Les SCPI entre records et inquiétudes

Gaetan Pierret
Malgré une collecte de 10,1 milliards d’euros en 2022, la vigilance est désormais de mise du côté des conseillers en gestion de patrimoine.
(Adobestock)

Un record en forme de « oui, mais ». L’année dernière, les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ont collecté 10,1 milliards d’euros, dépassant leur précédent record, de 2019 (8,6 milliards). Le tout pour une capitalisation de 89,6 milliards d’euros (+14 % sur un an) et un taux de distribution de 4,53 %. Mission plus qu’accomplie donc. Mais l’horizon pourrait bien s’assombrir cette année…

Pourquoi des CGP mettent le pied sur le frein

L’insolente dynamique des SCPI s’explique sans trop de problèmes. Premier facteur : la conjoncture. Encore et toujours, « dans un contexte de forte inflation qui menace le pouvoir d’achat des Français, les placements immobiliers font souvent figure de valeur refuge », souligne Jean-Marc Coly, le président de l’Aspim*, qui a publié le bilan de la pierre-papier mi-­février avec l’IEIF *.

Une des autres raisons se situe du côté de la stratégie de distribution des sociétés de gestion. Alors que les SCPI fêtent cette année leurs 53 printemps, leur commercialisation n’a cessé de se diversifier. Histori­quement distribuées par les banques et les conseillers en gestion de patrimoine (CGP), elles se sont peu à peu retrouvées distribuées par des plateformes en ligne. Même les acteurs du crowd­funding se sont mis à vendre de la pierre-papier. L’appétit des clients est là et justifie cette ouverture. « En tenant compte de la détention en unités de compte immobilières, ce sont plus de 4 millions de Français qui détiennent aujourd’hui des parts de fonds immobiliers non cotés », appuie Jean-Marc Coly.

Et pourtant, certains appellent déjà à la prudence…Des signaux de ralentissement du marché immobilier sont apparus dès fin 2022. La hausse des taux d’intérêt, conjuguée à celle du prix des actifs, puis à une légère dévalorisation, a eu raison de l’enthousiasme des gérants. Ils sont tout de même parvenus à investir 10,7 milliards d’euros, battant là aussi leur précédent record,de 9,2 milliards d’euros en 2019. Des chiffres rassurants mais qui invitent à la prudence. Voire à l’action. « Il ne sert à rien d’être attentiste. Il faut prévenir les clients que le marché immobilier va bouger en 2023 », appuie Matthieu Herrlich, fondateur d’AJC Conseil Patrimoine. Il indique avoir déjà commencé à mettre certaines SCPI « sous surveillance » et à lire plus que jamais les reportings des gérants. Dans son viseur, les valeurs d’expertise de leurs parcs. « Le retournement n’est pas assez violent et brutal pour que ce soit la panique, mais il faut s’attendre à ce que les valorisations cessent, voire à des réductions de prix de parts », prévient-il.

Tous les acteurs semblent plus ou moins sur la même ligne. Même l’Aspim concède que les gérants restent « très attentifs aux conséquences d’une nouvelle remontée des taux sur le prix des actifs immobiliers » et reconnaît que « des ajustements de valeurs » ont déjà été observés en fin d’année dernière. « Quelques trimestres seront nécessaires pour que les sociétés de gestion récupèrent les fruits des augmentations de loyers qu’elles ont réalisées pour contrer l’inflation. Mais pour l’instant, on ne voit pas de signaux alarmants dans leurs rapports, qui pourraient indiquer un retournement du marché des SCPI », ajoute Hotman Achab, directeur de l’offre immobilière de Millésime Family Office. Il le reconnaît toutefois : 2023 ne ressemblera pas à 2022.

Quelle allocation en 2023 ?

La remontée des taux d’intérêt handicape les gérants des SCPI. Eux qui ont l’habitude de recourir assez vite au crédit pour acquérir des actifs se trouvent freinés par un contexte beaucoup moins favorable. Après des années d’argent gratuit, les voici obligés de calmer leurs ardeurs. Or, si le robinet du crédit se ferme trop vite, c’est bien tout le marché qui pourrait
se gripper, avec des corrections de prix plus importantes ­qu’anticipé.

Dès lors se pose la question de la place de la pierre dans la stratégie patrimoniale des clients. Alors qu’elle était jusque-là présentée comme la valeur refuge par excellence, notamment dans des stratégies d’investissement défensives, le changement de cycle du marché immobilier incite à la réflexion. Déjà, certains portent leur regard sur d’autres solutions, notamment le bon vieux fonds euros, qui pourrait profiter des jours plus sombres du marché immobilier (lire l'encadré).

Si la prudence est de mise, pas question pour autant d’enterrer les SCPI. Au-delà des rapports de sociétés de gestion, Matthieu Herrlich conseille « d’échanger davantage avec les commerciaux pour capter les tendances de marché le plus tôt possible ». Côté allocation, il confie avoir notamment une petite préférence pour les SCPI de province, mais aussi pour les plus récentes. « Elles seront moins pénalisées par la décote des actifs car leurs stocks sont plus faibles que ceux des grosses SCPI. Et comme elles ont beaucoup collecté, elles disposent d’une puissance financière importante pour profiter des opportunités de marché », explique-t-il. Hotman Achab dit, lui, favoriser celles disposant d’un report à nouveau important avec une stratégie stable. L’investissement hors des frontières, oui, mais à condition que ce soit dans « des marchés limitrophes » et non dans « des pays exotiques ».

*Aspim : Association française des sociétés de placement immobilier ; IEIF : Institut de l’épargne immobilière et foncière.

 


La revanche du fonds en euros

Les conseillers en gestion de patrimoine pourraient trouver dans le fonds euros un refuge en cas de secousses trop importantes sur la pierre-papier. Outre ses rendements qui ont augmenté l’année dernière, le fonds en euros est revenu dans les bonnes grâces des assureurs, qui semblent enclins à rouvrir un peu les vannes, pressés de pouvoir acheter des obligations d’Etat à des taux plus intéressants. « Ils nous incitent à recollecter de nouveau sur le fonds en euros », confirme Matthieu Herrlich. Les clients se verraient même gratifiés d’un bonus, à condition de « respecter une quotité sur les unités de compte », complète Hotman Achab.