
« Plafonner les honoraires de transaction est aberrant »

L’Agefi Actifs. - Vous fustigez l’article 68 de la loi de finances pour 2018, qui plafonne les honoraires de transaction dans le cadre des défiscalisations en Pinel. Pourquoi ?
Henry Buzy-Cazaux. - On pourrait déjà tancer la méthode : un amendement discrètement déposé au projet de loi de finances à la fin du mois de décembre par un sénateur Les Républicains, l’approbation du gouvernement, un vote sans long débat, aucune concertation avec les professionnels concernés, et le tour est joué : l’article 68 du budget 2018 pose le principe d’un plafonnement des honoraires facturables par des intermédiaires mandatés pour vendre des produits immobiliers en défiscalisation. Un décret d’application précisera le niveau du plafond. Ajoutons que la disposition prévoit une sanction, et pas des moindres : une amende pénale égale à dix fois la différence entre les honoraires demandés et la toise fixée par le texte à venir.
Mais sur le fond, que penser de cette mesure ?
L’exposé des motifs argue de montants d’honoraires de transaction excessifs qui viendraient confisquer une partie de l’avantage fiscal attaché aux logements acquis en régime de défiscalisation, le dispositif Pinel aujourd’hui essentiellement. Pour le dire de façon moins pudique, le législateur présuppose que des investisseurs paient plus cher le produit qu’ils achètent parce que les intermédiaires ont chargé la barque des commissions.
Est-ce inexact ?
La vision qui sous-tend ce plafonnement est totalement fausse. Le prix d’un logement, fût-il acquis dans l’objectif de la défiscalisation, n’est calculé qu’en fonction de deux données fondamentales : l’addition des coûts de production, le terrain, les matériaux, la main d’œuvre, le respect des normes, et la marge à laquelle le promoteur peut prétendre, elle-même déterminée selon un marché et selon la solvabilité moyenne des ménages. En clair, il est aberrant de penser que le prix peut artificiellement être augmenté du montant des honoraires. D’ailleurs, il a bien fallu que les pouvoirs publics se rendent à cette évidence pour que soit écrit dans un arrêté du 1er avril 2017 sur la transparence des prix que les émoluments d’un professionnel de la transaction n’étaient pas assimilables à une charge augmentative du prix du bien immobilier : s’ils sont imputables à l’acquéreur, ils doivent être annoncés de façon analytique, et s’ils sont payés par le vendeur ils ne sauraient être intégrés au prix de présentation du logement.
Pour autant, n’y a-t-il pas un problème moral à exiger des honoraires trop gourmands ?
Bien sûr, des abus, là comme ailleurs, ont pu être constatés. Mais il est nécessaire d’estimer le rôle de ces intermédiaires, qui s’intercalent entre les promoteurs et les acquéreurs désireux de réduire leur facture fiscale. Leur valeur ajoutée, qui vaut bien quelques points de plus que pour la vente d’un bien ordinaire, repose sur deux apports : ils sélectionnent les biens pour leur rendement durable et ils ciblent la clientèle, avec une aptitude à segmenter les clients et à les identifier que les promoteurs n’ont pas toujours au même degré, grâce à des CRM performants.
Quelle issue peut-on anticiper ?
Dans cette règlementation irréaliste et injuste, le salut pourrait venir du décret d’application, qui fixera un plafond assez haut pour que l’activité de commercialisateur de produits de défiscalisation ne soit pas menacée. Cette voie ne prospèrera pas : un décret n’a pas vocation à dévoyer la loi et on entend que le plafond serait plutôt à 5 % qu’à 10... Le principe même de ce plafonnement est attaquable : au nom de quoi règlemente-t-on les honoraires de transaction ? Sans compter que la limitation aux logements en défiscalisation pourrait bien cacher un plafonnement général des honoraires de transaction immobilière... Comment peut-on traiter ce secteur d’activité libérale comme un secteur à part, qui exigerait un carcan pour le contrôle des honoraires de ses acteurs professionnels ? Outre que l’article 68 n’a pas été voté dans le respect du dialogue républicain avec les parties concernées, il témoigne d’une totale cécité sur les ressorts du marché des biens en défiscalisation et il malmène la liberté du commerce. À ce titre, il est passible d’une remise en cause devant le Conseil constitutionnel.