Taux d’usure : ce que le gouverneur de la Banque de France a dit aux courtiers

Une délégation de six courtiers a été reçue par François Villeroy de Galhau hier à l’issue d’une manifestation. Opération déminage.

La hache de guerre n’est pas enterrée, mais elle est pour un temps, au moins, rangée dans le placard.

Mardi 20 septembre, un peu moins d’une centaine de courtiers ont répondu à l’appel de leur syndicat, l’Union des intermédiaires de crédit (UIC), à manifester sous les fenêtres de la Banque de France (BdF). Objectif : être écoutés par le gouverneur François Villeroy de Galhau à propos du taux d'usure, malgré son refus de coup de pouce. A l’issue de la manifestation, une délégation de six courtiers a été invitée à pénétrer dans l’enceinte de l’Institution. Ils ont d’abord été reçus par les directeurs de la statistique et de la communication. Rassurés par le ton apaisé de la discussion, les deux représentants ont envoyé la cavalerie : le gouverneur lui-même.

Question politique

C’est peu dire que la rencontre était attendue. Depuis plusieurs mois, les courtiers et le gouverneur s’opposent par médias interposés sur le taux de refus de financement à cause du taux d’usure. Selon nos informations, si François Villeroy de Galhau réfute toujours tout blocage du marché, il a assuré aux courtiers que le prochain taux augmenterait suffisamment pour régler les difficultés rencontrées ces dernières semaines.

Dans les faits, le gouverneur se prête surtout à un délicat exercice d’équilibriste. Augmenter le taux d’usure de manière trop importante permettrait aux banques d’augmenter d’autant leurs taux d’intérêt. Une décision politiquement impossible à défendre dans le contexte d’inflation et de baisse de pouvoir d’achat. François Villeroy de Galhau est donc obligé de trouver le juste milieu pour débloquer le marché tout en évitant une envolée des taux d’intérêt. Il semblerait toutefois que la Banque de France ait obtenu des banques quelques gages de modération sur le sujet.

Ni mépris, ni déni

François Villeroy de Galhau s’est également prêté à un exercice de déminage, tant la pression des courtiers s’est accentuée ces derniers temps. Avant l’appel de l’UIC, l’argumentaire de la profession reposait surtout sur l’impact de l’effet ciseau, provoqué par la faiblesse du taux d’usure et la rapide remontée des taux d’intérêt, sur les ménages. Depuis, le syndicat s’est imposé dans les médias et a en partie ramené le débat sur les enjeux de la profession, parlant de «déni» et de «mépris» de la part de la Banque de France pour leur corporation. «Le gouverneur s’est dit contrarié par ces termes», a confié Bérengère Dubus, présidente de l’UIC à la rédaction.  

Chiffres à l’appui, les courtiers invités à la rencontre ont pu faire entendre leurs arguments et leurs propositions. «Nous ne demandons pas une réforme de calcul du taux d’usure, il est nécessaire pour protéger les consommateurs, précise Bérengère Dubus. Nous demandons à ce qu’il soit recalculé tous les mois en période exceptionnelle comme celle que nous vivons. Cela permettra de réduire le décalage temporel qui existe actuellement.» Selon nos informations, la piste pourrait être explorée par le groupe de travail mis sur pied par Bercy pour réfléchir à la problématique du taux d’usure (il regroupe l’UIC, des associations de consommateur ainsi que des membres du ministère de l’Economie et du Trésor). L’autre piste, l’exclusion de l’assurance emprunteur du calcul du taux d’usure, a été tout bonnement rejetée. «Pourtant, la loi Lemoine permet désormais d’en changer à tout moment pour en obtenir une moins chère, donc l’idée pouvait faire sens», défend la présidente de l’UIC.

Prêts signés ou prêts décaissés ?

Un des points d’achoppement qui reste est la remontée d’informations de la part des banques elles-mêmes. François Villeroy de Galhau a assuré à la délégation de courtiers que la Banque de France se basait sur les prêts accordés par les banques sur un trimestre. Or, comme le relèvent plusieurs courtiers depuis plusieurs mois, la réalité est que l’institution se baserait plutôt sur des crédits dont les fonds ont été décaissés (c’est-à-dire réellement versés) et dont les termes auraient été négociés plusieurs mois auparavant… Dans un autre paradigme de marché donc, compte tenu de la rapidité de la remontée des taux. Selon nos informations, le gouverneur leur a bien assuré que la BdF se baserait désormais sur les crédits accordés. Mais cette bonne volonté se heurte aux capacités techniques des banques car les données sur les fonds versés sont plus faciles à faire remonter que celles sur les crédits signés.

L’UIC salue une très grande avancée

«Cette première rencontre qui a abouti à l’inclusion de l’U.I.C. dans les cycles de travail à venir sur le taux d’usure constitue une très grande avancée pour les courtiers, les professionnels du secteur immobilier et plus largement pour les emprunteurs», salue Bérengère Dubus. Le syndicat se dit très satisfait de cette rencontre et de «l’espace de dialogue qui s’est enfin ouvert» avec la Banque de France. «Hier, nous avons mis un pied dans la porte et montré que nous étions structurés et force de propositions», conclut sa présidente.

La publication du prochain taux d’usure début octobre dira si la hâche devra sortir du placard.