
«Nous devons reconstruire la ville sur elle-même»

Les élus locaux le savent bien : construire en 2023 est devenue mission quasi impossible. L’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols les met sous contraintes et les pousse à faire preuve d’ingéniosité pour combler leurs besoins de logements. Mais la mission devient encore plus difficile quand il s’agit de composer avec le risque de catastrophes naturelles.
Sécheresses, inondations… Autant de manifestations du réchauffement climatique auxquelles est soumise la métropole nîmoise. Avec, en corollaire, un impact sur son attractivité. Une question primordiale pour ses près de 260.000 habitants et notamment ses propriétaires qui pourraient bien avoir quelques sueurs froides à l’idée de voir leur patrimoine immobilier dévaluer.
Pour leur éviter de telles déconvenues, la métropole a mis en place trois Programmes d’actions de prévention des inondations (PAPI) : un premier de 2007 à 2014, un deuxième de 2015 à 2021 et un troisième, en cours de déploiement jusqu’en 2028.
Au menu, des chantiers importants telle la création de cadereaux et de nouveaux bassins de rétention d’eau pour doubler les capacités de stockage du territoire et lui permettre « d’absorber » près de 800.000 m3, à l’image du creusement en cours du bassin-carrière des Antiquailles et sa connexion hydraulique d’envergure inédite.
La facture est salée : 250 millions d’euros ont déjà été investis au travers des deux premiers PAPI. Avec les 113 millions du PAPI 3 Vistre (2022-2028), le total se porte à 363 millions d’euros. Mais à la clé, une meilleure protection des habitants face aux risques naturels et une attractivité conservée.
Entretien avec Franck Proust, président de Nîmes Métropole depuis 2020.
Quels sont les risques naturels auxquels la métropole de Nîmes est la plus exposée ?
Le territoire de la métropole est fortement inondable, que ce soit par débordements ou phénomènes de ruissellements torrentiels. En octobre 1988, la ville a connu de terribles inondations qui sont encore en mémoire. En 10 heures, 420mm de pluie se sont abattues sur Nîmes et 14 millions de m3 d’eau ont traversé la ville. Le bilan est lourd : 11 morts et 4 milliards de francs de dégâts.
Depuis cette date, Nîmes et la Communauté d’Agglomération Nîmes Métropole [créée le 1er janvier 2002, ndlr] ont multiplié les actions de prévention des inondations à travers plusieurs programmes, notamment deux PAPI et un troisième, en déploiement jusqu’en 2028.
Car au-delà de cet épisode, la problématique est double : beaucoup d’eau peut tomber en un espace de temps très court, alors même que vers avril/mai, le territoire peut être exposé à des épisodes de sécheresse importants.
Comment les PAPI sont-ils financés ?
Outre l’Agglomération, l’Etat prend en charge 30% à 50%, la région Occitanie 10% à 20%, le département du Gard 10%, sans oublier l’Europe (20%). Nîmes Métropole finance sa participation grâce à une taxe liée à sa compétence «Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations» (taxe Gemapi), qui permet de récolter environ 2,76 millions d’euros annuels.
Comment faire accepter cette nouvelle taxe aux habitants ?
Ils sont conscients des enjeux. Deux tiers de la population nîmoise habitent en zone inondable… Ils comprennent que s’ils veulent un plan efficace et ambitieux, tout le monde doit contribuer. Et je précise que près de la moitié des Nîmois ne paient pas d’impôts et que la ville n’a pas augmenté sa taxe foncière depuis 2001…
Au-delà de la protection contre les inondations, ces investissements visent également à préserver l’attractivité de la métropole…
Tout à fait. Un de nos enjeux d’urbanisme est d’ailleurs d’attirer des ménages plus aisés pour élargir l’assiette fiscale. Nous l’avons vu avec la crise sanitaire : l’emplacement de Nîmes, à 2h50 de Paris, nous a permis d’attirer de nouveaux habitants. La demande a été boostée, mais l’un des problèmes que nous rencontrons actuellement c’est l’offre de foncier. Les contraintes environnementales, comme la zéro artificialisation nette (ZAN) nous oblige à en consommer moins. Sauf qu’en parallèle, on impose aux maires des objectifs de construction qui ne peuvent pas être atteints du fait de ces mêmes contraintes. C’est de la «schizophrénie urbanistique» ! La ZAN nous mènera à des situations très problématiques. Elle doit être atteinte au niveau des agglomérations. Or, chaque commune a son propre plan local d’urbanisme (PLU). Les collectivités devront discuter les unes avec les autres pour articuler leurs besoins locaux avec ceux des autres.
Beaucoup de maires se plaignent de ce paradoxe mais comment continuez-vous à construire ?
Nous n’avons pas le choix : nous devons reconstruire la ville sur elle-même. Cela passe par la réhabilitation d’immeubles obsolètes, parfois même de la destruction pour en rebâtir de meilleure qualité. Cela nécessite également des discussions avec les promoteurs pour plus de mixité dans les nouveaux programmes immobiliers.
Certains maires ont une vision caricaturale du logement social et préfèrent payer une amende plutôt que d’en construire sur leur territoire. Je les invite à aller au-delà des clichés car notre population a besoin de logements sociaux. 40% à 45% des habitants de la métropole nîmoise y sont éligibles ! C’est aussi un moyen efficace de garder nos jeunes dans nos villes.
En parallèle, nous devons aussi attirer une classe moyenne et supérieure. Il y a donc un équilibre à trouver, notamment dans les opérations de promotion immobilière. A mon sens, les logements mixes sont une bonne solution pour y parvenir.
La loi climat et résilience, qui vise à accélérer la transition énergétique du parc immobilier ancien, met la pression sur les bailleurs privés. Comment la métropole les accompagne-t-elle ?
Nous avons mis en place des primes à la rénovation de l’habitat et à son adaptation au risque inondation via notre Plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Je ne remarque pas d’inquiétudes de la part des propriétaires ; au contraire, ils me semblent avoir pris conscience des enjeux. Les sécheresses et inondations qui peuvent frapper notre territoire les sensibilisent à ces questions. De même, elles nous poussent tous à nous adapter car elles impactent l’ensemble des secteurs, comme le tourisme par exemple. Avant, Nîmes pouvait connaitre quelques jours à 40 degrés en plein été. Désormais, c’est plusieurs semaines ! Cela a forcément un impact sur le tourisme car découvrir la zone dans ces conditions est plutôt décourageant...Du coup, nous réfléchissons à des offres alternatives et innovantes telles que des visites nocturnes pour découvrir le territoire dans de meilleures conditions.
L’affaire de la Senim continue
Le 5 avril 2023 la Cour de cassation a cassé le jugement de la Cour d’appel de Nîmes d’avril 2022, qui avait reconnu Franck Proust coupable de corruption et trafic d’influence dans le cadre de l’affaire de la Société d’économie mixte de Nîmes métropole. Elle l’avait condamné à un an de prison avec sursis, 15.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Il est reproché à Franck Proust de ne pas avoir respecté les règles de passation des marchés publics et d’avoir lancé des travaux sans appels d’offres entre 2001 et 2002 lorsqu’il dirigeait la Société d’économie mixte de Nîmes métropole (Senim). «Je fais confiance à la justice et après la décision de la Cour de cassation, je vais en appel, déterminé à prouver mon innocence», commente Franck Proust.
Le procès est renvoyé devant la cour d'appel de Montpellier.