaucoup d'autres, il pense que la loi du marché calmerait les ardeurs des banques et préserverait les Français d'une hausse massive des taux d'intérêt si les règles s'allégeaient. En tous les cas, cela ne signifierait pas la fin du calvaire pour les emprunteurs. «Tout le monde parle du taux d'usure en ce moment, c'est comme si on avait oublié la règle des 35% d'endettement imposé par le HCSF !», rappelle Ludovic Huzieux. Il précise toutefois que c'est le taux d'usure qui pénalise le plus les ménages aujourd'hui et non la limite d'endettement. Dans son réseau, 20 à 25% des dossiers présentés aux banques sont refusés pour cette raison principalement.